Private Equity : les investisseurs se font de plus en plus entendre

27/10/2009 - 10:04 - Option Finance

(AOF / Funds) - Peu enclins à voir leurs capitaux bloqués inutilement, les investisseurs en private equity n'hésitent plus à demander aux gérants de fonds de réduire la taille de ces derniers... comme de revoir à la baisse leur rémunération. Ces derniers mois, les rapports de force ont changé dans le monde du private equity. Alors qu'avant la crise, les gestionnaires de fonds (ou "general partners", GPs) étaient nettement en position dominante, depuis la faillite de Lehman Brothers, la tendance s'est inversée au profit des investisseurs institutionnels, les "limited partners" (LPs). "Avant l'été 2008, pour les gérants de fonds perçus comme les meilleurs, il suffisait presque de passer quelques coups de téléphone pour trouver des souscripteurs aux levées de fonds, car les LPs souhaitaient à tout prix accéder à ces fonds, raconte Nicolas de Nazelle, associé chez Triago, société qui conseille les fonds pour lever des capitaux. Avec la crise, la contraction des liquidités a rendu les levées de fonds beaucoup plus longues et difficiles, y compris pour les fonds les plus réputés." Plus rares, donc plus courtisés, les investisseurs profitent de leur nouvelle position pour négocier à leur avantage. Première évolution constatée depuis un an, les investisseurs institutionnels surveillent davantage les fonds dans lesquels ils ont investi. Ils sont tout d'abord plus réticents à apporter le complément de capitaux sur lesquels ils s'étaient engagés à l'origine. "Contrairement aux années 2004 à 2008 durant lesquelles les LPs poussaient les fonds à investir, ils les appellent aujourd'hui à la prudence, constate Nicolas de Nazelle. En effet, un certain nombre d'investisseurs rencontrent des problèmes de liquidité. Lors d'appels de capitaux, certains n'ont pas pu répondre, se mettant ainsi en situation technique de 'défaut'. Cela a été le cas davantage aux Etats-Unis qu'en Europe pour l'instant, mais touche plusieurs types d'investisseurs à travers le monde."

Plusieurs fonds poussés à la réduction de leur taille

Les opérations ayant été peu nombreuses ces derniers mois, les souscripteurs souhaitent parfois également réduire leurs investissements dans les fonds. "Pour la première fois, nous avons demandé à un fonds de réduire significativement sa taille, afin de diminuer notre engagement, confirme Patricia Jeanjean, gérant de portefeuille à la Caisse des Dépôts et Consignations, en charge de 85 fonds. En effet, nous trouvions que la taille du fonds, eu égard à l'environnement économique, était trop importante. En outre, nous avons pu faire jouer la clause d'homme clé, qui permet aux investisseurs de remettre en cause leurs engagements en cas de changements profonds dans l'équipe d'une société de gestion." C'est ce qui s'est passé récemment chez PAI Partners. Après le départ en août du directeur général Dominique Mégret et de son bras droit, Bertrand Meunier, suite notamment aux difficultés de plusieurs participations du fonds, la société a proposé à ses investisseurs de réduire de moitié leurs engagements pour le fonds V de 5,4 milliards d'euros. Insuffisant, pour certains investisseurs - parmi lesquels le Canada Pension Plan Investment Board -, qui souhaiteraient apparemment diminuer leur participation de 70 %. C'était déjà sous la pression des LPs, et dans le cadre de la clause d'homme clé, que la société européenne Permira avait ramené la taille de son fonds IV de 11 à 9,5 milliards d'euros en décembre dernier. De même, en février, l'américain Texas Pacific Group (TPG) a réduit la taille de son fonds - levé en 2008 avec 6 milliards de dollars pour investir dans des entreprises du secteur financier en difficulté -, en proposant aux souscripteurs de leur retourner 25 % des montants engagés.

