L'ISR gagne les produits de taux

01/10/2009 - 15:49 - Option Finance

(AOF / Funds) - Après les actions, l'investissement socialement responsable (ISR) gagne rapidement du terrain parmi les produits de taux obligataires et monétaires. La pertinence de l'approche fait encore débat même si les sociétés de gestion mettent en avant le sérieux de leur méthodologie. L'intérêt des investisseurs pour les fonds ISR s'est confirmé au cours du premier trimestre 2009, puisque dans la catégorie des fonds ISR ouverts distribués en France (répertoriés par Novethic et Morningstar), seuls les OPCVM monétaires et obligataires ont affiché une progression positive de leurs encours. Cependant, dans cette catégorie, les leaders du marché de l'ISR depuis 2008 restent les fonds monétaires. L'an passé, leurs encours ont été multipliés par plus de cinq en l'espace d'un an, pour atteindre 6,2 milliards d'euros d'encours au 31 décembre 2008, contre seulement environ 1 milliard un an plus tôt. Et sur le premier trimestre 2009, ils ont enregistré la plus forte progression d'encours (+ 17,5 %), pour atteindre 7,3 milliards d'euros d'encours. De leur côté, les autres fonds ISR, c'est-à-dire les fonds diversifiés, les fonds de fonds, les fonds thématiques ISR actions et les fonds "best in class" actions (approche positive pour désigner les meilleurs comportements), ont enregistré, à fin mars, une contraction de leurs encours, avec respectivement -8,1 %, -7,5 %, -5,7 % et -3,6 %. La principale raison de cet intérêt tient à la diffusion de plus en plus large des analyses extra-financières dans la gestion d'actifs. Avec la crise, les analystes et les gérants ont cherché à multiplier les sources d'informations sur les valeurs sélectionnées afin d'affiner leurs choix. "Nous devons maintenant progressivement intégrer des critères extra-financiers dans la gestion d'actifs, indique Dominique Sabassier, directeur de la gestion de Natixis Asset Management (NAM). On ne peut plus analyser une entreprise sans prendre en compte son impact sur l'environnement, sa politique sociale ou encore ses pratiques en matière de gouvernance, car tous ces critères peuvent avoir des conséquences à terme sur son niveau de valorisation. On considère ainsi que les critères ISR constituent une approche complémentaire en matière de connaissance de l'entreprise et donc de gestion." De plus, depuis la crise, les investisseurs ont privilégié les fonds leur permettant de savoir exactement dans quels actifs ils investissent, ce qui a profité aux fonds monétaires ISR. "Au niveau technique, un fonds monétaire est ce qu'il y a de plus compliqué à lire car il peut investir dans de multiples instruments, comme les dérivés, les certificats de dépôt, les billets de trésorerie, explique Benoît Magnier, consultant chez Altedia IC. Mais pour les fonds monétaires ISR, comment analyser le caractère ISR d'un swap ou d'une option ? Pour contourner cette difficulté, la plupart des fonds monétaires ISR non risqués (réguliers) recourent à des instruments purs (billets de trésorerie). Leur portefeuille est donc plus lisible que celui d'un OPCVM monétaire non ISR."

La pertinence de la gestion ISR sur le court terme

S'il est croissant, cet engouement est néanmoins relatif dans la mesure où la gestion ISR représente à ce jour moins de 2 % de la gestion collective française et les produits de taux ISR environ la moitié de ces encours. Certains investisseurs s'interrogent d'ailleurs sur l'intérêt d'investir dans des produits de taux socialement responsables pour soutenir ou promouvoir l'ISR. Par leur nature même, les OPCVM monétaires et obligataires, qui ne confèrent aucun droit à leurs gestionnaires vis-à-vis des sociétés, semblent peu appropriés à l'ISR. Une autre réserve à l'égard de l'ISR Taux concerne plus particulièrement les fonds de trésorerie régulière ISR. En effet, leur horizon d'investissement à court terme (moins d'un an) apparaît peu compatible avec la perspective à long terme du comportement sociétal, environnemental, éthique et de gouvernance des émetteurs qui est évalué dans les fonds socialement responsables. Si certains expliquent qu'il n'existe pas à proprement parler d'ISR à court terme, d'autres pensent au contraire que les facteurs ESG (Environnement, Social et Gouvernance) ou socialement responsables sont applicables dans le court terme. "A partir du moment où nous demandons à des entreprises de faire des efforts sur le long terme, comme s'engager à diminuer leurs émissions de CO2, il nous paraît logique de leur faire confiance en les finançant à court terme", affirme Tony Du-Prez, gérant du fonds SGAM Invest Monétaire. A l'inverse les entreprises peuvent également être "sanctionnées" à court terme. "Si un accident majeur survient dans une entreprise qui ne lui permet plus de respecter les critères ESG sur la base desquels nous l'avons sélectionnée, les fonds monétaires ISR en tiennent compte, au même titre que les fonds ISR des autres classes d'actifs", explique David Diamond, coresponsable du développement ISR chez Allianz GI France. Cela étant, pour certains gérants, le débat sur l'intérêt d'un filtre de gestion ISR à un horizon de court terme n'a pas forcément lieu d'être. "Certes, la maturité des fonds monétaires ISR est très courte, mais, dans la pratique, le financement à court terme des émetteurs est crucial, explique David Diamond. De ce fait, nous participons largement au financement des entreprises dans la durée." Au-delà de la pertinence de l'approche ISR pour les produits de taux, les investisseurs s'intéressent également aux processus de gestion ISR utilisés par les sociétés de gestion. Bénéficiant de l'expérience des gérants actions, les méthodologies utilisées par les grandes maisons de gestion ont tendance à se normaliser rapidement pour les produits de taux et cela quelle que soit l'échéance des titres. Les gérants ne font en effet pas de différence, à quelques exceptions près, dans la façon dont ils sélectionnent les titres pour les produits monétaires et pour les produits obligataires. "Dans l'univers d'investissement des taux ISR, nous utilisons en premier lieu le même critère ESG pour les fonds monétaires et obligataires", explique Chloé Pruvot, spécialiste taux ISR chez Allianz GI France. Les différences de traitement concernent davantage le type d'émetteurs, selon qu'ils soient publics ou privés.

