Pourquoi les marchés financiers sont-ils toujours déstabilisants ?

14/06/2006 - 19:27 - Option Finance

(AOF) - L'analyse du caractère déstabilisant des marchés financiers a depuis longtemps été faite. On sait que, confrontés à une évaluation fréquente de leurs performances, et essayant de gagner des parts de marché en ayant une performance supérieure à celle de leurs concurrents, les gérants de portefeuille doivent pratiquer le "mimétisme rationnel" : ils achètent simultanément les actifs dont les prix montent, vendent simultanément les actifs dont les prix commencent à reculer. C'est par le mouvement simultané d'entrées et de retraits sur les différents marchés qu'on a expliqué dans le passé les entrées massives de capitaux dans les pays émergents, de 1994 à 1996, suivies de sorties massives à partir de 1997 qui ont déclenché la crise des émergents en Asie, en Russie, au Brésil (après celle du Mexique en 1994-1995) ; la hausse considérable des marchés boursiers avec celle des cours des sociétés des nouvelles technologies de 1996 à 2000 puis l'effondrement de ces marchés (le Nasdaq est multiplié par 7 de 1996 à 2000, baisse d'autant de 2000 à 2003). Depuis 2004, on a vu de même une hausse considérable des cours boursiers jusqu'au premier trimestre 2006 : + 50 % dans la zone euro, + 70 % au Japon, + 20 % en Russie, + 150 % en Turquie, + 100 % au Brésil, + 120 % pour l'ensemble des pays émergents. Depuis son point haut, l'indice boursier de l'ensemble des pays émergents a baissé de plus de 15 %, les Bourses européennes de près de 10 %. On a observé aussi des corrections importantes des taux de change de beaucoup de pays : Nouvelle-Zélande, Islande, Mexique, Hongrie, Turquie. La violence et le caractère erratique des corrections frappent aussi : les Bourses européennes enchaînent des jours où elles perdent 2 ou 3 % ou plus et des jours où elles regagnent 1 ou 2 %. Cette variabilité a aussi affecté les prix des matières premières. Certes, on peut avoir certaines inquiétudes de type macroéconomique portant sur l'importance du ralentissement de l'immobilier aux Etats-Unis, l'ampleur de la hausse des taux d'intérêt dans la zone euro. Certains pays émergents (Turquie, Hongrie, Inde) présentent des déficits extérieurs importants, mais ce n'est pas du tout le cas de l'ensemble des émergents. Les inquiétudes macroéconomiques ne peuvent pas expliquer le retour soudain d'une variabilité très forte des cours boursiers ou des taux de change, les retournements à la baisse observés. Il faut sans doute les rapprocher de l'évolution des marchés financiers et des investisseurs. Les investisseurs institutionnels sont beaucoup moins présents que précédemment. Les assureurs et les fonds de pension ne sont plus acheteurs (en termes nets) d'actions aux Etats-Unis ou au Japon depuis 2001 ; dans la zone euro, on a vu des achats nets d'actions importants de la part des investisseurs institutionnels durant les trois premiers trimestres de 2005, mais ils ont ensuite presque disparu. Le poids des hedge funds sur les marchés est donc devenu très important. Les hedge funds ont un encours mondial de 1 200 milliards de dollars, une part importante étant investie en actions. Les agences de supervision des marchés financiers se soucient de leur degré de capitalisation, de leur levier d'endettement, de leur gouvernance mais assez peu de leurs effets sur l'équilibre des marchés financiers (ou de matières premières). Or, les hedge funds ont la caractéristique particulière d'offrir aux investisseurs une rentabilité élevée (plus de 15 % au total sur l'année écoulée) avec une volatilité très faible (autour de 3 en moyenne). Les investisseurs sont en effet devenus très exigeants, en particulier en ce qui concerne l'exigence de perte en capital. Ceci conduit les gérants des hedge funds à des pratiques très particulières : ils doivent absolument profiter des marchés qui montent sans volatilité, ils doivent absolument couper leurs positions dès que les prix des actifs correspondants montent, ils ont des "stop-loss" très agressifs. Ceci implique que les marchés financiers sur lesquels les hedge funds investissent présentent une alternance de phases de hausses fortes mais régulières et de phases de baisse brutale. Il apparaît donc une variabilité forte autour de la tendance fondamentale, due aux comportements particuliers de ce type d'investisseurs, qui crée uniquement des aléas sans avantage économique ou financier particulier. Il reste que, puisque les hedge funds coupent agressivement leurs positions à la baisse, ce ne sont pas les investisseurs dans les hedge funds qui souffrent des décrochements de marché ; mais les investisseurs dans les actifs sous-jacents traditionnels. Patrick Artus, directeur des études et de la recherche d'Ixis CIB