Trop peu de communication chez les grands fonds

Plus vigilants, les investisseurs se montrent aussi très exigeants sur la transparence des fonds. Une demande à laquelle les GPs répondent de manière inégale, selon que le fonds est grand ou petit. "Un bon gérant se doit de communiquer, car nous n'irons jamais investir auprès d'une équipe qui n'est pas transparente, assure Agnès Nahum, cofondatrice d'Access Capital Partners, société de gestion spécialisée dans les fonds de fonds. La plupart des GPs avec lesquels nous travaillons, principalement des fonds de taille moyenne d'environ 300 millions d'euros, sont extrêmement transparents avec les investisseurs. Nous disposons de beaucoup d'informations sur les sociétés, l'évolution de l'Ebitda... Mais il reste du travail à faire du côté des grands fonds de buy-out, qui communiquent encore trop peu." Ce que confirme Patricia Jeanjean. "En France, lorsqu'ils dépassent le milliard d'euros, les fonds ont du mal à comprendre que la transparence passe par la rencontre des LPs en dehors des levées de fonds", souligne-t-elle. La transparence varie cependant selon la situation géographique du fonds. "Certains GPs anglais et d'Europe de l'Est jouent vraiment le jeu, en transmettant par exemple leurs valorisations tous les mois, poursuit la gérante de la CDC. A contrario, dans d'autres pays, des fonds attendent le dernier moment pour nous présenter des valorisations qui ne correspondent plus aux valeurs de marché, car elles se réfèrent à des multiples d'acquisition trop élevés. De même, certains nous parlent trop tard de problèmes dans les équipes." Or, les investisseurs attendent précisément que les GPs leur fassent part le plus rapidement possible des obstacles qu'ils rencontrent. "Depuis six mois, je suis contactée deux à trois fois par mois par des gestionnaires qui veulent changer le règlement de leur limited partnership agreement, constate Patricia Jeanjean. Nous accédons à certaines demandes, comme autoriser une équipe à augmenter sa participation de 15 à 20-23 % dans une société qui a besoin de trésorerie ou de renégocier sa dette. Mais pas question de rallonger la période d'investissement des LPs, ni d'accepter le changement de stratégie d'un fonds de buy-out important qui souhaite passer au rachat de dettes décotées, car ce n'est pas dans cette stratégie que nous avions choisi d'investir." Mais le point le plus délicat à régler dans les relations LPs/GPs reste la rémunération. Les investisseurs institutionnels se montrent beaucoup plus regardants sur l'alignement des intérêts des deux parties, règle d'or du private equity. "A chaque crise, les termes de ce modèle historique pour le secteur sont remis en cause", rappelle Nicolas de Nazelle. Traditionnellement, les frais de gestion ("management fees") rémunèrent les GPs à hauteur de 2 % du montant du fonds. Pour un véhicule de "petite" taille, 100 millions d'euros par exemple, ils permettent ainsi de couvrir les sommes engagées pour payer le loyer, l'équipe... "Mais le sujet fait débat depuis plusieurs années, en particulier pour les très gros fonds qui ont continué à exiger des frais de 2 % sur des fonds de plus de 10 milliards de dollars, indique Nicolas de Nazelle. Ces commissions de gestion ont notamment permis aux gérants de se verser des salaires et bonus élevés, sans lien direct avec la performance, que rétribue normalement le 'carried interest'". A la Caisse des Dépôts, par exemple, les frais de gestion supérieurs à 1,5 % ne sont désormais plus tolérés. Conséquence, certains fonds ont compris qu'il fallait s'ajuster... et ne pratiquent plus de frais fixes. "Ces frais doivent être adaptés en fonction de la taille du fonds, des conditions, du nombre de membres de l'équipe..., reconnaît ainsi Philippe Nguyen, président de la société d'investissement Investors in Private Equity. En effet, il ne faut pas ponctionner les fonds avec des commissions trop élevées, mais, au contraire, privilégier les plus-values pour les investisseurs. Les commissions de gestion sont avant tout destinées à couvrir les besoins strictement nécessaires à la bonne sélection et à la gestion des participations." Au problème des frais de gestion se greffe la question du carried interest. Une fois le capital initial remboursé aux investisseurs, les GPs bénéficient en effet d'un intéressement à la performance financière du fonds, à partir d'un taux de rendement généralement de 8 %, le "hurdle rate". Si la rentabilité est supérieure à 8 %, les GPs reçoivent ainsi un "carried interest" représentant 20 % de la plus-value.Un intéressement que certains LPs jugent aujourd'hui trop élevé. Ils vérifient également que le carried interest est bien réparti dans l'équipe de gestion. "Dans une période économique difficile, il est important de pouvoir compter sur une équipe stable", justifie Patricia Jeanjean. La crise étant encore loin d'être finie, comme le montre la chute des levées de fonds en France (dont le montant a diminué de 88 % au premier semestre, selon les chiffres de l'Afic), les LPs devraient avoir de moins en moins de mal à faire entendre leurs voix dans les mois qui viennent... Gaëlle Fleitour