QUESTION DU JOUR/quel est l'apport du Comprehensive Income ?

18/10/2006 - 18:58 - Option Finance

(AOF) - Face à la prolifération de mesures de performance financière dénuées de cohérence et souvent de fondement théorique - situation jugée préjudiciable au bon fonctionnement des marchés financiers -,l'IASB et le FASB américain ont constitué en 2003 un groupe de travail ayant pour objectif l'élaboration de normes internationales de reporting de la performance. Intitulé "Performance reporting : reporting comprehensive income", ce groupe se réfère directement à une mesure unifiée de la performance, antérieurement adoptée au Royaume-Uni (FRS 3) et aux Etats-Unis (FAS 130). En effet, le comprehensive income, défini dès 1985 dans le cadre conceptuel du FASB, est un concept de résultat global ou élargi qui repose sur la mesure de la variation des capitaux propres entre deux périodes, indépendamment de toutes opérations avec les actionnaires. Le groupe de travail pose avec acuité la question de l'utilité du résultat net dans le référentiel IFRS.

Quels sont les fondements théoriques du comprehensive income ?

Cet indicateur de résultat, ignoré jusqu'alors par les normalisateurs européens, trouve son origine l'ouvrage Value and Capital (1946) de Sir John Hicks, prix Nobel d'économie 1972. Celui-ci discute le concept d'"aisance économique" (ou "economic well-offness"), défini comme la valeur maximale qu'un agent pourrait consommer pendant une période donnée sans s'appauvrir. Transposé dans le contexte de l'entreprise, ce concept assigne un objectif de préservation du capital économique à toute métrique comptable du résultat. Dans cette lignée, le comprehensive income se distingue du résultat net, principalement fondé sur la reconnaissance de profits réalisés, dans la mesure où il comprend certains gains et pertes de détention qui, pour des raisons purement normatives, ne transitent pas par le compte de résultat et impactent directement les capitaux propres (il s'agit des OCI : "other comprehensive income"). Les écarts actuariels, les écarts de change et les écarts sur réévaluations d'actifs en sont des illustrations en référentiel international IAS/IFRS. Depuis le début des années 1990, cette mesure du résultat est au centre des préoccupations des régulateurs comptables et financiers anglo-saxons ainsi que des groupes d'utilisateurs nord-américains1. Ses promoteurs voient dans le comprehensive income un levier de bonne gouvernance actionnariale, rendant la mesure du résultat moins tributaire des choix discrétionnaires et des manipulations de résultats. En ramenant le résultat comptable à une variation de valeur de marché ou d'utilité, il s'agit en fait d'aligner la mesure de performance managériale sur la performance boursière. La comptabilité financière retrouverait ainsi son efficacité disciplinaire au regard des dirigeants. Néanmoins, ces arguments ne sont pas validés par les études empiriques américaines dont les conclusions permettent de douter de l'utilité informative du comprehensive income au regard de celle des indicateurs classiques comme le résultat net et le résultat opérationnel.

Le comprehensive income est-il plus informatif que le résultat net en Europe ?

Une étude récente2, réalisée sur les cinq principales places financières de l'Union européenne (Londres, Francfort, Paris, Milan et Madrid), remet en question certains arguments régulièrement mis en avant par les régulateurs américains et internationaux pour justifier leur approche conceptuelle. Dans la lignée des travaux se proposant de tester la pertinence de l'information comptable pour le marché (en anglais, value-relevance), les auteurs mettent empiriquement en évidence la faible utilité informative du comprehensive income par rapport aux autres mesures du résultat dans tous les échantillons-pays de leur analyse. Ils observent également que la divulgation du comprehensive income liée à des normes locales (par exemple FRS 3 au Royaume-Uni) n'implique pas forcément une utilité et un degré de pertinence plus marqués. Ces résultats empiriques vont à l'encontre du postulat qui sous-tend le projet commun à l'IASB et au FASB. Ces travaux remettraient également en cause les enseignements de la théorie psychologique du reporting financier de Beaver (1981) et Hirst & Hopkins (1998), chère à l'IASB, selon laquelle les données comptables et financières présentent plus d'utilité pour l'investisseur lorsqu'elles sont publiées dans les états financiers.

Quels enseignements peut-on tirer de cette étude ?

Les résultats tendent à montrer que tout système de reporting financier en IFRS se réduisant au comprehensive income ferait perdre de l'information aux investisseurs. En revanche, comme le proposent les auteurs, la publication séparée des OCI, indépendamment de la ligne réservée au résultat net, permettrait, ceteris paribus, d'augmenter l'utilité informative des états financiers et le degré de pertinence des principaux indicateurs, tout en satisfaisant aux exigences des normalisateurs et régulateurs internationaux. Par Jean-François Casta, professeur, et Olivier Ramond, chercheur Centre de recherche sur la gestion (Cereg), université Paris-Dauphine 1. Le CFA (Chartered Financial Analyst) Institute recommande vivement, dans son rapport de 2005, la communication du comprehensive income par l'ensemble des sociétés cotées. 2. Laurent Batsch, Jean-François Casta et Olivier Ramond (2006), Utilité et degré de pertinence des différentes mesures du résultat comptable : une étude comparative des principaux marchés financiers européens, Cahiers de recherche du Cereg, université Paris Dauphine, à paraître.