Analyse / Etats-Unis : un budget schizophrène ?

08/02/2010 - 15:26 - Option Finance

(AOF / Funds) - L'estimation qui vient d'être publiée de la croissance américaine au dernier trimestre 2009 peut sembler rassurante. Une hausse du PIB de 5,7 % en rythme annuel, venant après un chiffre plus modéré mais positif au trimestre précédent, confirme que l'économie américaine est sur le chemin de la reprise. Bien sûr, l'évolution des stocks a joué un rôle important dans l'accélération observée de la croissance, la demande finale domestique progressant, elle, un peu moins vite qu'au troisième trimestre. Le fait que les entreprises aient fortement réduit le rythme auquel elles puisent sur leurs stocks n'est toutefois pas un facteur simplement "technique" comme on le dit parfois. Certes, la contribution des stocks à la croissance a peu de chance de rester longtemps aussi élevée. Mais en faisant remonter le niveau d'activité - après l'avoir fortement déprimé au plus fort de la crise - l'évolution des stocks participe à l'enclenchement d'une mécanique qui devrait pousser peu à peu les entreprises à dépenser plus. La remontée de l'activité va en effet tendre le taux d'utilisation des capacités, d'autant plus vite qu'avant même la crise, l'investissement en équipement avait peu progressé et qu'au moment de la crise les commandes de biens d'équipement ont été coupées à une vitesse jamais vue. Les entreprises américaines, dont les capacités de production sont en train de se contracter, vont être poussées à accroître leurs investissements : le progrès observé au dernier trimestre 2009, dû largement à des mesures de soutien fiscal, devrait donc se poursuivre... malgré l'expiration de ces mesures. La question est de savoir si la tendance à comprimer les effectifs va maintenant elle aussi s'inverser. Comme les autres postes de dépenses, les effectifs ont été coupés avec une force extrême lorsque l'activité a chuté. Ils n'ont toujours pas recommencé à progresser. Or seule une reprise des créations d'emplois pourra rassurer complètement sur la pérennité de la reprise. On comprend dans ces conditions l'apparente schizophrénie du projet de Budget 2011 que vient de présenter l'administration Obama. D'un côté, elle explique vouloir à terme enrayer la montée de l'endettement public et cherche à crédibiliser cette volonté en annonçant des mesures de plafonnement des dépenses et de hausses d'impôts. De l'autre, loin de se laisser rassurer par la reprise de la croissance, elle envisage pour l'exercice fiscal qui commence en octobre des mesures supplémentaires de stimulation, ciblées sur les créations d'emplois et le soutien de la consommation. Cette prudence est justifiée. Paul Krugman souligne ainsi depuis des mois que les coûts budgétaires d'une reprise qui tournerait court seraient supérieurs à ceux du soutien nécessaire pour l'éviter. Le président Obama veut tout faire pour ne pas perdre l'acquis des politiques menées jusqu'ici : la conjoncture de la deuxième partie de l'année 2009 a été plutôt favorable et la hausse de la Bourse observée depuis l'été dernier, jointe à la stabilisation des prix immobiliers, va produire des effets de richesse propices à une reprise de la dépense des ménages. Mais pour que s'enclenche une dynamique de croissance auto-entretenue, l'emploi et avec lui la masse salariale doivent maintenant progresser. D'où la proposition de mesures de soutien supplémentaires... et le maintien d'un déficit public gigantesque - proche de 1 300 milliards de dollars sur l'exercice 2011. Dire ce qui restera du budget du président au terme du débat politique qui commence n'est pas facile : depuis quelques mois, le Congrès est loin d'avaliser purement et simplement les propositions présidentielles ! Le projet présenté n'en montre pas moins combien, pour l'économie américaine comme pour plusieurs autres économies développées, la sortie de crise va être longue et combien les politiques économiques deviennent délicates à mener. Car lorsque le resserrement budgétaire va, à partir de fin 2011 au plus tôt, commencer vraiment, la conjoncture a toutes chances de rester vulnérable et le marché du travail dégradé. La politique monétaire sera alors seule à pouvoir fournir une "assurance anti-rechute". La politique de la Réserve fédérale devra donc rester relativement accommodante pendant une "période étendue". Mais un de ses gouverneurs ne vient-il pas déjà d'exprimer son désaccord sur ce point ? Un bon chiffre de croissance ne fait décidément pas le printemps... Par Anton Brender, chef économiste, Dexia AM