Dossier "Où investir en 2010 ?" (2)/ Entretien avec H. Donnadieu (BCG)

05/11/2009 - 15:11 - Option Finance

(AOF / Funds) - Entretien avec Hélène Donnadieu, chef de projet senior, manager de la practice gestion d'actifs au niveau mondial, et coauteur de l'étude Global Asset Management 2009 "Conquering the Crisis"

Quelles traces laissera la crise dans le monde de la gestion d'actifs ?

En 2008, la valeur des actifs gérés par des professionnels de la gestion d'actifs dans le monde a baissé de 18 % après avoir connu une croissance moyenne annuelle de 12 % entre 2002 et 2007. La marge opérationnelle des gestionnaires d'actifs est tombée à 34 % des revenus nets à la fin de 2008, au plus bas en cinq ans, contre 38 % un an plus tôt. La détérioration des niveaux de rentabilité du secteur devrait se poursuivre, malgré l'embellie récente sur les marchés, essentiellement du fait de changements en termes de mix produits. Dans ce contexte de forte détérioration de leurs résultats, les sociétés de gestion ont rapidement réagi en mettant en place des mesures de rationalisation afin d'améliorer leur structure de coûts. Le secteur va d'ailleurs poursuivre sa consolidation. Une logique d'industrialisation renforcera la tendance des fusions et acquisitions. Pendant la crise, le défi des sociétés de gestion consistait à conserver leurs clients. Aujourd'hui, ces efforts se poursuivent, mais elles sont également de nouveau à la recherche de croissance. Au même moment, les investisseurs analysent leurs allocations et se préparent à redistribuer les cartes. Ce qui présage d'une année très active au niveau commercial.

Comment les sociétés de gestion parviendront-elles à reconquérir la confiance des investisseurs ?

La collecte a redémarré, mais la confiance n'est pas véritablement de retour. Les dommages ont été plus forts que ceux causés lors de l'éclatement de la bulle Internet au début des années 2000. En effet, davantage d'investisseurs ont été touchés, y compris sur des classes d'actifs supposées fiables. Aujourd'hui les investisseurs institutionnels exigent plus de transparence. La crise a mis en relief l'importance des risques de marché et de liquidité, sous estimés jusqu'à présent, et non seulement des risques opérationnels. Les sociétés de gestion doivent désormais montrer qu'elles ont une bonne connaissance de l'impact des événements de marché sur chacun de leurs portefeuilles, en détail et en temps réel. Elles investissent d'ailleurs dans des systèmes plus complets et renforcent l'indépendance et le poids de leurs organisations de risques, qui par exemple interviennent plus activement lors de la conception de nouveaux produits. Pour leur part, les investisseurs individuels ont ressenti des lacunes au niveau du conseil, des informations sur le niveau réel de risque de leurs placements. Les réseaux ont besoin d'une proximité accrue de la part de leurs fournisseurs et du renforcement des plateformes de soutien à la vente. La crise n'est pas finie. Le scénario en dents de scie qui semble se profiler sur les marchés dans les mois qui viennent ne sera pas très favorable à un retour de la confiance. Les gérants devront démontrer qu'ils peuvent faire la différence. En effet, les investisseurs institutionnels refuseront de payer plus de frais pour des produits gérés activement, si les gérants ne peuvent démontrer une capacité à générer des retours supérieurs à ceux des produits gérés passivement.

Comment voyez-vous évoluer le mix produit de l'industrie de la gestion dans les années qui viennent ?

Nous allons continuer à assister à une réévaluation des classes d'actifs. Le marché devrait connaître un déclin continu des produits actions au profit des produits de taux, alors que les investisseurs réexaminent leurs profils de risques. On attend de plus des transferts par les fonds de pension de leurs actifs vers des titres moins volatils, pour répondre au départ en retraite des baby-boomers. Les nouvelles normes comptables (Solvency II) devraient également freiner les investissements en actions. Nous nous attendons par ailleurs à la poursuite des transferts d'investissements de la gestion active vers des produits gérés passivement. Les investisseurs vont aussi maintenir la pression sur les frais. Du côté de la gestion alternative, qui a beaucoup souffert de la crise, nous assistons à une rationalisation de l'industrie. Les produits alternatifs resteront néanmoins une classe d'actifs importante dans une optique de diversification. De bonnes performances pendant la crise et des efforts au niveau de la transparence permettront à certains acteurs de se démarquer. Enfin, nous constatons un intérêt accru pour des solutions d'investissements sur mesure. Plutôt que des produits, les investisseurs attendent désormais qu'on leur propose des solutions d'investissement. Pour les investisseurs institutionnels, cela se traduit notamment par la croissance de la gestion LDI (liability-driven investment). Du côté des particuliers, les produits d'allocation comme les fonds flexibles apportent une réponse qui permet de déléguer les décisions d'investissement au gérant en lui donnant d'importantes marges de manoeuvre pour s'adapter aux conditions de marché.

La crise va-t-elle freiner l'innovation ?

On a constaté par le passé que les sociétés de gestion qui réalisent les collectes les plus dynamiques sont celles qui lancent de nouveaux fonds. Les fonds de moins de trois ans sont généralement ceux qui attirent le plus les investisseurs. Cette tendance ne s'est pas démentie pendant la crise. L'innovation - que ce soit en termes de marketing ou d'innovation produit - reste au coeur de l'industrie de la gestion même si, en parallèle, on assiste à une rationalisation des gammes de produits. Propos recueillis par Guitel Cohen-Cebula