"Même à long terme, les actions peuvent être risquées" (O. Garnier)

08/02/2010 - 15:27 - Option Finance

(AOF / Funds) - Alors que les actions sont réputées être les placements à long terme les plus avantageux, l'étude de leur performance sur très longue durée montre qu'elles peuvent être également risquées. Pour Olivier Garnier, chef économiste du groupe Société Générale, être toujours investi au maximum dans cette classe d'actifs ne constitue donc pas forcément le choix le plus pertinent pour un investisseur de long terme.

En dix ans, la crise Internet puis celle des subprimes ont entraîné de fortes chutes des marchés boursiers. Quels enseignements en tirer pour un investisseur de long terme ?

Deux idées reçues ont été remises en cause par la crise. La première, c'est que, sur le long terme, les actions constituent l'investissement le plus rentable et le moins risqué. La seconde, c'est qu'un investisseur de long terme doit toujours rester pleinement investi en actions. Or la crise a montré que les actions peuvent être risquées, y compris sur le long terme, et que l'allocation dite stratégique ne doit pas être figée.

En quoi les actions peuvent-elles être finalement risquées à long terme ?

Les statistiques qui tendent à démontrer le faible risque des actions à long terme se fondent sur les seules données américaines. Elles sont donc entachées d'un biais de sélection, car l'économie américaine a été la "success story" du xxe siècle, et n'a pas non plus été affectée par des guerres sur son territoire national. Selon ces données couvrant la période 1872 et 2008, plus la durée de détention des actions s'allonge, plus le risque de perte et de sous-performance paraît diminuer : on ne trouve aucune période de 20 ans durant laquelle la rentabilité réelle des actions a été négative ou inférieure à celle des placements de taux. Pour autant, dans d'autres pays comme l'Allemagne, la France ou le Japon, qui ont connu des chocs importants (guerres sur leur territoire, hyperinflation...), on trouve des périodes de rentabilité réelle négative pouvant dépasser 50 ans ! En conséquence, l'investisseur de long terme en actions, c'est-à-dire qui achète avec un horizon de 15-20 ans ou plus, ne doit pas négliger les risques extrêmes, dont la probabilité est très faible mais l'impact très fort.

La performance des actions vient-elle essentiellement de la hausse des cours ?

En fait, les plus-values sont prédominantes dans la performance des actions à 3-5 ans, mais pas sur le très long terme. Aux Etats-Unis, l'indice du cours des actions corrigé de l'inflation était en 1986 au même niveau qu'en 1929 ! Sur le très long terme, les deux tiers de la performance totale des actions viennent du dividende et de son réinvestissement. Hors dividendes, la rentabilité réelle à long terme de la Bourse américaine tombe à 1,5 % par an en moyenne, au lieu de 6 % pour la rentabilité réelle totale. Ainsi, sur un siècle, la performance des actions est cent fois plus élevée si l'on prend aussi en compte les dividendes, par rapport à la seule évolution des cours.

Les obligations sont-elles un placement plus sûr à long terme ?

Non, à cause notamment des chocs inflationnistes. De fait, dans les périodes où les performances des actions ont été mauvaises, celles des obligations ont été souvent similaires ou même pires ! Cela a été le cas en France et au Japon entre 1900 et 1950 par exemple. Et sur 50 ans en France (sur la période 1854-2008), la fréquence de surperformance des actions par rapport aux emprunts d'Etat est de 72 % sur 10 ans et de 96 % sur 50 ans. Une analyse plus approfondie montre en outre que le risque des obligations augmente avec la durée de détention. C'est d'ailleurs avant tout pour cette raison que le risque relatif des actions par rapport aux obligations diminue avec l'horizon de placement. Certes, sur les 25 ou 30 dernières années, la rentabilité réelle des obligations a été supérieure à 6 % par an en moyenne, et proche ou au-dessus de celle des actions. Mais de telles performances obligataires sont tout à fait exceptionnelles, et s'expliquent par le grand mouvement de baisse de l'inflation et des taux d'intérêt enregistré depuis le début des années 1980. Mais, compte tenu des niveaux actuels des taux, il est difficile d'extrapoler de semblables performances sur les obligations dans les années qui viennent.

Pourquoi, alors, l'investisseur de long terme n'a-t-il pas intérêt à être toujours investi au maximum en actions ?

Dans le domaine des actions, les cycles de valorisation sont longs et prévisibles. Par exemple, si l'on calcule un PER du marché américain corrigé du cycle (en lissant l'évolution des profits au dénominateur de ce ratio), on constate que celui-ci a tendance, sur le long terme, à revenir vers son niveau moyen. En d'autres termes, quand ce PER est très bas comme au début des années 1980, la probabilité d'enregistrer une bonne performance au cours des 15-20 années qui suivent est plus élevée. C'est l'inverse lorsque ce ratio est très haut comme à la fin des années 1990. Si l'on retient cette approche, les valorisations constatées en 2009 constituaient une bonne opportunité pour un investisseur à long terme. Aujourd'hui, sans être chères, elles sont repassées au-dessus de leur moyenne (toujours en corrigeant les profits du cycle) et ne sont donc plus spécialement attractives dans une perspective longue. Bien entendu, ceci ne préjuge pas de la performance dans les 6 mois qui viennent, ni même à un horizon limité à quelques années.

Quelles conclusions en tirer pour la gestion d'actifs ?

Dans la gestion, on distingue traditionnellement l'allocation stratégique et l'allocation tactique. La première est définie une fois pour toutes sur la base du passif de l'investisseur et des rentabilités historiques. L'allocation tactique consiste, pour le gérant, à essayer de surperformer ce benchmark stratégique en faisant des paris d'allocation à court terme. Pour un investisseur de long terme, cela signifie que l'allocation stratégique reste figée, quels que soient les grands cycles de marché. Il ne prend donc pas en compte les phénomènes de prévisibilité à long terme, qui permettent pourtant de réduire le risque à long terme de son placement. Il vaudrait mieux mettre en place une allocation "contra-cyclique", consistant à réviser périodiquement l'allocation stratégique en fonction des grands cycles affectant la valorisation des actions et les taux obligataires. Mais ceci suppose que l'investisseur puisse supporter plusieurs années de sous-performance, ce qui peut être le cas d'institutions avec des horizons de placement à très long terme, comme les fondations universitaires par exemple.

Peut-on réduire le risque d'investir en actions ?

On ne peut pas le réduire, mais on peut essayer de mieux le mutualiser. Dans le domaine de la retraite, par exemple, il faut faire jouer la complémentarité entre les systèmes, en conjuguant la retraite par répartition, qui ne bénéficie pas de la surperformance des actions sur le long terme, avec l'épargne-retraite à cotisations définies (de type PERCO), qui ne bénéficie pas de la mutualisation des risques entre générations. L'épargne collective peut aussi permettre de constituer des réserves durant les bonnes années, sur lesquelles on tirera pendant les périodes plus difficiles. De tels mécanismes de mutualisation peuvent être utiles pour ne pas être complètement exposés au risque rare, mais possible, de traverser plusieurs décennies de mauvaises performances boursières. Propos recueillis par Valérie Nau