Gestion alternative : un redressement difficile après la crise

14/10/2009 - 15:08 - Option Finance

(AOF / Funds) - Avec la crise, les encours de la gestion alternative ont littéralement fondu. Pour rassurer les investisseurs, les sociétés de gestion cherchent davantage à contrôler les risques et à encadrer la gestion. Un peu plus d'un an après le séisme déclenché par la faillite de Lehman Brothers dans la gestion alternative, l'heure est aux premiers bilans. Beaucoup de spécialistes prédisaient à l'époque une diminution radicale du nombre d'acteurs avec des taux de mortalité compris entre 40 et 60 % des fonds de gestion alternative, voire une disparition complète de certaines catégories de fonds, notamment les plus petits, ceux dont l'encours était inférieur ou proche de 100 millions. Un an après, si on reprend les statistiques d'Europerformance pour la France, la baisse des encours a été de 11 milliards d'euros entre le mois d'août 2008 et le mois de juillet 2009. Ils s'étaient réduits à 8,72 milliards d'euros fin juillet. Les opérations de rachat sur cette période se sont élevées à 9,2 milliards d'euros. Elles ne seraient pas d'ailleurs encore terminées, toutes les suspensions n'ayant pas été levées. Au niveau international, les données ne sont pas meilleures. "Aux Etats-Unis, les actifs en gestion alternative se sont réduits entre 30 et 35 %. En Europe et plus particulièrement en France et en Grande-Bretagne, la baisse est comprise dans une fourchette allant de 50 à 60 %, indique Cyril Julliard, président d'ERAAM. Enfin, en Suisse, la diminution a atteint les 80 % !" En termes d'encours, on serait passé de 2 100 milliards de dollars fin 2007 à 1,3 milliard fin 2008, la baisse ayant continué à se poursuivre au premier semestre. Les fermetures de fonds sont également importantes. "Nous avons mené une étude sur le taux de fermetures des hedge funds que nous avons estimé à partir du nombre de fonds ayant arrêté d'envoyer leur valorisation à la base de données HFR, relate Laurent Dupeyron, directeur général d'Olympia Capital Management. Il s'élève en 2008 à 28 % en moyenne. Le taux de fermetures, varie selon les stratégies : pour les fonds les plus liquides comme les 'global macro', il descend à 20 % et il grimpe à 37 % pour les moins liquides comme les 'relative value'." Le secteur apparaît donc pour le moins globalement sinistré. Toutefois, on assisterait depuis cet été à un redémarrage timide. "La décollecte s'est arrêtée au mois de mars, affirme Cyril Julliard. Depuis cet été, les investisseurs affichent à nouveau un intérêt pour la gestion alternative. Des appels d'offres ont même été lancés". Au niveau international, l'intérêt des investisseurs serait plus affirmé. "Les clients privés et institutionnels commencent à revenir, relate Serge Cadelli, directeur général de Man Investments. Nous ne sommes plus très loin, notamment grâce à la reprise des marchés, des points hauts atteints fin 2007." Pour certains fonds ayant bien passé la crise, le redressement serait même très rapide. "Même si ce n'est pas un reflet de la situation d'ensemble, certains des fonds dans lesquels nous avons investi, particulièrement performants, sont à nouveau sur le point de fermer face à l'afflux de souscriptions, indique Laurent Dupeyron, une situation impensable il y a quelques mois."