La normalisation des méthodologies

Pour les émetteurs privés, la plupart des gérants utilisent les mêmes grilles d'analyse que celles pour les actions ISR. "Notre grille d'analyse est la même que celle pour les actions", confirme de son côté Eric Vanlabeck, directeur de la recherche et du développement de Macif Gestion. Même approche chez BNP Paribas Asset Management : "Nous procédons pour les produits de taux de la même manière que pour les produits actions, indique Eric Borremans, responsable développement IRD chez BNP Paribas Asset Management. La recherche porte sur des émetteurs. La construction de portefeuille obéit à la même logique, les émetteurs qui passent le filtre extra-financier sont éligibles. Cela représente environ deux tiers de l'univers d'investissement". Ce dernier est plus large que pour les fonds actions. "L'univers à analyser est plus complexe que pour les actions. On peut dénombrer 400 émetteurs "corporate" zone euro (dont certains anglo-saxons qui émettent en euros) avec plus de 1 000 émissions", calcule Dominique Sabassier. Un travail à compléter en permanence. "Nous réalisons un travail important avec les analystes afin d'étendre autant que cela est possible le périmètre de notation, indique Stéphane Dutrey, gérant monétaire chez CAAM. Actuellement notre univers s'élève à 600 émetteurs. La direction des risques intervient également dans cette sélection en indiquant les limites en termes de montants et de maturité par émetteur." La plupart des grandes maisons de gestion utilisent le travail des agences de notation spécialisées dans l'ISR. Vigeo est l'agence la plus fréquemment citée, mais ses analyses ne sont toutefois pas exclusives. Les sociétés de gestion s'inspirent également de sociétés plus spécialisées sur l'environnement ou sur la gouvernance comme RiskMetrics. Elles tentent ainsi de multiplier les sources d'information. A ce titre, les travaux de certaines organisations non gouvernementales sont également utilisés. Si les analyses des agences servent de premier filtre, les grandes sociétés de gestion emploient des équipes importantes d'analystes spécialisés qui peaufinent ensuite leurs évaluations. "Les analystes se focalisent sur les entreprises pour lesquelles il existe des divergences d'évaluations entre les agences, ou entre ces dernières et nos propres vues", indique Dominique Sabassier. Les analyses extra-financières seront affinées en fonction du secteur. "Nous retenons quelques critères clés, plutôt qu'une moyenne de note, explique Dominique Sabassier. Pour le secteur bancaire, les aspects sociaux et de gouvernance nous semblent plus importants que l'environnement. Celui-ci sera davantage analysé pour des secteurs comme les services aux collectivités, par exemple, ou pour certaines grandes industries comme la Chimie." Pour Dexia Asset Management (AM), une note globale par entreprise est déterminée en cumulant analyse interne et externe. "Nous appliquons une méthode dite de 'best in class', c'est-à-dire que nous retenons les meilleurs de chaque secteur d'activité, relate Gaëtan Herinckx, responsable de l'investissement socialement responsable chez Dexia AM, en l'occurrence les meilleurs 50 %". Deux critères principaux sont utilisés par Dexia AM dans sa sélection. "Nous analysons la capacité des entreprises à gérer ses parties prenantes (relations avec les salariés, les tiers, etc.) et la durabilité de son offre de produits et de services, poursuit Gaëtan Herinckx. A ce titre, nous considérons par exemple son engagement par rapport au changement climatique ou son positionnement par rapport à de grandes tendances de long terme comme le vieillissement de la population. Chaque entreprise doit avoir une réponse aux défis du développement durable." Pas de différence notable pour le Crédit Agricole Asset Management (CAAM) qui possède une filiale, IDEAM, spécialisée dans l'analyse extra-financière. Celle-ci établit une note globale par émetteur prenant en compte les trois dimensions : environnement, social et gouvernance. "Nous recevons les notes ESG globales ainsi que leur décomposition par critère issue d'un référentiel standard que nous pouvons adapter dans le cas de mandat pour prendre en compte les référentiels spécifiques de certains clients", relate Alban de Fa[-104]˜, gérant obligataire chez CAAM. Là encore, une méthode de sélection "best in class" est mise en oeuvre.

L'adaptation de l'analyse ISR aux Etats

Pour les obligations émises par les Etats, "toute la difficulté est de construire une grille d'analyse, explique Eric Vanlabeck. Nous privilégions notamment les Etats qui affichent leurs priorités, comme la réduction de l'émission de CO2". Les méthodes utilisées sont plus complexes car elles cumulent l'analyse extra-financière et des critères d'exclusion. On retrouve en effet une constante au sein des sociétés de gestion, là encore quelle que soit l'échéance des titres, les Etats doivent être signataires d'un certain nombre de traités qui engagent leur responsabilité. "Si on tient compte de l'ensemble des critères ESG, la Finlande est un pays bien noté. Toutefois, elle a refusé de signer le traité sur les mines antipersonnelles, elle est donc exclue de notre sélection", indique Gaëtan Herinckx. Parmi les conventions internationales les plus citées figurent celles sur le t