Interview - Pascal Voisin, directeur général de Natixis Asset Management

07/07/2009 - 11:39 - Option Finance

(AOF / Funds) -

Malgré la crise, Natixis Asset Management a su résister l'année dernière grâce notamment à ses fortes positions en matière de gestions monétaires et obligataires. Les mesures prises par ailleurs en termes de gammes, de contrôle des risques, et de coûts devraient l'aider à affronter une année qui s'annonce, selon son directeur général, Pascal Voisin, encore plus difficile pour la gestion d'actifs.

Comment traversez-vous la crise ?

Natixis Asset Management (NAM) a bien résisté aux conséquences de la crise. Après une année 2008 en légère décollecte, nous avons renoué avec des flux nettement positifs depuis le début de l'année 2009. Surtout, depuis décembre 2007, nos parts de marché en France en OPCVM collectifs ont progressé de plus d'un point et demi, ce qui montre une meilleure résistance que la moyenne de nos concurrents.

Comment vous adaptez-vous néanmoins à ce nouvel environnement ?

Tout d'abord, il faut souligner que nos compétences clés, c'est-à-dire les gestions monétaires et obligataires, sont précisément celles pour lesquelles les investisseurs ont montré un intérêt extrêmement fort dans la tourmente des marchés. Notre exposition relativement plus faible que celle de nos concurrents aux actions et à la gestion alternative nous a en quelque sorte protégés face à la baisse des marchés. De même, la force de notre gestion monétaire, avec plus de 75 milliards d'euros d'encours, est une chance dans cet environnement. Pour autant, il a fallu réagir pour traverser au mieux cette crise. Cette adaptation est passée par une réorganisation de nos gammes pour les rendre plus claires, plus lisibles et plus adaptées aux besoins des investisseurs ; par un renforcement des contrôles et par un souci constant de communication auprès des clients. La baisse mécanique de nos revenus due à l'effet marché nous a en outre conduits à être très attentifs à notre base de coûts. Nous sommes parvenus à légèrement contracter nos coûts en 2008, en gelant les recrutements et en réduisant légèrement certains budgets de fonctionnement.

Poursuivrez-vous ce plan de réduction des coûts en 2009 ?

Nous savons que nos encours moyens, et donc nos revenus qui sont directement liés à ces encours, vont baisser en 2009. Il ne faut pas oublier que le début de l'année 2008 avait été bon et que ce n'est qu'au dernier trimestre que nous avons connu les effets de la baisse des marchés et de la faillite de Lehman. C'est donc en 2009 que l'industrie de la gestion d'actifs subira pleinement les effets de la crise. C'est pourquoi, tant que nous n'entrevoyons pas de façon claire, pérenne et durable, un retournement de marché, nous maintiendrons une politique de maîtrise des coûts très stricte. Notre activité reste profitable et nous voulons être en situation de tirer profit au mieux de la reprise des marchés lorsqu'elle se produira.

La taille de votre structure est-elle un atout aujourd'hui ?

Ce qui est incontestable, c'est que la taille est redevenue un élément positif pour les clients. Les petites sociétés de gestion indépendantes, dont l'offre de produits est souvent très concentrée sur les actions, souffrent sans doute davantage. Pour nombre d'entre elles, la décollecte s'est ajoutée à la baisse des marchés et a mis leur équilibre économique sous forte pression, alors qu'elles avaient été des compétiteurs plutôt actifs et présents ces dernières années. Cette situation peut créer des opportunités d'acquisition d'expertises ou de partenariats qui viendraient compléter nos propres expertises.

La crise a-t-elle remis en cause vos axes de développement stratégique ?

Globalement non, mais des ajustements sont évidemment nécessaires. Nous poursuivons le plan stratégique que nous avons défini il y a un an et demi. Il s'appuie sur le renforcement de nos expertises phares, gestion de taux, gestion diversifiée et structurée, gestion ISR, produits actions thématiques ; et sur une priorité : la diversification de notre fonds de commerce, en direction de la distribution externe en France et de l'international. Si l'on prend l'exemple de la distribution externe, nous sommes aujourd'hui en ligne avec notre plan de marche. La pénétration de ce marché, et notamment de la clientèle des CGPI, nécessitait d'acquérir ou de compléter nos offres, ce que nous avons fait l'année dernière en prenant une participation dans Dorval Finance, société de gestion dont le coeur de savoir-faire est la gestion flexible. Nous avons par ailleurs constitué une équipe dédiée de huit commerciaux pour couvrir ce marché. La prise de participation dans Dorval Finance nous a permis de combler une expertise manquante, sur laquelle nous souhaitions nous renforcer car nous pensons qu'elle est tout à fait adaptée aux attentes actuelles du marché, notamment de la clientèle patrimoniale. Cet exemple montre que nous sommes en mesure de saisir les opportunités d'acquisition ou de partenariats lorsqu'elles se présentent. Nous sommes toujours dans cet état d'esprit. Pour autant, nous resterons très sélectifs. Pour que ce type d'opération soit réussi, il est essentiel qu'il existe une réelle complémentarité d'expertises et si possible de fonds de commerce entre les structures.

Où en sont vos projets de commercialisation de vos produits au sein des réseaux Caisse d'Epargne et Banque populaire ?

