Interview partie 1 / Henri Poupart- Lafarge, directeur financier d'ALSTOM

20/07/2009 - 11:03 - Option Finance

(AOF) - C'est à la Banque mondiale, à Washington, que Henri Poupart-Lafarge a démarré en 1992 sa carrière, avant de rejoindre deux ans plus tard le ministère de l'Economie et des Finances à la direction du Trésor, puis au cabinet du ministre de l'Economie et des Finances. Cet X-Ponts, également diplômé du MIT, a rejoint Alstom en 1998, où il a successivement été en charge des relations investisseurs, du contrôle de gestion puis, en 2000 de la direction financière du secteur Transmission et Distribution, cédé début 2004. Il est directeur financier d'Alstom (18,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur l'exercice clos en mars 2009) depuis l'été 2004. A la tête d'équipes totalisant pas moins de 3 600 personnes, Henri Poupart-Lafarge a construit depuis cinq ans une fonction finance qui a su mettre en oeuvre le redressement d'Alstom, puis accompagner son développement. Mais, en temps de crise, les financiers n'échappent pas, eux non plus, aux efforts de productivité ! Voici la première partie de l'interview.

Vous avez pris les rênes de la direction financière d'Alstom il y a cinq ans, alors que le groupe était encore en pleine tourmente. Quelles ont été vos principales tâches ?

Quand j'ai été nommé à ce poste à l'été 2004, la période de crise aiguë était passée et il fallait mettre en oeuvre le plan de redressement tracé à la fois par le président, Patrick Kron, et par mon prédécesseur, Philippe Jaffré. Une période plus stable s'est alors ouverte pour Alstom. Cela m'a permis de construire les fondations de la fonction finance, dont l'organisation hétérogène résultait des différentes fusions menées les années précédentes par le groupe. Dès septembre 2004, j'ai défini trois missions pour la fonction finance. La première portait sur l'information financière, à la fois interne et externe. Le système de consolidation a ainsi été intégralement refondu et un système d'ERP global a été lancé au sein de chacun des deux secteurs du groupe. Alstom est maintenant l'entreprise du CAC 40 qui publie ses comptes le plus rapidement. La quasi-totalité du rapport annuel sort un mois après la fin de l'exercice. La deuxième mission, que j'appelle "guardian of the rules", concerne la mise en conformité avec la réglementation et le respect des règles et procédures propres au groupe. Cette mission a été renforcée par la loi de sécurité financière. Nous avons mis en place un contrôle interne fort, avec un questionnaire qui permet aux managers de s'auto-évaluer. Nous avons également renforcé l'audit interne. Quand je suis arrivé, il était mixte, mêlant auditeurs internes et externes. J'ai estimé qu'il valait mieux former nos propres auditeurs. Nous avons donc internalisé et développé l'équipe, qui est rattachée à Patrick Kron. Nous avons également mis en place une cartographie des risques, qui est mise à jour tous les ans. Parallèlement, une de mes premières actions a été de sortir la société de la cote américaine. La loi Sarbanes-Oxley ainsi que la comptabilité en US GAAP représentaient de lourdes contraintes, alors que la cotation ne nous apportait aucun avantage. Enfin, la troisième mission est celle de "business partner". Elle concerne tous les domaines dans lesquels la finance joue un rôle d'aide à la décision auprès des opérationnels comme le contrôle de projet ou le contrôle industriel, ou est directement responsable, tel le financement ou l'optimisation fiscale.

Comment la fonction finance est-elle organisée ?

Au total, la fonction finance regroupe 3 600 personnes, dont plus de 80 % sont des comptables et des contrôleurs de gestion. L'organisation de la fonction épouse dans l'ensemble celle des opérations. Dans les deux secteurs (production d'électricité et transport ferroviaire), puis dans les business de chacun d'entre eux, et dans leurs unités, on trouve à chaque fois des financiers avec à leur tête des managers qui sont des controllers, c'est-à-dire avant tout des contrôleurs financiers. Je m'appuie beaucoup sur les deux directeurs financiers des Secteurs qui sont mes liens privilégiés avec les opérations en dehors des présidents des secteurs eux-mêmes. Toutes les activités en lien avec l'extérieur et les expertises ont été centralisées au siège, de façon à être optimisées. L'équipe centrale représente ainsi 100 personnes et recouvre le financement, la gestion des cautions, les fusions-acquisitions, la fiscalité, la comptabilité et le contrôle de gestion du groupe, la gestion de trésorerie. Sur ces 100 personnes, une trentaine assure la comptabilité de la holding et une autre trentaine compose l'équipe de trésoriers. Dans ce dernier domaine, toute la gestion des flux de cash est désormais gérée par la finance en central. Il existe un réseau de trésoriers au sein des filiales géographiques, qui sont chapeautés par le directeur des financements et de la trésorerie, et qui assurent la remontée de cash, servent de relais dans les relations bancaires locales et peuvent mettre en place des opérations de marché dans les pays où réglementairement ces dernières ne peuvent pas être directement mises en oeuvre par le siège. J'ai par ailleurs fusionné en central la comptabilité et le contrôle de gestion, en raison de la similarité des process ainsi que des outils de contrôle et de consolidation. Dans nos métiers de long terme, la comptabilité est très liée au contrôle de gestion car la pierre angulaire des comptes d'Alstom, c'est l'estimation, tous les mois, de la marge des contrats à long terme. De même, j'ai renforcé le rôle des équipes fiscales dans le groupe car comme Alstom avait fait beaucoup de pertes, il y avait là des gisements importants d'économies fiscales à réaliser. Au final, une trentaine de personnes en central sont en contact avec les secteurs. Elles animent, avec les équipes des secteurs et des business, le contrôle financier du groupe.

