Multigestion alternative: ct séduire les investisseurs institutionnels ?

07/04/2008 - 18:05 - Option Finance

Pour attirer les institutionnels, les multigérants doivent tenir compte de leur aversion au risque mais aussi des évolutions réglementaires. S'ils se réjouissent de l'évolution du règlement financier de l'Agirc-Arrco, ils réfléchissent par ailleurs aux solutions adaptées à la future directive Solvency II.

Depuis la publication du nouveau règlement financier de l'Agirc Arrco en juillet dernier qui autorise dorénavant les caisses de retraite à investir en gestion alternative, nous avons reçu de nombreuses demandes d'informations" souligne Olivier Neau, directeur général d'Edmond de Rothschild Multi Management. Dans ce nouveau contexte, les sociétés spécialisées dans la multigestion alternative espèrent attirer une nouvelle clientèle. "Seulement quelques investissements ont été pour l'instant réalisés par des caisses de retraite, ce qui n'est pas étonnant compte tenu des conditions actuelles de marché et de leur processus d'investissement relativement long", ajoute Olivier Neau. Mais les multigérants ont des raisons d'être optimistes car quand un investisseur institutionnel investit pour la première fois en gestion alternative, c'est traditionnellement par le biais de fonds de fonds.

Deux profils de clients institutionnels

Ce type de support leur donne en effet accès aux meilleurs hedge funds présents dans le monde entier tout en réduisant les risques grâce à une diversification des fonds et donc des stratégies alternatives (Long/short, Global Macro, Event driven, etc.). "Au départ, les institutionnels sont essentiellement demandeurs de fonds de fonds multistratégies qui affichent des volatilités très faibles de 2 % à 4 % voire inférieures à 2 %", précise Olivier Neau. Le succès des fonds de fonds multistratégies s'explique également par le fait que la plupart des institutionnels n'ont pas encore la capacité de faire eux-mêmes l'allocation entre les différentes stratégies. "Il existe deux types d'investisseurs : ceux qui ont intégré depuis un ou deux ans une poche dédiée à la gestion alternative et ceux qui investissent dans ce style de gestion depuis cinq à dix ans, explique Christian Desbois, responsable de la clientèle institutionnelle chez UFG Alteram. Si les premiers apprécient les fonds de fonds multistratégies avec des profils particulièrement prudents, les seconds ont une approche plus sophistiquée. Ce sont généralement des assureurs qui investissent depuis plusieurs années dans ces produits." Cette approche plus sophistiquée se traduit par des investissements dans des single hedge funds ou dans des fonds de fonds alternatifs spécialisés sur une seule stratégie. Ces institutionnels visent alors une performance supérieure à celle que peut proposer un fonds de fonds multistratégie mais ils acceptent dans le même temps que le fonds ait une volatilité plus élevée. Pour ceux qui n'ont pas cette approche sophistiquée et qui sont déjà investisseurs, les multigérants leur proposent une offre spécifique. "Nous sommes en train d'étudier la possibilité de leur proposer des fonds de fonds alternatifs spécialisés sur un certain nombre de thématiques, indique Diane Terver Agazzotti, directrice du développement chez Natixis Multimanager. Nous envisageons par exemple de leur proposer un produit couvrant les marchés émergents ou proposant uniquement des stratégies liées au crédit".