Les limites de la décorrélation

Les principaux freins à un redémarrage de la gestion alternative ne sont pas liés aux performances, qui n'ont pas démérité relativement aux autres classes d'actifs. En revanche, les gérants alternatifs comme les autres n'ont pas pris la mesure de la crise. "L'ensemble de l'industrie avait prévu la crise du crédit lié au subprime, explique Serge Cadelli. En 2007, les gérants se sont positionnés de façon à en profiter, mais ils n'avaient pas bien appréhendé l'intensité de la crise financière globale de l'automne dernier." Par ailleurs, le propre d'une crise systémique est à un moment donné d'empêcher toute décorrélation. Les investisseurs ont donc pris conscience que la gestion alternative ne pouvait pas en toutes circonstances constituer une assurance contre les risques de marché. Plus globalement, elle n'a pas répondu aux promesses affichées dans les discours commerciaux portés par des marchés ayant le vent en poupe. En effet, avant la crise, le succès de la gestion alternative était tel que le rapport de force était en faveur des sociétés de gestion qui refusaient des souscriptions et fermaient pour certaines leurs fonds. La gestion alternative était alors censée offrir une décorrélation par rapport aux marchés en matière de risque et des performances élevées. La crise a montré que cela n'est pas toujours le cas. Par ailleurs, elle a mis en lumière le fait que la gestion actif/passif n'était pas le point fort des gérants alternatifs. En effet, en France notamment, la liquidité des fonds proposés aux investisseurs obéissait à une même règle quels que soient les stratégies ou les instruments financiers utilisés. Or, parallèlement, la gestion alternative utilise dans ses fonds des techniques différentes avec des niveaux de liquidité différents, élevés par exemple pour le long/short sur actions et faibles pour le capital-investissement, et différents instruments, qui peuvent être négociés sur des marchés organisés, donc très liquides, ou de gré à gré, donc moins liquides. La panique qui a suivi la débâcle de Lehman a conduit les investisseurs à déposer des demandes de rachat qui faute de liquidité n'ont pu être honorées. Ces demandes se sont d'ailleurs effectuées en deux temps. "Après la faillite de Lehman, les clients privés ont voulu sortir de la gestion alternative pour réduire leur risque et aussi profiter des niveaux de rémunération très attractifs, entre 7 et 8 %, offerts sur les dépôts à terme, souligne Cyril Julliard. Les investisseurs institutionnels se sont retrouvés alors bloqués avec des suspensions temporaires de rachat (gates) et des fonds de cuve (partie du portefeuille avec des actifs non liquides)." Cette situation a conduit les gérants alternatifs et les multigérants qui les sélectionnent à en tirer un certain nombre de leçons. La plupart ont choisi maintenant de segmenter nettement leur offre. "Nous allons fournir une offre plus simple aux clients privés axée essentiellement sur les stratégies de long/short actions, car ils peuvent comprendre assez facilement les risques auxquels ils s'exposent, et des produits plus complexes pour les investisseurs institutionnels, indique Cyril Julliard. A ce titre, les fonds institutionnels auront une liquidité en adéquation avec les sous-jacents, à savoir trimestrielle". Le sur-mesure devrait également être développé pour la clientèle institutionnelle. "Les mandats permettent aux investisseurs, mais aussi aux gérants, de disposer d'un horizon de gestion plus serein, explique Cyril Julliard. Les investisseurs peuvent dans ce cadre bien maîtriser les risques. Par ailleurs, en ce qui concerne les fonds ouverts au public, les gérants auront tendance malgré tout à essayer de coller aux évolutions de marché afin de satisfaire aux exigences de la clientèle qui ne comprendrait pas une trop grande déconnection, notamment en phase de hausse."

Le développement des comptes gérés

Une autre méthode de travail est en train de se développer en multigestion. Il s'agit des comptes gérés. "Cette méthode consiste à créer un véhicule séparé du hedge fund qui réplique parfaitement sa stratégie, explique Serge Cadelli. Le gérant conserve uniquement la gestion, le fonds est contrôlé par la plateforme de comptes gérés qui va définir les critères de risque, vérifier les contreparties, évaluer la liquidité des titres, etc. La plateforme de multigestion peut avoir ainsi une vision complète des activités du fonds, la transparence est complète puisque les portefeuilles peuvent être directement contrôlés ligne à ligne." Actuellement 30 % des actifs de Man Investments transitent par cette nouvelle plateforme, l'objectif étant d'atteindre dans les prochains mois les 60 %. "Nous ne pourrons pas utiliser la plateforme pour tous nos investissements, car certains très bons gérants ne sont pas disposés à le faire, même si ces méthodes de gestion tendent à se développer très fortement", poursuit Serge Cadelli. Cette méthode, si elle permet de réduire les risques et de rassurer les investisseurs, pourrait toutefois avoir un impact sur la performance dans la mesure où le compte géré implique des contraintes de gestion supplémentaires. Il existe de ce fait statistiquement une différence de performance entre la gestion alternative menée à travers un compte géré et celle menée au sein d'un hedge fund traditionnel. En moyenne, et toutes stratégies confondues, les comptes gérés sous-performent de 1,8 % par an, ce qui correspond à une perte de près de 15 points de base par mois par rapport aux fonds originaux, indique Laurent Dupeyron. Les gérants qui acceptent d'utiliser ces plateformes enregistrent une baisse de leurs performances compte tenu des contraintes supplémentaires induites en matière de gestion". Ceci serait également vrai pour les fonds ou les fonds de fonds alternatifs qui cherchent à adapter leur gestion afin d'obtenir un agrément UCITS III. "La gestion alternative génère de bonnes performances parce qu'elle dispose d'un grand degré de liberté, rappelle Laurent Dupeyron. Dans un environnement juridique et réglementaire plus strict, même si la volatilité peut diminuer, les performances absolues et ajustées du risque seront presque systématiquement inférieures." Reste qu'après l'affaire Madoff, la transparence est devenue primordiale pour les investisseurs. Sandra Sebag

AOF - EN SAVOIR PLUS

LEXIQUE

Gestion alternative : La gestion alternative se définit fréquemment comme une gestion décorrélée des indices de marchés. Ce type de gestion repose sur des stratégies et des outils à la fois diversifiés et complexes c'est donc une gestion qui, par nature, reste réservée aux investisseurs avertis. Hedge Fund : Contrairement aux fonds " classiques ", les hedge funds visent des performances généralement déconnectées de la tendance générale des marchés actions ou obligations. Ces fonds que l'on qualifie souvent de "spéculatifs" utilisent des techniques très variées appliquées à un large éventail de marchés ou bien spécialisés sur un segment pour atteindre leur objectif de performance. Ils ont souvent recours aux produits dérivés, aux marchés à terme et à l'effet de levier. Ces fonds sont considérés comme une bonne diversification de portefeuille. "Hedge" signifie couvrir une position en prenant une autre position symétrique. Ceci ne signifie pas pour autant que tous les hedge funds pratiquent des stratégies " sans risque "