Interview / J.-F. Palus, directeur général délégué-finances de PPR (1)

01/10/2009 - 16:04 - Option Finance

(AOF) - Après avoir débuté dans l'audit chez Arthur Andersen, Jean-François Palus, 47 ans, a effectué toute sa carrière au sein du groupe PPR où il a d'abord occupé en 1991 les fonctions de directeur général adjoint finances de la branche industrie-bois de Pinault SA avant de devenir successivement directeur du contrôle financier groupe puis directeur de magasin à la Fnac, enfin secrétaire général et membre du directoire de Conforama. En 2001, il rejoint la holding patrimoniale de François Pinault, Artémis, avant de revenir fin 2005 chez PPR comme directeur financier. Il a été nommé directeur général délégué finances en février 2008. Fondée sur une organisation décentralisée et la responsabilisation des équipes, la culture de PPR imprègne également la direction financière. Un mode de fonctionnement que Jean-François Palus a toutefois dû adapter à la crise pour répondre aux objectifs du groupe en termes de marge brute, de cash-flow libre et de réduction de coûts.

Alors que les analystes se montraient sceptiques en début d'année, votre cours de Bourse a progressé de 85 % ces derniers mois, soit nettement plus que le CAC 40. Comment l'expliquez-vous ?

La hausse du cours montre que la qualité de nos résultats est reconnue. C'est une façon de rendre justice à tous les collaborateurs du groupe, pour qui le cours constitue l'un des éléments les plus visibles de l'évaluation de leur performance. Ils avaient ainsi été très déçus de voir le titre chuter à partir de fin octobre 2007 et en 2008, malgré les efforts fournis et la publication de bons résultats. Grâce à la hausse actuelle, il est plus facile à présent de demander aux équipes de continuer à faire des efforts. Plus généralement, le fait d'avoir un actionnaire de contrôle stable est aussi un atout pour le groupe. Même si la crise dure encore un certain temps, cela ne modifiera pas notre objectif qui consiste à améliorer en permanence notre performance.

Avez-vous modifié vos relations avec les investisseurs ?

Bien évidemment, nous entretenons des relations régulières avec eux. La crise nous a néanmoins conduits à certains moments à faire preuve de plus de pédagogie, et à modifier notre approche. Par exemple, alors que le groupe est moins endetté qu'il y a deux ou trois ans, c'est paradoxalement plus un sujet de préoccupation aujourd'hui, en raison de l'aversion au risque de crédit qui caractérise le marché depuis la faillite de Lehman Brothers. Nous avons dû en tenir compte dans notre communication concernant la dette, car notre liquidité a, à un moment, suscité beaucoup de fantasmes. Ainsi, le jour où S&P a publié notre rating, un gros fonds d'investissement nous a appelés pour savoir si nous confirmions ce que l'agence de notation avait écrit ! De même, après avoir publié le montant de nos liquidités et expliqué que nous bénéficions de lignes de crédit confirmées non utilisées, certains nous ont demandé si nos banques pouvaient quand même refuser de nous prêter... Pour rassurer le marché, nous avons décidé de donner plus d'informations sur la qualité de nos fondamentaux et sur la dette. Dorénavant, nous donnons par exemple le ratio de couverture des besoins de financement par les liquidités. De même nous avons précisé dans notre rapport annuel comment se répartissaient les banques au sein de notre pool bancaire, pour montrer que la défaillance de l'une d'entre elles n'aurait pas de répercussions sur notre financement. Nous avons enfin développé notre relation avec les investisseurs et les analystes equity, mais aussi crédit.

Dans un groupe comme PPR, qui contrôle des sociétés de taille importante, l'organisation de la fonction finance répond-elle à des spécificités particulières ?

PPR est à l'origine un groupe entrepreneurial, ce qui se reflète dans son organisation et son style de management. Sa culture est ainsi fondée sur une organisation décentralisée qui favorise l'autonomie et la responsabilisation de tous les acteurs aux différents niveaux du groupe. Dans ce cadre, le rôle de PPR en tant que centre de décision et de coordination est extrêmement varié puisqu'il s'agit à la fois d'impulser, de contrôler et d'assister les branches. L'organisation de la fonction finance est calquée sur ce triptyque qui définit notre mission générale. Les équipes financières représentent au total environ 2 400 personnes dans le monde. Au siège, la direction financière, qui regroupe 76 personnes, recouvre six départements : les fusions-acquisitions, le contrôle financier, la communication financière, les financements, la trésorerie et les assurances, la fiscalité, le juridique. L'audit interne m'est rattaché d'un point de vue fonctionnel, mais il dépend hiérarchiquement de François-Henri Pinault, et entretient des liens très forts avec le comité d'audit.

Chacune des entreprises du groupe est-elle dotée d'une direction financière ?

Le groupe compte six directeurs financiers de branche, chacune de ces dernières étant dotée de sa propre équipe financière, juridique, et parfois même fiscale. Seules certaines fonctions régaliennes comme la communication financière, et les fusions-acquisitions relèvent de la responsabilité exclusive de PPR. Nous avons au siège des experts qui peuvent apporter un service continu, aussi bien sur des principes comptables, sur des points juridiques ou fiscaux techniques qu'en matière de gestion de trésorerie. Les filiales ont ainsi toutes un trésorier qui gère la partie opérationnelle (besoin en fonds de roulement, flux...), mais la trésorerie est centralisée par le biais d'un cash pooling (sauf pour Puma) tandis que les financements, les opérations de couverture de taux et de change de toutes les branches (y compris bientôt Puma) sont effectués chez PPR de manière à en optimiser les conditions. De même, la plupart des branches ont un fiscaliste, mais nous assurons la mission fiscale pour celles qui n'ont pas la taille suffisante ou veulent faire des économies. La direction fiscale au siège comprend ainsi un directeur groupe et deux collaborateurs qui sont aussi les directeurs fiscaux de la Fnac et de Conforama.

