QUESTION DU JOUR/Politique monétaire et si la BCE clarifiait son approche

23/11/2006 - 13:00 - Option Finance

(AOF) - La quatrième Conférence annuelle de la Banque centrale européenne s'est tenue, il y a quelques jours, à Francfort. Son thème - "monnaie et politique monétaire au XXIème siècle" - ne manquait pas de hauteur. Il a donné à Jean-Claude Trichet l'occasion de défendre devant ses pairs américain, japonais et chinois le rôle du "pilier monétaire" dans le processus de décision de la BCE. L'article publié pour l'occasion dans le Financial Times était empreint d'un beau panache. Il montre en tout cas que notre Banque centrale a désormais suffisamment confiance en elle pour discuter pied à pied de cet aspect de sa politique avec ceux-là mêmes qui le considèrent d'un autre âge. Quelques semaines après l'arrivée de son nouveau président, la Réserve fédérale ne décidait-elle pas - par mesure d'économie ! - de ne plus publier la statistique de masse monétaire M3 ? En expliquant qu'il y a quelque chose d'étrange dans une approche de la politique monétaire qui ne fait aucune place à la monnaie, Jean-Claude Trichet interpellait directement son collègue Ben Bernanke. Notre jeune Banque centrale éprouve aujourd'hui un sentiment de satisfaction qui est compréhensible. Sa communication avec les marchés a été, cette année, meilleure que jamais alors que celle de la Réserve fédérale devenait plus confuse. Et rarement la conjoncture européenne ne s'est comparée aussi favorablement à celle de l'économie américaine. Cette vigueur retrouvée de notre activité contraste heureusement avec les sombres prédictions faites, il y a à peine un an. Que n'a-t-on entendu en effet lorsqu'il est apparu, fin 2005, que la BCE s'apprêtait à engager une remontée de ses taux directeurs ? Pourtant, cinq hausses ont eu lieu depuis - la sixième est imminente - sans que la reprise économique ait à en souffrir. C'est d'ailleurs cette erreur d'analyse de ses détracteurs usuels qui donne aujourd'hui à la Banque centrale européenne son argument le plus fort en faveur du "pilier monétaire". N'est-ce pas justement l'"analyse monétaire", à laquelle elle procède systématiquement, qui lui a montré alors qu'il était temps de revenir à une politique moins accommodante ? Sans cet apport décisif elle serait, comme eux, passée à côté de la bonne décision ! Ce salut renouvelé à l'approche quantitative chère à la Bundesbank n'en est pas moins étrange. Après avoir initialement fait de l'analyse monétaire le premier pilier de ses décisions, notre Banque centrale n'a-t-elle pas, d'elle-même, décidé il y a déjà quelques années de la reléguer au second rang ? N'est-ce pas parce que son apport s'était avéré secondaire ? Pourquoi donner maintenant l'impression qu'il est essentiel ? N'y a-t-il pas quelque fétichisme à vouloir à tout prix garder ce pilier monétaire distinct de l'autre ? Car il faut un brin de mauvaise foi pour laisser entendre que les banques centrales qui n'ont pas d'objectifs de masse monétaire ne laissent aucune place à la monnaie dans la conduite de leur politique. C'est faire comme si la mesure, très incertaine, donnée par l'agrégat cible - M3 en l'occurrence - était la monnaie elle-même. En oubliant l'ampleur des hésitations qui ont pesé sur sa définition et celle des corrections qu'il faut lui apporter pour en extraire les "bons" signaux. Ce que la BCE appelle aujourd'hui "monnaie" - et sur quoi certains voudraient qu'elle s'appuie pour mettre en œuvre une règle - est en fait une mesure largement discrétionnaire. Et la hausse des taux directeurs décidée en décembre 2005 s'explique autant par les évolutions de la monnaie ainsi définie que par celle du crédit, qui, comme contrepartie de la masse monétaire, fait partie du même pilier. Au terme d'une analyse pénétrante - et dévastatrice - présentée lors de cette même conférence, Michael Woodford s'interroge sur les raisons qui peuvent expliquer cet attachement de notre Banque centrale à une approche que les transformations financières ont rendue désuète. Sa crédibilité étant depuis longtemps solidement établie, elle n'a plus de raison de vouloir rappeler qu'elle est fille de la Bundesbank. Elle aurait tout à gagner, au contraire, à rendre plus lisible son approche de la politique monétaire. Qu'elle ait tiré parti de ses succès récents pour aller dans la direction opposée est dommage. Sauf, bien sûr, s'il ne fallait voir dans cette mise en avant du rôle des agrégats monétaires qu'un dernier hommage au professeur Issing ! Anton Brender, chef économiste, Dexia AM