L'harmonisation des fonds monétaires fait débat

31/05/2010 - 10:23 - Option Finance

(AOF / Funds) - Attendues depuis de nombreux mois, les nouvelles dispositions concernant la réglementation des fonds monétaires au niveau européen viennent d'être rendues publiques par le Comité européen des régulateurs (CESR), le 19 mai dernier. Elles seront applicables à compter du 1er juillet 2011, avec une période transitoire de six mois supplémentaires pour les fonds créés avant cette date. Dans le détail, le CESR a défini deux catégories de fonds monétaires : des fonds monétaires à court terme et des fonds monétaires sans précision de durée dans l'intitulé mais avec des titres en portefeuille d'une durée plus longue. Les premiers devront investir dans des titres d'une durée de vie résiduelle inférieure à 397 jours, et afficher une maturité moyenne pondérée de 60 jours maximum et une vie résiduelle moyenne de 120 jours. Pour les fonds monétaires, ces limites se portent à deux ans, six mois et douze mois. Par ailleurs, les fonds monétaires, quelle que soit la catégorie, ne pourront investir que dans les actifs les mieux notés par les agences de notation Moody's et Standard & Poor's, l'agence de notation Fitch n'ayant pas été retenue. Enfin, les fonds monétaires (catégorie la plus longue) pourront investir dans des obligations souveraines si elles sont notées "investment grade". L'Autorité des marchés financiers (AMF) avait déjà proposé de labelliser les fonds monétaires et d'afficher dans les notices des précisions quant à la durée de vie moyenne et maximale des titres en portefeuilles, sans pour autant créer deux catégories différentes. Elle s'est félicitée toutefois dans un communiqué des nouvelles règles définies par le CESR et s'est engagée à les transposer rapidement. En revanche, l'Association française des gestionnaires financiers (AFG), si elle salue l'harmonisation des fonds monétaires au niveau européen qu'elle appelait de ses voeux, a énoncé un certain nombre de critiques. Elle estime notamment qu'il aurait mieux valu laisser les gammes s'adapter aux besoins des différents types d'investisseurs. La création de deux catégories risque en outre, selon elle, de favoriser la concurrence des fonds monétaires anglo-saxons. "Le fait qu'il y ait deux catégories, et notamment une qualifiée de 'fonds monétaires court terme', pourrait laisser croire aux investisseurs non avertis que la catégorie de référence est cette dernière, précise Eric Pagniez, délégué général adjoint de l'AFG. Par ailleurs, les promoteurs étrangers des fonds à valeur liquidative présentée comme constante pourraient user de cet argument pour laisser croire que leurs fonds sont plus sécuritaires que ceux valorisés en toute transparence en valeur de marché, comme c'est le cas en France." L'AFG s'interroge également sur l'utilisation des notations, et notamment des meilleures, qui pourrait conduire les gestionnaires à privilégier les titres des Etats au détriment des titres émis par les entreprises. Ces craintes sont diversement ressenties par les gestionnaires. Certains considèrent notamment que les investisseurs pourraient mener des arbitrages opportunistes en fonction de l'évolution des marchés. "Les investisseurs ont un comportement pragmatique. Lorsque les marchés seront calmes, ils auront tendance à s'orienter vers la catégorie la plus extensive, indique Thierry Darmon, responsable adjoint de la gestion obligataire euro chez Amundi. En revanche, face à la mise en place d'une double classification, monétaire et monétaire court terme, ils devraient avoir tendance à se replier vers la seconde catégorie en cas de marchés agités, ce qui pourrait induire des cessions forcées de positions dans les portefeuilles de la catégorie la moins restrictive, entretenant de fait la montée de l'aversion au risque." Pour d'autres gérants, la création de deux catégories pourrait handicaper leur développement. "La seconde catégorie va-t-elle pouvoir se développer aussi bien que la première, qui risque de devenir la référence en matière de fonds monétaires ?" s'interroge Alain Richier, responsable de la gestion monétaire chez Natixis Asset Management. En revanche, les limites imposées afin de contrôler le risque de crédit ne devraient pas, d'après les gestionnaires, les handicaper. "Nous avons déjà adopté une approche très conservatrice en matière de fonds monétaires, poursuit Patrick Siméon, responsable gestion monétaire chez Amundi. Nous privilégions les meilleures notations, à savoir P1 et P2 pour Moodys et A1+, A1 et A2 pour Standard & Poor's. Nous avons utilisé des titres notés A3/P3, mais de façon beaucoup plus marginale, compte tenu d'un gisement d'émetteurs beaucoup plus réduit pour cette catégorie de notation." A l'identique, les durées de vie moyenne et maximale utilisées par les gérants sont souvent en deçà des recommandations du CESR. "La durée moyenne de nos fonds cash correspondant à la catégorie court terme est de trois mois alors que le CESR préconise 120 jours", indique Alain Richier. Par conséquent, les adaptations pour mettre les gammes aux normes ne devraient pas poser de problèmes majeurs aux sociétés de gestion qui avaient déjà pour beaucoup d'entre elles reconfiguré leurs offres. "Nous avons reconsidéré depuis 2008 notre gamme de fonds monétaires en créant deux catégories, explique Alain Richier. Il y a déjà un certain temps que les directions qu'allaient prendre les régulateurs avaient été rendues publiques." Les trésoriers d'entreprise sont nettement plus critiques vis-à vis de la nouvelle réglementation. Si la création de deux catégories répond à leurs attentes, ils s'insurgent contre les limites imposées en ce qui concerne les titres éligibles en portefeuille. "Les agences de notation sont critiquées depuis plusieurs années, rappelle Olivier Bornecque, président de l'Association française des trésoriers d'entreprise (AFTE), et pourtant, on semble les reconnaître, voire les mettre en avant, en conditionnant l'éligibilité de tel ou tel support à la note attribuée. Des billets de trésorerie émis par des entreprises comme Michelin ou Lafarge, par exemple, notées A3 et/ou P3, ne pourront ainsi plus être éligibles." Si les entreprises notées A3 et P3 ne pourront plus être sélectionnées, paradoxalement, des entreprises qui ne sont pas notées pourront l'être. "Le texte prévoit que si les sociétés de gestion disposent d'un service interne d'analyse des sociétés, elles pourront sélectionner des entreprises non notées sous réserve qu'elles soient de même qualité que les entreprises les mieux notées, poursuit Olivier Bornecque. Par conséquent, des entreprises notées A3 et/ou P3 pourraient faire le choix, pour continuer à bénéficier de financements à court terme moins chers que les financements bancaires, de ne plus se faire noter." Et l'AFTE de s'interroger : "On privilégie les entreprises les mieux notées ou celles qui ne le sont pas, et on n'incite pas ainsi les entreprises à faire l'effort de se faire noter, alors que cette démarche peut encourager la transparence", conclut Olivier Bornecque. Cette réglementation pourrait ainsi susciter de nouvelles contraintes et donc de nouvelles difficultés pour le financement des [-16]ðentreprises. Sandra Sebag