Les produits structurés sont-ils menacés par la crise ?

11/02/2008 - 15:31 - Option Finance

Alors que la demande pour les produits structurés a été affectée par la crise du subprime, ceux-ci pourraient bénéficier, dans les prochains mois, d'un regain d'intérêt de la part des investisseurs institutionnels. Il est encore trop tôt pour savoir si la fraude subie par la Société Générale dans son activité de dérivés actions aura un impact sur la perception et donc sur la demande des investisseurs institutionnels en produits structurés", estime Daniel Pirrotta, responsable de la clientèle institutionnelle pour les produits structurés et les dérivés actions chez Exane Derivatives. Le scandale risque malgré tout d'écorner l'image des produits structurés, déjà dégradée depuis la crise du subprime. Ces produits, qui combinent des actifs financiers traditionnels (actions, obligations, etc.) et des instruments dérivés (options, contrats d'échange, contrats à terme, etc.) tout en s'engageant à délivrer une performance suivant l'évolution des marchés, sont proposés par les salles de marchés et les sociétés de gestion. Pour l'instant, ces dernières se veulent sereines. Les produits structurés ont par le passé prouvé que leur succès auprès des investisseurs n'était pas durablement entamé par les pertes sur les dérivés subies par les salles de marchés de banques comme le CIC ou Natexis au début des années 2000. Les investisseurs ont pu alors simplement être amenés à changer de fournisseur. Certes, c'est cette fois le leader mondial des dérivés actions qui se trouve en difficulté. "Là, il ne s'agit pas d'un problème sur la technique de modélisation d'un produit structuré, mais d'une fraude réalisée dans une activité de simples produits dérivés", précise Guillaume Poli, président d'Edmond de Rothschild Financial Services. Les sociétés de gestion espèrent que, au pire, les investisseurs délaisseront les produits de salles de marchés pour se tourner plus massivement vers leur propre offre. Cependant, elles vont devoir faire face à un mal plus profond qui affecte actuellement la demande. Suite à la crise du subprime, les produits structurés ont été accusés d'être trop sophistiqués et, en conséquence, d'avoir une composition souvent opaque, certains intégrant des produits de titrisation qui se sont révélés être de mauvaise qualité. Il est vrai que la course à la performance a fait jouer à l'innovation un rôle central. Aujourd'hui, les sociétés de gestion ne comptent pas freiner cette dernière, mais revenir à une approche plus raisonnable. "L'innovation doit être au service de la simplicité", indique Jean-Marie Féron, responsable du développement chez Barclays Asset Managers. Les institutionnels délaissent les produits complexes Si cette démarche vise à rassurer les investisseurs, rares sont ceux qui ont subi des déconvenues avec leurs produits structurés pendant la crise. "Peu d'institutionnels français avaient investi dans des produits comprenant de la titrisation de subprime ou dans des tranches très juniors de sous-jacents investment grade, indique Guillaume Poli. On les trouve plutôt positionnés sur les tranches seniors. Ils ont toujours eu tendance à privilégier les produits structurés les plus simples, ceux réalisés à partir d'options avec un sous-jacent actions. La défiance par rapport aux produits les plus complexes existait déjà avant la crise". Quand les institutionnels investissent dans des produits a priori plus complexes, ils savent dans quoi ils investissent et contrôlent la qualité du sous-jacent. "Quelques très grands corporate et compagnies d'assurance qui avaient investi dans des OPCVM incluant de la titrisation sont sortis dès les premiers signes de la crise, à partir du mois de mai, car ils avaient conscience des risques de performance et de liquidité liés à leur investissement", ajoute Guillame Poli. Les investisseurs qui s'étaient jusqu'à présent tenus à l'écart de ce type d'investissement devraient en revanche se montrer encore plus méfiants. Les plus récalcitrants sont généralement ceux qui ont une approche peu sophistiquée de la gestion financière. Pour les convaincre, les sociétés de gestion