L'organisation a-t-elle évolué avec l'arrivée de François-Henri Pinault à la tête du groupe et votre nomination fin 2005 ?

Le style de management chez PPR est très souple, informel, direct. C'est moins l'organigramme qui a changé que le mode de fonctionnement. François-Henri Pinault a mis en place un système qui est cohérent avec le mode de fonctionnement décentralisé de PPR. C'est lui qui définit précisément la stratégie puis nous travaillons vraiment en équipe avec les patrons de branche, les directeurs financiers, les directeurs juridiques, les trésoriers... Avec la crise, le premier volet du triptyque - impulser, contrôle, assister -, c'est-à-dire l'input que nous insufflons aux branches, est plus fort qu'il y a 18 mois, mais je suis certain que nous reviendrons à terme à l'équilibre qui prévalait auparavant. Dans cette période troublée, mon rôle a cependant évolué car il y a un an, il relevait beaucoup plus de la maïeutique pour amener les patrons des branches à réagir, ce qui n'était pas évident ! François-Henri Pinault avait pressenti que la situation économique allait se dégrader et que l'on rentrait dans une période difficile. Dès avant l'été et en septembre-octobre 2008, nous avons donc passé beaucoup de temps avec les équipes pour les accompagner dans la mise en place des programmes d'adaptation. La prise de décision aurait peut-être été plus rapide dans un groupe centralisé mais notre conviction absolue, c'est que cela aurait été moins efficace. Pour qu'une décision soit bien exécutée, il faut que les dirigeants concernés s'approprient l'idée. Aujourd'hui ma mission est plus facile car elle consiste davantage à maintenir la motivation au sein des équipes et à discuter des nouvelles initiatives. Nous définissons des objectifs chiffrés précis, ambitieux, dont nous discutons avec les dirigeants des branches. Une fois que nous nous sommes mis d'accord, nous contrôlons régulièrement l'évolution des progrès. Tous les mois, François-Henri Pinault rencontre les CEO de chaque branche tandis que je vois également de mon côté en tête à tête le CEO puis le directeur financier des branches. J'ai en outre les directeurs financiers du groupe au moins deux ou trois fois par semaine au téléphone. Il y a douze mois, je donnais beaucoup de directives à suivre, aujourd'hui mon rôle relève davantage de l'animation. Je veux m'assurer que l'on déploie le maximum d'énergie pour améliorer nos performances.

En quoi ont consisté ces programmes d'adaptation et de réduction de coûts ?

François-Henri Pinault a défini trois lignes de conduite : préserver la marge brute, réduire les coûts et générer du cash-flow libre. Sur ces trois sujets, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, et nous avons mis en place un dispositif de pilotage avec un calendrier précis. Certains sujets nécessitaient des suivis trimestriels, d'autres mensuels, certains même quasi hebdomadaires. Sur chacun, nous avons instauré des points de rencontre avec les branches, parfois même avec leurs business units, pour mieux traiter les problèmes. Nos résultats au premier semestre montrent que nous avons commencé à tirer les premiers bénéfices de ces efforts.

Comment cet objectif général a-t-il été adapté en fonction des spécificités de chaque branche ?

C'est vrai qu'aujourd'hui PPR soutient beaucoup Redcats ou Conforama car ces branches sont en pleine phase de transformation de leur business model. Mais pour toutes les branches, nous avons adopté une approche très pragmatique et progressive, avec une constante commune : il est hors de question de se livrer à une guerre des prix. Nous avons donc pris chaque ligne de coût, chaque constituant de la marge brute, du cash-flow libre, et défini les moyens de l'améliorer en fonction des spécificités de chacune des branches. Par exemple, chez Gucci, la composante sourcing de la marge brute est moins importante qu'à la Fnac ou chez Conforama. Chez CFAO et Puma, le fait que les stocks étaient plus importants en début d'année avait une incidence plus marquée sur les rabais à consentir aux clients au premier semestre. De même, l'effet de certaines dépenses à moyen et long terme est plus important pour certaines branches que pour d'autres. C'est le cas notamment des dépenses de communication. Nous les avons moins réduites dans le luxe que chez Fnac, Conforama ou même La Redoute, car il ne fallait pas risquer de pénaliser la notoriété des marques concernées, et nous avons maintenu la part de voix de ces marques. Quant aux investissements, nous n'avons pas touché à ceux destinés à l'expansion du réseau de nos magasins de luxe en Asie, nous les avons même augmentés. En revanche nous avons fortement réduit les investissements moins essentiels.

Demain, retrouvez la suite de cet entretien exclusif avec Jean-François Palus, directeur général délégué - finances de PPR

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LEXIQUE

Marge brute : Le montant des ventes rapporté au coût des ventes constitue la marge brute. Ce poste ne tient pas compte des frais commerciaux, généraux et financiers : il faut donc dégager une marge brute assez élevée pour qu'une fois les frais déduits il reste une marge nette bénéficiaire. Cash flow : Mot anglais pour désigner un flux de trésorerie, il désigne les entrées ou sorties de liquidités. La notion de flux de trésorerie est essentielle en finance puisqu'elle permet d'évaluer tout investissement en fonction des liquidités qu'il va engendrer. Dans une entreprise, il existe trois circuits différents de circulation de la trésorerie : l'exploitation, l'investissement et le financement, qui sont repris dans le tableau de flux de trésorerie.