Interview R. Ricol : "Les banques ont les moyens d'accorder des crédits"

24/11/2008 - 10:59 - Option Finance

(AOF) - Nommé médiateur du crédit par le Président de la république le 23 octobre dernier, René Ricol, président du cabinet de commissariat aux comptes Ricol, Lasteyrie et associés, a pour mission de suivre la manière dont les prêts sont accordés par les banques et d' aider les entreprises qui rencontreraient des difficultés pour trouver des crédits. Une tâche qui, pour être efficace, nécessite la mobilisation de tous les réseaux liés aux entreprises.

Pensez-vous que nous sommes en France dans une situation de "credit crunch" ?

Non, car les banques ont les moyens d'accorder des crédits bien qu'elles aient perdu beaucoup d'argent dans la crise financière. La réalité est que la plupart des banques, probablement dès le début de cette année, ont décidé d'augmenter leurs prises de marges tout en réduisant leurs prises de risque. Comme toujours dans ces situations, l'effet n'apparaît que dans la durée, mais quand il apparaît, il y a un grand nombre d'entreprises, et de particuliers, déjà concernés. C'est cela qui explique la réaction légitime du président de la République et sa décision de mettre en place une médiation du crédit pour les entreprises. Il faut ajouter que la crise financière a suscité un réflexe d'anticipation d'une crise économique, ce qui explique notamment la situation difficile dans les secteurs de l'automobile et de l'immobilier.

Précisément, cette attitude des banques a suscité l'incompréhension du public lorsque le politique est venu à leur secours…

D'une part, ces plans ne coûteront rien au contribuable. D'autre part, c'était indispensable pour garantir les dépôts et soutenir l'activité économique. Il ne s'agit en rien de faire plaisir aux banques. Mais il est vrai que celles-ci ont sans doute commis une erreur majeure en réduisant les crédits au moment où elles-mêmes avaient besoin d'aide. D'où la colère légitime des entreprises et des particuliers. Aujourd'hui, les banques se sont engagées à inverser le mouvement, mais il faudra un peu de temps avant qu'elles ne regagnent la confiance perdue.

A quoi les banques se sont-elles engagées précisément ?

Elles ont pris deux engagements très importants. D'une part, elles ont conclu une convention avec le gouvernement selon laquelle elles augmenteront leurs encours de crédit de 4 % à 4,5 % en 2009. D'autre part, comme l'avait demandé le président de la République, elles se sont engagées lors de notre rencontre du 12 novembre dernier à maintenir pour chaque entreprise le montant de l'encours global sans demander de garanties personnelles supplémentaires. Par ailleurs, je leur ai indiqué que je ne voulais plus voir de dossiers à 3 000 euros. On ne peut pas prendre le risque de mettre en péril un emploi ou une très petite entreprise pour un montant pareil, ce n'est pas acceptable, en particulier en période de crise.

Avez-vous confiance dans l'efficacité des moyens mis en place ?

Mon travail aujourd'hui consiste à faire en sorte que les banques respectent leurs engagements. A ce jour, 90 % des dossiers que je reçois auraient été les mêmes un an plus tôt ; 10 % font apparaître une difficulté liée à la politique de restriction de crédits des banques. Tout va se décider dans les six mois à venir. Nous apercevons en effet les premiers signes d'une crise économique, dans les carnets de commandes mais aussi à travers la baisse des créances mobilisables. Par ailleurs, nous dépendons en partie du contexte international. Soit les Américains tiennent leurs engagements et, avec l'ensemble des dispositifs mis en place, on peut espérer sortir de la crise financière début 2009 et limiter les effets de la crise économique en 2009 et 2010 ; soit les Américains ne jouent pas le jeu et il y aura de vraies secousses. C'est pourquoi il est stratégique que les banquiers respectent leurs engagements et acceptent de prendre plus de risques qu'avant. Il ne s'agit évidemment pas de leur demander d'accorder leur soutien dans n'importe quelles conditions. Et puis il faut aussi que les réseaux socioprofessionnels coordonnent leurs actions de soutien aux entreprises. Nous avons une approche identique avec Laurence Parisot et Jean-François Roubaud.

De quels moyens disposez-vous pour assurer votre mission ?

Il y a 104 directeurs départementaux de la Banque de France en charge de la médiation. Ils fonctionnent au sein de cellules communes présidées par les préfets et avec les trésoriers payeurs généraux qui, eux, sont en charge d'aider les entreprises en difficulté. Ce qui facilite la circulation de l'information et la rapidité des décisions ; à cela s'ajoute une équipe de cinq médiateurs délégués en charge, respectivement, des liens entre les services de médiation, du pilotage des médiateurs départementaux, des réseaux socioprofessionnels, des dossiers sensibles et, enfin, du recours dans les dossiers qui nécessiteraient un second examen. Le médiateur en charge des dossiers sensibles a une mission stratégique. Il s'agit en effet d'aider les entreprises qui se développent à trouver des financements auprès des banques, d'Oséo, mais aussi d'autres sources que nous sommes en train d'identifier.

C'est donc un système de surveillance générale et d'assistance du tissu économique qui est en place ?

Nous sommes tous, préfets, TPG, médiateurs, mobilisés par une préoccupation commune qui est à la fois d'apporter une réponse concrète à chaque entreprise et d'anticiper les effets de la crise. Nous voyons bien que dans ces périodes l'économie se restructure : il faut donc aider les entreprises qui se développent comme celles qui sont en difficulté. Ce qui suppose de mobiliser toutes les forces financières. Si l'on ajoute à ces moyens mis en place pour le financement l'ensemble des dispositions destinées à aider la création d'emplois ainsi que le RSA, on peut espérer soutenir la consommation.

Combien de dossiers avez-vous reçus ? Pensez-vous que toutes les entreprises dans le besoin vont se faire connaître ?

Pour l'instant, nous avons reçu 2 500 alertes, mais seulement 900 dossiers. Or, je souligne qu'il est important qu'on nous adresse des données objectives pour que nous puissions intervenir auprès des banques. Cela étant, il est possible que certains n'osent pas nous contacter. C'est pourquoi je demande à toutes celles et à tous ceux qui ont des contacts avec des entreprises, réseaux socioprofessionnels, journalistes, responsables politiques, de ne pas hésiter à nous adresser ces entreprises pour que nous puissions les aider.

Comment s'assurer que les banques jouent bien le jeu et quelles seront les sanctions si ce n'est pas le cas ?

Pour les sanctions, et j'espère vraiment que cela ne sera pas nécessaire, vous pouvez faire confiance au président de la République. Concernant le suivi du soutien des banques à l'économie, il y a d'abord les statistiques de la Banque de France. Ensuite, nous venons, avec les médiateurs délégués et les médiateurs départementaux, de mettre en place un outil de reporting département par département sur la médiation et sur les entreprises qui font appel à la médiation : nombre de cas traités, enjeux en termes d'emplois, dossiers réglés positivement, dossiers non réglés. Nous publierons un rapport d'activité tous les quinze jours. Quant à la question de savoir si les banques vont jouer le jeu, elles en ont pris l'engagement et c'est leur intérêt objectif, celui de protéger et aider leurs clients. En outre, j'ai le sentiment qu'elles ont conscience du rôle crucial qui est le leur. Elles savent aussi que les Français vont regarder et juger. Pour gagner cette bataille contre la crise, nous avons besoin de la mobilisation de tous. Propos recueillis par Olivia Dufour