Economie : Northern Rock aux pieds d'argile

18/09/2007 - 13:50 - Boursier.com

Un rationalisme dévastateur ?

La crise financière continue à faire des victimes. Après les Etats-Unis et l'Allemagne, la Grande-Bretagne est rattrapée à son tour via la 8ème banque du pays, 5ème prêteur immobilier, Northern Rock. Sa situation a poussé les autorités du pays à une extrémité exceptionnelle alors que les clients de l'établissement faisaient le pied de grue devant ses agences depuis jeudi pour récupérer leurs fonds. L'image de dizaines de clients faisant la queue devant les agences de la banque britannique Northern Rock pour récupérer leurs économies a réveillé des démons vieux de plusieurs dizaines d'années outre-Manche, certains commentateurs allant jusqu'à évoquer des comportements dignes de la fameuse crise de 1929. La situation a été jugée suffisamment grave pour que le gouvernement de Sa Majesté et la Banque d'Angleterre (BoE) se concertent pour prendre une mesure spectaculaire destinée à rassurer la population et les milieux financiers. Jusqu'à la fin de semaine dernière, la banque centrale britannique s'était contentée d'apporter un financement exceptionnel au 5ème établissement de crédit immobilier du pays, étranglé par les difficultés d'accès au crédit nées de la crise financière mondiale qui a éclaté cet été. Mais depuis hier soir, la BoE a signé un véritable chèque en blanc en faveur des institutions qui en feraient la demande. Une grande première sur les bords de la Tamise. La menace qui pèse sur le prêteur immobilier Northern Rock n'est pas très différente de celle qui a frappé les grands établissements américains qui ont récemment mis la clef sous la porte lorsque la crise immobilière du crédit "subprime" a éclaté outre-Atlantique. Pourtant, la banque anglaise n'a pas été étranglée directement par l'insolvabilité de ses clients ni par d'éventuels placements hasardeux. Northern Rock a en fait éprouvé des difficultés grandissantes à se refinancer, elle qui tire près des trois-quarts de ses ressources des marchés de capitaux. Devant la montée de l'aversion au risque, les autres établissements lui ont restreint l'accès au crédit. La société n'a eu d'autre choix que de faire appel à la Banque d'Angleterre, qui lui a accordé un financement d'urgence. "Dans son rôle de prêteur en dernier recours, la Banque d'Angleterre se tient prête à rendre disponibles des liquidités dans de telles circonstances, lorsque les établissements font face à des difficultés de liquidités à court terme", a expliqué la banque centrale dans son communiqué. Les fonds ont été octroyés à des taux pénalisants, de façon à ne pas laisser penser que les autorités monétaires à Londres sauvent la mise à ceux qui ont profité du système. Le hic, c'est que cette annonce de soutien financier a provoqué des embouteillages au guichet des agences Northern Rock (et même chez certains concurrents), car les clients voyaient dans cette intervention rarissime un signe du risque de faillite de l'établissement qui conservait leurs économies. D'où des demandes de remboursement massives qui ne pouvaient faire qu'empirer la situation du prêteur immobilier en créant, cette fois, un véritable risque de banqueroute. La situation était mal engagée en fin de semaine dernière. Elle s'est envenimée au cours du week-end pour atteindre son paroxysme hier. Le gouvernement britannique et la Banque d'Angleterre ont décidé de prendre le taureau par les cornes, quitte pour la banque centrale à abandonner la fermeté dont elle avait fait preuve jusque-là en refusant de voler au secours des spéculateurs pris dans la tourmente du "subprime". Pour ne laisser planer aucun doute, le gouvernement de Gordon Brown, sur les conseils de la BoE, a donc annoncé hier soir que la banque centrale garantissait 100% des dépôts de Northern Rock sans plafond, tout en étendant le bénéfice de la mesure à n'importe quel établissement qui en ferait la demande dans des circonstances analogues. Les clients du prêteur immobilier avaient récupéré en 3 jours environ 3 Milliards de Livres de dépôts (4,3 Milliards d'Euros, soit 12% des dépôts recensés à fin juin chez Northern Rock), selon le Daily Telegraph. La décision devrait contribuer à faire cesser l'hémorragie. "La Grande-Bretagne a répondu plus vigoureusement et de façon plus décisive à cette crise que personne n'osait l'imaginer il y a 24 heures", estimait ce matin Anatole Kaletsky, du cabinet d'études GaveKal, qui officie également comme éditorialiste au Times de Londres. "Ce chèque en blanc pour le système bancaire dans son ensemble est sans précédent dans l'histoire britannique et sans doute dans l'histoire des économies avancées. Et dans ces circonstances, c'était absolument la chose à faire", selon le spécialiste. Kaletsky juge en outre que la décision de la BoE et du gouvernement britannique démontre que les craintes concernant "l'aléa moral" économique est un luxe que les banques centrales ne peuvent se permettre qu'en période faste. Une fois qu'une crise financière est là, il est trop tard pour donner des leçons aux emprunteurs imprudents ou pour punir les prêteurs inconscients, estime-t-il. Les marchés auront évidemment à faire leur examen de conscience et à tirer les conséquences de la crise actuelle, mais la priorité était à la restauration de la confiance. Le professeur d'économie Geoffrey Wood, qui exerce à la Cass Business School, a salué lui aussi dans The Independent la réaction des autorités britanniques, tout en rappelant qu'elle était unique puisque de son point de vue, la dernière crise financière de cette ampleur remontait à ... 1866 ! Le patron de Northern Rock, Adam J. Applegarth, a de son côté tenté par tous les moyens de rassurer sur la solidité financière de sa banque, en s'excusant auprès de ses clients pour le "stress et le dérangement occasionnés", tout en proposant à ceux qui avaient retiré des fonds de les replacer en bénéficiant du remboursement des frais de retrait prématuré. Il n'a en revanche pas vraiment oeuvré pour la sérénité dans son secteur, en annonçant dans la presse britannique dès le 15 septembre que 3 établissements de prêt espagnols avaient fait appel à la Banque Centrale Européenne pour répondre à leurs besoins de liquidités sans que personne ne cille. La banque centrale espagnole, courroucée par cette attaque, avait dû se fendre d'un communiqué précisant qu'aucune des banques qu'elle chapeaute n'avait fait appel au fonds spéciaux mis à leur disposition en cas de coup dur. Le signal d'alarme a également été tiré en Irlande, qui partage avec l'Espagne depuis quelques années la caractéristique de disposer d'un marché immobilier débridé, qui fait craindre un retour de bâton à la mesure de la flambée des prix. Force est donc de constater que les répliques de la crise du crédit immobilier subprime américain continuent à secouer la planète financière. En frappant la Grande-Bretagne, qui apparaissait jusque-là relativement épargnée par la tempête, la crise financière prouve qu'elle peut s'immiscer partout, notamment là où l'on ne l'attend pas. De mauvais augure pour ceux qui pensent que c'est en restaurant la confiance que l'économie mondiale sortira de l'ornière. Pour l'heure, les financiers cherchent déjà à savoir qui sera la prochaine victime collatérale...



(c) Boursier.com - Les informations rédigées par la rédaction de Boursier.com sont réalisés à partir des meilleures sources, même si la société Boursier.com ne peut en garantir l'exhaustivité ni la fiabilité. Ces contenus n'ont aucune valeur contractuelle et ne constituent en aucun cas une offre de vente ou une sollicitation d'achat de valeurs mobilières ou d'instruments financiers. La responsabilité de la société Boursier.com et/ou de ses dirigeants et salariés ne saurait être engagée en cas d'erreur, d'omission ou d'investissement inopportun.