La taille de la fonction finance ne vous conduit-elle pas à vous préoccuper davantage de ressources humaines que certains de vos confrères ?

C'est un sujet clé effectivement. Dès le premier jour, j'ai tenu à ce que la communauté financière se gère elle-même. Je veux être sûr que tout mouvement d'un financier soit validé par moi. Je fais ainsi des "people reviews" tous les trimestres, ce qui permet de connaître les postes disponibles et de contrôler les mouvements. Il est important que la communauté financière soit forte pour jouer le rôle qu'on attend d'elle en matière de sortie des comptes, de contrôle interne. Ces dernières années, deux liens ont à ce titre été progressivement renforcés, à la fois en termes de verticalité et de transversalité. Alors qu'auparavant, les financiers dépendaient de l'opérationnel, ils rapportent désormais hiérarchiquement à leurs supérieurs au sein de la fonction finance. Par ailleurs, nous avons créé des communautés au sein de la finance, les project controllers, les fiscalistes, les trésoriers, les directeurs financiers pays pour favoriser les réseaux, les échanges de pratiques, pour améliorer la cohésion du groupe et son efficacité. Les programmes de formation répondent aussi à cet objectif. Nous avons maintenant 11 modules de formation qui concernent par exemple le project controlling, le project accounting ou des sujets plus techniques comme la fiscalité ou le commerce international. Enfin, nous avons mis en place un programme de recrutement à la sortie de l'université, qui concerne chaque année une trentaine d'étudiants.

Comment se répartit votre emploi du temps ?

Mes deux principales tâches portent d'une part sur l'animation de la fonction finance dans son ensemble, et d'autre part sur les domaines réservés du corporate. J'ai ainsi beaucoup travaillé au départ sur le financement car en septembre 2004, il fallait refinancer le groupe, y compris les lignes de cautions. Entre 2004 et 2006, j'ai mené cinq opérations de financement. Depuis je n'en ai plus fait. J'ai également renégocié les lignes de cautions. Ces dernières sont fondamentales dans notre activité, car les banques apportent par ce biais à nos clients la garantie que nous finirons le projet et que nous honorerons nos engagements en termes de performance. Les cautions sont d'ailleurs en partie à l'origine de la crise d'Alstom : les banques ayant arrêté de les délivrer, le groupe ne pouvait plus gagner de contrats et l'activité risquait de s'arrêter net. Les cautions font à présent l'objet d'une enveloppe qu'on renégocie tous les deux ans avec les banques et qui nous permet de bien contrôler ces financements. Au total, grâce à l'ensemble de ces refinancements, nous sommes passés à travers la crise financière sans rencontrer de problèmes. J'interviens également dans le domaine des M&A en fonction des dossiers en cours, même si la réflexion stratégique dans ce domaine reste importante au jour le jour. Entre 2004 et 2006, nous avons connu toute une période de cessions, car il a fallu recentrer le groupe et satisfaire aux demandes de la Commission européenne. Nous avons ensuite pu reprendre les acquisitions, notamment dans l'éolien. Sur l'exercice 2007-2008, nous avons procédé à une vingtaine d'acquisitions, ce qui justifie d'avoir en interne une équipe de professionnels de six à sept personnes pour exécuter les opérations. Nous ne prenons des banques d'affaires que pour les grosses acquisitions.

Une bonne partie du temps des directeurs financiers est également consacrée à la communication financière. Comment avez-vous à ce titre restauré la confiance des investisseurs dans le groupe ?

La communication financière, qui représente environ un petit quart de mon temps, est l'une des tâches fondamentales du directeur financier, et le rôle du département de communication financière est clé. Le fait que j'ai été moi-même chargé des relations avec les investisseurs il y a dix ans m'aide beaucoup à comprendre ce qu'attendent les analystes et les investisseurs. Une des choses dont je suis fier, ce sont les opérations de refinancement menées en 2004 et 2005 car elles ont été lancées à un moment où il fallait faire un pari pour savoir si la signature d'Alstom était restaurée. Dans ces périodes-là, le choix du timing est clé et le fait de bien connaître les marchés en arrivant m'a beaucoup servi. Néanmoins, cela prend du temps pour que les investisseurs retrouvent confiance dans un titre. Avec eux, il faut respecter deux règles : il faut parler régulièrement et dire les choses telles qu'on les sent, le plus simplement possible. Dès septembre 2004, j'ai fait un road-show en Grande-Bretagne pour discuter avec les investisseurs. Et depuis, nous avons toujours tenu nos engagements. Les marchés détestent les surprises, s'il y a un changement, il faut le dire. Et en période de crise, il faut continuer à parler aux investisseurs : nous avons été les premiers, voire les seuls, à annoncer dès janvier 2009 que le marché de la production d'électricité allait baisser de 30 à 40 % cette année alors que nos commandes étaient bonnes. Il faut également être le plus transparent possible sur la réalité des métiers. Ainsi, à chaque fois qu'on me demande ce qui m'empêche de dormir, je réponds que ce sont les risques d'exécution des contrats. Pourtant nous n'avons jamais eu de problèmes dans ce domaine, mais ce risque sera toujours présent dans notre métier. En fait, les relations avec le marché sont en général plus simples que ce qu'on en dit souvent.

Certains hedge funds sont spécialisés sur les entreprises en difficulté. Quelles ont été vos relations avec eux ?

Les distressed funds nous ont été très utiles lors des difficultés d'Alstom. J'ai été très étonné en 2005, lorsque je faisais des road-shows et que j'allais voir, au nord de New York, des petites boutiques de gestion à Greenwich, de constater à quel point les gérants connaissaient Alstom et le droit de la faillite française sur le bou