Les petites structures continuent de séduire les gérants

19/04/2006 - 17:36 - Option Finance

Concurrencés par de nouveaux profils issus de salles de marchés, des gérants de grandes sociétés de gestion tendent de plus en plus fréquemment à rejoindre de plus petites structures. Un mouvement qui leur permet aussi de retrouver une plus grande autonomie de gestion. Parmi les questions posées par les consultants ou les agences de notation telles que FitchRatings, celle concernant les dispositions prises par une société de gestion en cas de départ d'un gérant est incontournable. "Nous la posons systématiquement en cas d'appel d'offres car un changement de gestionnaire reste une question importante pour nos clients, explique Frédéric Pétiniot, directeur général d'Amadeis. Certains institutionnels peuvent en effet décider de rompre la relation parce que l'équipe ne correspond plus à celle selectionnée initialement." Pourtant, par sa culture et son histoire, la France est un pays où, jusqu'au début des années 2000, la notion de gérant star ou vedette, courante aux Etats-Unis, n'existait que très peu. Lorsque les sociétés de gestion des grands groupes bancaires ont commencé à être filialisées dans les années 1990, ces filialisations se sont accompagnées de la mise en place de processus de gestion très encadrés. "Toute décision d'investissement était prise en commun, explique Maroun Jalkh, associé chez FitchRatings. Le client achetait le nom d'une société connue et une certaine crédibilité reposant sur l'appartenance à un grand groupe." Tout un vocable de groupe a alors été mis en place. "Dans ces sociétés, la notion de portefeuille modèle, de process industriel, de comités d'investissement s'est très vite développée, explique Aymeric Poizot, directeur du département notation chez FitchRatings. Montrer la collégialité des décisions dans le but d'éviter les surprises comptait bien plus que de mettre en avant la performance d'un gérant." Mais la crise boursière du début des années 2000 a progressivement fait évoluer la situation. Soucieux de retrouver une plus grande autonomie dans leur choix de gestion, certains gérants n'ont pas hésité à quitter de grandes structures pour des plus petites. Des gérants tels que Jean-Charles Mériaux, connu pour son fonds Tricolore Rendement à la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, est parti chez la petite DNCA Finance comme directeur de la gestion. Louis Bert a quitté Crédit Agricole Asset Management pour Oddo, tout comme Eric Bleines est parti chez la toute nouvelle CCR Actions rejoindre Marc Renaud et François-Marie Wojcik. Ce dernier quittera d'ailleurs CCR Actions par la suite pour créer sa propre maison, Métropole Gestion. "Les grandes sociétés de gestion ont d'abord regardé l'apparition des petites boutiques d'un œil plutôt amusé, explique Aymeric Poizot. Mais elles ont commencé à s'inquiéter lorsqu'elles ont vu que le modèle de ces dernières, outre le fait qu'il attirait leurs meilleurs gérants, commençait aussi à attirer les investisseurs institutionnels." Sans s'accélérer, le phénomène s'est poursuivi en 2005. La Française des Placements, société créée en 2000, a ainsi recruté plusieurs personnalités issues de grandes maisons comme Pascale Auclair de Groupama AM ou Jacques Bellamy-Brown, ancien membre du directoire de Credit Suisse Hottinguer. Thierry Pauwels, responsable de la gestion actions chez CPR Asset Management (groupe Crédit Agricole) est parti chez Ofivalmo Gestion. A cette occasion, il a emmené avec lui un gérant actions de son équipe en la personne de Pierre-Alexis Dumont. Une pratique encore rare en France, mais très courante aux Etats-Unis. "Ce phénomène, baptisé "lift-out" par les Anglo-saxons, consiste pour une société de gestion à recruter une équipe entière", explique Maroun Jalkh. Axa IM de son côté, en embauchant Emeric Challier, le responsable de la gestion taux euro de Fortis Investments, aurait attiré dans ses rangs une partie de l'équipe Fortis. Souffrant de ce phénomène de départs, les grandes sociétés de gestion de groupes bancaires, par leur taille, n'en restent toutefois pas moins les plus importants recruteurs de leur secteur. BNP Paribas Asset Management, par exemple, a recruté l'an dernier une quinzaine de collaborateurs pour la création d'une expertise en crédit "high alpha" (haut rendement et haut risque). Si quelques personnes ont évolué en interne, BNPP AM a surtout recruté des personnalités de chez... Calyon, la banque d'investissement et de financement de Crédit Agricole SA. De même, Natexis Asset Management a recruté de nombreux collaborateurs ces deux dernières années dans le cadre de la réorganisation de son offre d'OPCVM. Mais, dans ces recrutements, les profils recherchés ont fortement évolué. "Dans les grandes maisons, le profil demandé des gérants est de plus en plus pointu, affirme Diane Segalen, vice-présidente de Christian & Timbers. Les gestions sont de plus en plus spécialisées et les gérants recrutés présentent des profils similaires à ceux des équipes des salles de marchés. Ils doivent être spécialistes des produits dérivés, des structurations de produits, ou correspondent aussi parfois à des traders." Un mouvement particulièrement vrai dans la gestion de taux. "Dans ce type de gestion, les gérants traditionnels commencent à être concurrencés par les banquiers, confirme Maroun Jalkh. A l'inverse, la gestion actions reste encore relativement basée sur les fondamentaux." Les grandes banques font également progressivement évoluer leur modèle. "Certaines essaient désormais de se positionner comme des maisons à multiples boutiques en mettant en avant leur autonomie et leurs gestions de conviction", explique Frédéric Pétiniot. Les grandes maisons tentent d'offrir sur certains aspects une plus grande liberté à leurs équipes de gestion et vont même jusqu'à développer le concept de bonus lié à la performance afin d'attirer les meilleurs talents. "Mais cela n'est pas encore très répandu, car lorsqu'une société dispose d'une équipe de gestion de 8 ou 10 personnes pour ses fonds européens par exemple, la question de la répartition du bonus se pose alors", ajoute Aymeric Poizot. Enfin, autre phénomène constaté, le départ de certains gérants à l'étranger. Ainsi, Eric Bendahan, gérant réputé du fonds Axa Europe du Sud, est parti à la banque privée suisse Syz & Co. De même, Béatrice Coquelin, ancienne responsable gestion actions Europe de Crédit Mutuel-CIC Asset Management, est partie chez UBP. "Les institutions étrangères apprécient les professionnels français", note Aymeric Poizot. Un phénomène plutôt flatteur pour la qualité de la gestion hexagonale, mais qui ne fait guère l'affaire des sociétés de gestion concernées... R.R.