vont mettre en avant les produits les plus simples avec des sous-jacents actions, tout en bénéficiant d'un nouvel argument. "Dans les périodes où les marchés sont incertains, ces produits donnent une formule de calcul clairement prédéfinie, permettent le cas échéant de distribuer un rendement régulier et peuvent être en outre assortis d'une garantie en capital", rappelle Jean-Marie Féron. La plupart des institutionnels qui ont aujourd'hui des produits structurés dans leur portefeuille ont d'ailleurs commencé à s'intéresser à ce type de produits dans une période difficile pour les marchés. "Les produits structurés actions ont été adoptés par les institutionnels au cours des cinq dernières années, explique Guillaume Poli. En effet, à partir de 2003, quand les taux étaient bas et les actions encore risquées, les structurés sont devenus intéressants puisqu'ils offraient un rendement supérieur aux premiers et des risques inférieurs aux secondes". Or, la hausse de la volatilité et les incertitudes qui pèsent sur les marchés actions permettent actuellement aux sociétés de gestion de proposer des produits attractifs. "Depuis l'année dernière, les investisseurs s'intéressent aux produits vendeurs de volatilité implicite (anticipation d'un mouvement de variation) avec une protection conditionnelle en capital. L'appétit pour ce type de produit n'a pas été réduit par la crise des marchés et devrait perdurer cette année", assure Guillaume Poli. Des évolutions réglementaires favorables aux structurés Parmi les produits "à la mode", on trouve ceux indexés sur les valeurs bancaires. "Il s'agit d'un investissement très attrayant car les cours de ces titres sont bas et leur volatilité est élevée. Par conséquent, le produit permet d'acheter les titres sur des niveaux bas et de vendre leur volatilité à un prix élevé", explique Daniel Pirrotta. Les institutionnels qui ne seraient toujours pas convaincus par les qualités apparentes de ces produits pourraient y trouver un autre intérêt. En effet, les évolutions réglementaires récentes et à venir, dans le monde de la retraite mais aussi de l'assurance, semblent fournir de nouveaux arguments commerciaux aux sociétés de gestion. Tout d'abord, le nouveau règlement de l'Agirc-Arrco favorise l'utilisation des produits structurés par les caisses de retraite pour diversifier la poche taux de leur portefeuille. En effet, alors que ces produits partageaient jusqu'au printemps 2007 un quota de 10 % avec les obligations convertibles, ils peuvent désormais représenter à eux seuls 15 % de la poche taux. Ils doivent néanmoins répondre à certaines conditions pour pouvoir être considérés comme des produits de taux (garantie en capital à 100 %, double valorisation, etc.). De plus, les produits structurés qui ne répondraient pas à ces critères peuvent être intégrés dans la poche dite de "diversification" (10 % du portefeuille). "Ces quotas sont élevés. La structuration a donc une place à prendre, d'autant plus si l'on considère que, à l'heure actuelle, elle représente une petite part au sein d'un portefeuille institutionnel français (2 % à 3 % en moyenne)", précise Daniel Pirrotta. De la même façon, la directive Solvency II pourrait favoriser le recours aux produits structurés de la part des instituts de prévoyance, des mutuelles et des compagnies d'assurance. En l'état actuel des textes, Solvency II se révèle, en effet, particulièrement contraignante pour l'investissement en actions de ces institutions : pour investir 100 euros, elles doivent détenir 32 euros de fonds propres. Face à un tel coût en capital, les plus petites mutuelles envisagent d'ores et déjà de réduire leur investissement en actions... Or, elles pourraient à l'avenir trouver une solution alternative grâce aux dérivés. "Les produits structurés permettent de démembrer le risque actions, de réduire son degré en attenuant les effets dela volatilité, ajoute Daniel Pirrotta. Nous sommes en train de réfléchir à des solutions qui permettent de réduire le besoin en fonds propres des assureurs". Ainsi, l'investissement en actions pourrait être maintenu dans le portefeuille des institutionnels, mais il prendrait une nouvelle forme.