Eric Turjeman (SGAM) : "Le niveau des actions incite à l'achat"

02/10/2009 - 15:24 - Option Finance

(AOF / Funds) - Malgré la forte hausse déjà enregistrée par les marchés actions depuis le mois de mars dernier, Eric Turjeman, directeur des gestions actions de SGAM, n'anticipe pas de correction pour 2009. Dans un contexte de croissance faible l'année prochaine, il privilégie l'Asie émergente, qui devrait repartir avant les pays développés.

Que pensez-vous du niveau actuel des marchés actions ?

Alors que le niveau des marchés actions au mois de mars dernier, aux alentours de 2 500 points pour le Cac 40, était anormal, on peut dire aujourd'hui que le marché est correctement évalué en tenant compte des paramètres fondamentaux. En mars, le niveau des marchés induisait un recul des profits des entreprises d'une quarantaine de pour-cent pour 2009 et encore d'une quinzaine de pour-cent pour 2010. Mais, dès lors que nous avons finalement écarté le scénario de la crise de 1929, ces niveaux de marchés n'étaient pas cohérents avec une récession classique comme on a pu en connaître auparavant. Le niveau actuel des marchés actions, proche de 3 800 points pour le Cac 40, est pour sa part tout à fait normal. En termes d'évaluation financière, et compte tenu de la situation économique, il n'est pas aberrant de payer à peu près quinze fois les profits en moyenne pour le Cac 40. Selon les estimations des analystes, nous anticipons de payer à peu près douze fois les profits du Cac 40 en 2010, dans l'hypothèse où les profits rebondissent de 30 % en 2010. Ce qui signifierait que le marché a encore un potentiel situé entre 10 et 15 % si ce rebond des profits n'est pas remis en cause. Mais il est encore trop tôt pour le dire.

Une telle progression est-elle vraiment envisageable ?

La fin d'année devrait encore être positive, avec des résultats pour les entreprises au troisième trimestre qui ne seront pas plus mauvais que ce qu'anticipe le consensus. Mais la situation est très difficile en raison des déficits que les Etats vont devoir combler, sans doute en augmentant la pression fiscale, ce qui grèvera le pouvoir d'achat et donc pèsera sur les ménages. A l'inverse, si la reprise se manifeste, il y aura forcément une anticipation de remontée des taux d'intérêts, laquelle aura un impact négatif sur le marché. Je n'ai donc pas relevé mes objectifs affichés en début d'année de 3 800/3 900 points pour le Cac 40 pour fin 2009.

Et, pour la suite, peut-on s'attendre à une reprise durable de la croissance ?

Aujourd'hui, toute la question est de savoir comment les banquiers centraux et les gouvernements commenceront à écoper les liquidités qui inondent actuellement les marchés et, dans le même temps, rembourseront les déficits, qui atteignent des montants monstrueux. Une chose est sûre, avec la hausse du chômage dans les pays développés, il est encore trop tôt pour remonter les taux ou pour arrêter les dépenses publiques. Les banques centrales ne prendront pas le risque de remonter les taux d'intérêts, car cela casserait le peu de croissance dont on dispose. Je n'anticipe donc pas de remontée des taux avant la fin de l'année 2010. Les banquiers centraux préféreront prendre le risque de créer une bulle plutôt que d'arrêter la croissance. Reste la solution de l'inflation pour sortir de crise, ce que certains anticipent déjà comme le scénario le plus probable. Mais une véritable inflation ne peut se produire qu'en période de plein-emploi et de capacités de production saturées. Les conditions ne sont donc pas encore réunies. Il faut donc s'attendre à vivre avec une croissance faible l'an prochain.

De nouvelles bulles sont-elles déjà en train de se former ?

Lorsque les liquidités affluent en abondance sur les marchés, ces dernières se déversent sur n'importe quelle classe d'actifs (actions, obligations, matières premières...). Il est très difficile de prévoir d'où va venir la prochaine bulle, car cela dépend de la crainte qu'ont les opérateurs. Pour ceux qui anticipent une reprise de l'inflation, ils peuvent se diriger sur l'or, en tant que valeur refuge, et ainsi créer une bulle sur cet actif. A l'inverse, s'ils n'anticipent pas d'inflation mais une déflation, voire une dépression, la bulle peut par exemple se créer sur les obligations gouvernementales. En tout état de cause, pour qu'une bulle se forme, cela nécessite la conjonction entre un excès de liquidités et une pensée unique. Par chance, aujourd'hui, il y a encore débat. Je ne pense donc pas qu'il puisse y avoir une bulle dans l'immédiat. Pour les mois à venir, cela dépendra du timing des banques centrales pour résorber les liquidités présentes sur les marchés.

Compte tenu de toutes ces interrogations, est-ce vraiment le bon moment pour revenir sur les actions ?

Sur une très longue période - de 1870 à nos jours -, nous avons observé aux Etats-Unis qu'une des caractéristiques des marchés actions est de revenir sur leur tendance haussière de long terme, qui se situe en moyenne à 6,5 % au-delà de l'inflation. Actuellement, nous voyons que la performance des actions est en dessous de sa tendance de long terme. Le niveau des marchés actions incite donc plutôt à l'achat. Mais attention, je ne recommande cependant pas l'achat d'actions en ce moment pour un investisseur qui souhaite investir sur un horizon de court terme. En effet, statistiquement, selon nos études sur le marché américain, le risque de perte de pouvoir d'achat avec un investissement en actions décroît avec le temps. A un an, la probabilité de faire mieux que l'inflation n'est que de 70 %, alors que, à dix ans, elle passe à 90 %. Et, à vingt ans, quelle que soit la période, la rémunération procurée par le marché actions américain a toujours battu l'inflation. En d'autres termes, si l'on se réfère à ces statistiques, quelqu'un qui est entré sur les marchés d'actions en 2000 doit normalement avoir battu l'inflation en 2020. Or, celui qui est entré en 2000 est en forte baisse aujourd'hui. Comme on a fait la moitié du chemin (de 2000 à 2009) et qu'on est très en retard par rapport à la tendance de long terme des marchés actions, cela veut dire qu'un investisseur qui rentre maintenant a de fortes chances, sur les dix ans à venir, de rattraper le niveau d'il y a dix ans. Cela laisse une belle marge d'appréciation. C'est donc un bon moment pour entrer sur les actions, mais sur une longue période, plus précisément entre cinq et dix ans.

Sur quels actifs faut-il investir dans ce cas ?

Il n'y a pas eu de découplage entre les économies émergentes et les pays développés, mais la croissance des premières repartira plus vite que celle des secondes. Avec 8 % de croissance en 2009, la Chine sera la locomotive du monde dans la reprise économique. Le Brésil, qui se comporte bien, et l'Inde, qui va repartir, offrent également des opportunités. Pour l'instant, nous privilégions l'Asie émergente, que nous jouons au travers de sociétés européennes, lesquelles dégagent des bénéfices en grande partie du fait de leur exposition à des marchés émergents. En termes de secteurs, nous évitons les biens de consommation, surtout en Europe. Les matières premières ont quant à elles de belles années devant elles. A très court terme, il nous semble intéressant de privilégier des valeurs cycliques, car ce sont elles qui profiteront le plus des bonnes dispositions actuelles du marché d'ici à la fin de l'année, contrairement aux sociétés plus défensives qui, pour la plupart, en ont déjà profité. Il faut néanmoins faire attention aux valeurs cycliques de consommation, car nous risquons d'entrer dans un cycle particulier de croissance sans emploi néfaste à ces dernières. Propos recueillis par Floriane Tedoldi