Le private equity et l'immobilier commencent à s'intéresser à l'ISR

31/05/2010 - 10:58 - Option Finance

(AOF / Funds) - "De façon générale, l'investissement socialement responsable (ISR) et l'intégration d'enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans de nouvelles sphères en dehors des marchés cotés progresse", affirme Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic. Après les actions et les obligations, les secteurs du private equity et de l'immobilier commencent de fait à se sensibiliser aux problématiques ESG ou ISR. Dans l'immobilier, les initiatives en la matière sont pour l'instant à leur premier stade. "L'immobilier ISR reste à construire", constate Vincent Auriac, gérant d'Axylia Conseil. Les initiatives en la matière sont en effet embryonnaires. Dans cette catégorie figure l'immobilier solidaire, avec notamment la foncière Habitat et Humanisme créée par Bernard Devert, ancien promoteur immobilier devenu prêtre à 40 ans. "L'initiative la plus emblématique en matière d'immobilier ISR !" selon Vincent Auriac. Koesion, gestionnaire et sourceur de biens immobiliers, vient pour sa part de lancer un fonds immobilier ISR, noté A+ par EthiFinance, composé d'actifs résidentiels acquis auprès de retraités propriétaires souhaitant vendre leur bien pour s'assurer un complément de retraite tout en en gardant l'usage. UFG REM envisage pour sa part de créer de nouveaux fonds immobiliers ISR qui cherchent à respecter des critères de type haute qualité environnementale (HQE). "Les investisseurs nous demandent des fonds immobiliers ISR purs, comme l'immobilier de bureau, avec une échéance qu'ils peuvent maîtriser", indique Jean-Marc Coly, directeur général d'UFG REM chez UFG-LFP. Face à une offre pour l'instant limitée, la demande l'est elle aussi. "Les fonds ISR immobiliers intégrant les trois dimensions sont très peu nombreux, indique Anne-Catherine Husson-Traore. Mais plus ces sujets progresseront, plus les investisseurs s'y intéresseront. Pour l'instant, nous voyons plutôt émerger des travaux sur la green value des immeubles." Un domaine dans lequel il y a fort à faire lorsque l'on sait que "l'immobilier est responsable de 40 % des émissions de CO2 dans le monde", rappelle Vincent Auriac. Autre secteur qui commence à être concerné par les critères ISR ou ESG : le private equity. Après avoir été fortement critiqué durant la crise pour sa recherche effrénée de rendements élevés (notamment au travers des méthodes d'acquisition par LBO qui supportent un endettement élevé), le private equity cherche à redorer son image. A tel point que certains craignent déjà que les investisseurs en capital ne s'engouffrent dans la brèche ESG dans le seul but de combler un déficit d'image se contentant de faire du greenwashing ("blanchiment vert"), c'est-à-dire du marketing vert. Pour l'instant, "le mouvement d'intégration réelle et organisée de critères ESG dans le private equity est très modéré, observe Anne-Catherine Husson-Traore. Il se traduit surtout par une forte adhésion d'acteurs de toutes nationalités aux principes pour l'investissement responsable des Nations unies (PRI) qui les engagent théoriquement à tenir compte de ces critères dans leurs choix d'investissements". Les signataires des PRI estiment notamment que la prise en compte de critères ESG pour sélectionner des entreprises peut avoir un impact positif sur les performances de portefeuilles d'investissements. Ils s'engagent également à incorporer les problématiques ESG dans l'analyse des investissements et les processus de prise de décisions, ainsi que dans les politiques et pratiques actionnariales. En France, cette approche reste encore limitée. Seuls quelques investisseurs, sociétés de gestion ou fonds de private equity appartenant à des sociétés de gestion (notamment Natixis AM, Ofi Private Equity, Axa Private Equity, Nef Capital Ethique Management, Alto Invest, Unigestion, Robeco) sont pour l'instant convaincus que l'intégration d'enjeux ESG fait particulièrement sens en matière de private equity. "L'horizon