Un marché en forte croissance

Pour répondre à l'ensemble des attentes diversifiées des investisseurs institutionnels, les multigérants mettent donc au point des produits ayant différents profils rendement/risque. "Cela dit, qu'il soit sophistiqué ou non, l'investisseur institutionnel recherche avant tout une performance décorrélée de celle des marchés traditionnels", indique Arié Assayag, directeur de l'activité hedge funds chez SGAM AI. Or, cette décorrélation, qui doit notamment se traduire par une meilleure résistance du produit en période de baisse des marchés, n'est malheureusement pas toujours au rendez-vous, ce qui a tendance à refroidir certains investisseurs. Actuellement, ils sont nombreux à se montrer attentistes. Ils redoutent notamment que des mauvaises nouvelles soient annoncés par des hedge funds dans les prochains mois. Pour faire face à ce risque lié aus conditions actuelles de marché et de crédit, les multigérants sont en train d'adapter leur mode de sélection des fonds alternatifs (cf. encadré). Cette plus grande sélectivité doit permettre de proposer des fonds avec des profils rendement/risque plus attractifs et à répondre à une demande croissante. "Le potentiel de hausse des encours en multigestion alternative est très important sur les deux typologies d'investisseurs institutionnels européens", souligne Julien Coulouarn, directeur de la multigestion alternative chez Natixis Multimanager. Cependant, le succès croissant de la multigestion alternative auprès des institutionnels pourrait être freiné par l'évolution réglementaire, et en particulier par la directive Solvency II (Solvabilité II) qui s'adresse aux compagnies d'assurances et aux mutuelles. En voulant notamment protéger les assureurs du risque de marché, la nouvelle réglementation pourrait avoir des conséquences importantes sur la gestion de leur portefeuille. Pour investir 100 euros dans la multigestion alternative, les investisseurs devront détenir 45 euros de fonds propres. "Le ratio de couverture des risques, dans l'état actuel des textes, serait plus pénalisant pour la gestion alternative que pour les actions. Or, les fonds de fonds alternatifs affichent généralement des profils rendement/risque plus prudents que la plupart des fonds actions", précise Christian Desbois. Alors que le développement de la multigestion alternative dans les portefeuilles institutionnels paraît menacé, les multigérants restent optimistes. "Nous avons déjà pu observer avec Bâle II l'évolution du comportement des banques : pour les gestions les plus consommatrices de fonds propres, elles ont cherché à obtenir plus de performance. Les banques se sont donc intéressées à des fonds de fonds alternatifs plus performants", indique Olivier Neau. Par conséquent, les institutionnels pourraient à l'avenir être plus massivement intéressés par des fonds de fonds avec des profils rendement/risque plus agressifs, c'est-à-dire des produits spécialisés sur une stratégie ou sur une thématique.

La solution des produits structurés

La plupart des multigérants anticipent également le développement d'un autre type de demande liés à l'évolution réglementaire. "Nous sommes en train de réfléchir à la possibilité de "structurer" des fonds de fonds alternatifs pour certains clients mais cela représente un coût qui n'est pas toujours justifié pour un fonds de fonds. En effet, ce type de support permet déjà de lisser les risques liés à l'investissement en gestion alternative", précise Christian Desbois. Si le produit structuré garanti apparaît intéressant d'un point de vue réglementaire, son coût est telle qu'il ne représente pas une solution idéale. "Nous ne recommandons pas à nos clients de structurer nos fonds de fonds car ceux-ci affichent une volatilité comprise entre 2 % et 4 %. En effet, un institutionnel n'a pas intérêt, sur un plan financier, à payer 1 % de frais pour structurer un produit dont le risque est très faible !", indique Jean-Marie Catala, vice-président de Groupama Fund Pickers. Ainsi, pour certains gérants, le recours à la structuration devra être réservé à un type particulier de fonds de fonds. Dans tous les cas, ce sera à l'investisseur d'arbitrer entre le rendement affiché par le fonds de fonds, son coût en capital et le coût de la garantie incluse dans le produit structuré. "C'est au structureur de proposer un coût de garantie cohérent avec les prestations fournies et le risque des sous-jacents couverts. La forte concurrence sur ce marché et l'innovation pourrait conduire la plupart des acteurs à baisser leurs prix dans les prochaines années", souligne Daniel Pirrotta, responsable de la clientèle institutionnelle chez Exane Derivatives. Cela dit, ce type de produits présente l'inconvénient d'être souvent complexe, ce qui pourrait freiner certains institutionnels. "Nous avons reçu beaucoup de demandes d'accompagnement et de conseil de la part des investisseurs institutionnels, ajoute Daniel Pirrota qui recommande à ses clients de consacrer 10 % à 15 % de leur portefeuille à des produits structurés garantis sur fonds alternatifs. Pour certains investisseurs, une telle poche peut apparaître contraignante car elle limite la part du portefeuille sur laquelle ils peuvent réaliser leur allocation tactique c'est-à-dire faire évoluer leur portefeuille en fonction des évolutions de marchés. Finalement, après les caisses de retraite qui s'étaient jusqu'à présent servies des produits structurés pour investir dans la gestion alternative et détourner ainsi leur réglementation, certaines compagnies d'assurances pourraient à leur tour avoir recours à ce type de produits pour s'adapter aux futures normes européennes.

Ludivine Garnaud