Nous avons mis en place, au 1er juillet 2008, une plateforme d'animation commerciale, Natixis Epargne Financière (NEF), qui a pour mission de distribuer notre offre au sein des deux réseaux. Cette structure dédiée est en charge de l'animation et de la formation des réseaux, dans un contexte où les exigences de la MIF rendent encore plus importantes la transparence de la communication sur les produits financiers et l'adaptation de l'offre d'épargne aux besoins des investisseurs. Malheureusement, 2008 a été une année peu favorable à la mise en marché d'OPCVM dans les réseaux retail. Nous avons connu, comme les autres grands réseaux bancaires, une décollecte sur les produits actions, diversifiés et garantis. Le peu d'appétit pour le risque des épargnants, auquel s'est ajoutée la concurrence de l'épargne de bilan (dépôts à terme, livrets), explique cette évolution.

Plus globalement, quels enseignements tirez-vous de la crise dans vos métiers ?

Les enseignements sont nombreux et nous ne les avons certainement pas encore tous tirés. L'un des principaux est sans doute l'importance, pour les sociétés de gestion, de disposer, en matière de risques opérationnels, de marchés et de crédit, d'outils de contrôle performants et structurés. Ceci nécessite des investissements importants. Nous observons d'ailleurs une réelle prise de conscience parmi les investisseurs, notamment institutionnels, qu'il existe un risque de contrepartie dans la gestion d'actifs et que les acteurs de grande taille sont mieux armés pour y faire face. En ce qui nous concerne, nous sortions d'une période de rapprochement au cours de laquelle nous avions déjà renforcé notre vigilance. Nous avons également mis en oeuvre un processus de gestion de crise dès l'été 2007, notamment en ce qui concerne notre gestion monétaire. Ceci nous a permis de réagir très vite en restreignant la nature des investissements et les signatures sur lesquelles les gérants pouvaient investir. Concrètement, nous avons fortement limité la liste des émetteurs autorisés à environ 30 à 40 noms, qui correspondaient à des contreparties bancaires et corporates européennes qui nous paraissaient les plus solides. Nous avons également interdit toute acquisition d'actifs à plus de trois mois sur l'ensemble de la gamme monétaire. Aujourd'hui, alors que la situation commence à se normaliser, nous élargissons progressivement à nouveau ce périmètre d'investissement.

Comment avez-vous géré le problème des produits "monétaires dynamiques" ?

Nous avons été touchés à l'été 2007, essentiellement au travers de deux produits investis en titrisations qui représentaient un encours cumulé de près de 4 milliards d'euros et dont je précise qu'ils relevaient l'un et l'autre d'une classification "obligataires". Nos deux priorités ont été d'assurer la liquidité de ces fonds tout en les valorisant au plus près possible des prix de marché. Leur valorisation a donc suivi la baisse des marchés, mais nous avons assuré les demandes de rachats des clients. Ceci étant, cela nous a quand même conduits, au plus fort de la crise, à l'été 2007, à nous porter nous-mêmes contrepartie d'une partie de ces rachats. Cela a eu un coût pour NAM d'une cinquantaine de millions d'euros en 2008, sans que cela ne remette en cause la profitabilité de la société. Nous n'avons pas renoncé pour autant à des produits d'arbitrage et de dynamisation de la trésorerie. Même si la terminologie de "monétaire dynamique" a provoqué des incompréhensions et doit sans doute être bannie, le besoin n'a pas disparu.

La gestion alternative a également beaucoup souffert. Présente-t-elle toujours un intérêt ? Va-t-elle continuer à se rapprocher de la gestion traditionnelle ?

Si l'on fait évoluer la gestion alternative vers plus de liquidité, plus de transparence et avec des frais de gestion raisonnables, il n'y a aucune raison que les investisseurs s'en détournent. Le modèle économique de la gestion alternative va évoluer, mais la gestion alternative n'est pas morte. Par ailleurs, les modèles de la gestion alternative et ceux de la gestion classique continuent de se rapprocher. La frontière entre la gestion alternative et les solutions de type "performance absolue" que développent les gérants classiques s'atténue. Les techniques de gestion utilisées par ces deux mondes sont de plus en plus proches : gestion dans une enveloppe de risque prédéfinie, absence de benchmark, prise de positions long ou short sur les marchés. La principale différence demeure l'utilisation de l'effet de levier qui reste spécifique à la gestion alternative ; mais la crise a fortement contribué à en limiter l'usage. Le savoir-faire spécifique des hedge funds est reconnu, mais je pense que c'est une gestion qui peut aussi parfaitement se développer dans des sociétés de gestion traditionnelles. Il y a beaucoup à gagner en interaction entre la gestion classique et la gestion alternative. Chez NAM, nous n'avons pas choisi de développer la gestion alternative dans une structure indépendante. Nous préférons que ces compétences se déploient à l'intérieur de chacun de nos grands pôles de gestion (taux, actions et gestion diversifiée), et que ces pôles aient les moyens, dans l'univers de gestion qui leur est propre, de développer des moteurs de gestion alternative. Par exemple, au sein de notre gamme actions, nous avons un fonds long short qui existe depuis cinq ans et qui a traversé la crise avec des performances positives chaque année. De même, au sein de notre gestion de taux, nous disposons d'une équipe qui combine des expériences diverses (directionnelle, crédit, inflation, etc.) dans des produits qui visent une performance absolue. C'est également le cas de notre offre de gestion diversifiée.

Que pensez-vous de la concurrence entre les produits des banques d'investissement et ceux des sociétés de gestion traditionnelles ?

Il est parfaitement normal que les BFI créent des produits avec des profils de risque ou des objectifs de performance analogues à ceux des sociétés de gestion traditionnelles. Il est en revanche problématique qu'il y ait des différences de traitement dans la commercialisation et la mise en marché des produits. Une société de gestion doit respecter un processus d'agrément lourd, mais sécurisant pour les investisseurs, ce qui n'est pas le cas pour les banques d'investissement. Cette distorsion de concurrence a fortement pénalisé les gérants d'actifs dans certain