de placement d'un fonds de private equity, qui a une durée de vie de huit ans, correspond particulièrement bien à celui du développement de l'ISR", estime Jacques Favier, directeur général de Nef Capital Ethique Management. Cependant, le niveau d'implication des investisseurs en capital est à ce jour très limité, comme en témoigne le faible nombre de produits et de signataires des PRI. Parmi les membres de l'Association française des investisseurs en capital (AFIC), seule une quinzaine sur 200 serait ainsi signataire des PRI. Pourtant, "étant actionnaires majoritaires au capital des entreprises dans lesquelles nous investissons, nous sommes bien placés pour exercer une influence sur leur gouvernance, et donc pour les faire progresser dans la prise en compte des enjeux ESG", explique Guy Paisner, responsable des relations investisseurs de Doughty Hanson, gérant européen indépendant possédant un bureau à Paris. L'application de l'approche ESG au capital-investissement se heurte, il est vrai, à plusieurs difficultés. Un premier point de blocage provient de l'incapacité des investisseurs à se procurer des informations sur des données environnementales, sociales ou de gouvernance. "Les entreprises non cotées sont loin d'être prêtes à fournir des données extra-financières fiables et comparables d'un exercice à l'autre, reconnaît Anne-Catherine Husson-Traore, mais ce n'est pas vraiment non plus le cas des entreprises cotées." Un second problème est lié au peu de culture qu'ont les sociétés de gestion et les fonds de private equity dans le domaine de l'ESG. "Peu d'acteurs disposent des outils nécessaires pour réaliser une due diligence ad hoc dans les entreprises, poursuit Anne-Catherine Husson-Traore. Ils expriment un besoin de formation. Les agences de notation extra-financière sont d'ailleurs en train de s'apercevoir qu'il existe un marché dans le domaine." Ceux qui adoptent des critères ESG le font toutefois de façon assez peu homogène. En juillet dernier, Novethic recensait deux approches principales en France : une approche thématique ESG et l'analyse ESG. La première s'applique plutôt au capital-risque et au capital développement. C'est celle qu'a retenue Nef Capital Ethique Management, une société de gestion issue de la fusion, fin 2007, entre la Nef et Sarasin, qui propose un fonds d'investissement sur les secteurs de la consommation responsable de demain. "L'originalité de la méthode de notre banque conseil, Sarasin, dite matricielle, est de reposer sur une double notation sectorielle et de l'entreprise elle-même par rapport à l'ensemble du secteur. Grâce à cette analyse approfondie, nous pouvons déterminer avec précision les performances environnementales ou sociétales des entreprises que nous sélectionnons", indique Jacques Favier. Pour chaque entreprise, Nef Capital Ethique Management évalue le niveau de responsabilité environnementale et sociétale de son secteur, tout d'abord à partir des bénéfices et bien sûr des risques ESG qu'il présente (sur la base de 50 à 100 critères). La notation de l'entreprise découle ensuite de sa capacité à chiffrer les bénéfices environnentaux ou sociétaux et à gérer les risques inhérents à son métier, dans son secteur. Sur la base des deux niveaux de responsabilité ESG (du secteur et de l'entreprise), la société définit un univers d'investissement (certains secteurs étant exclus) en renforçant ses exigences pour les valeurs dans les secteurs dont le niveau global de responsabilité sociale est le moins évident. La seconde approche rencontrée par Novethic consiste en une analyse ESG dans la sélection des investissements, ce qui nécessite de mettre en place des outils et des équipes spécifiques. Telle est la stratégie d'Ofi Private Equity, qui a créé une direction du développement durable en 2008, ou encore de Doughty Hanson, qui a recruté un responsable du développement durable, en juin 2008. L'approche extra-financière d'Ofi Private Equity, consolidée dans un reporting extra-financier, s'appuie sur une liste de 34 enjeux issus de l'ensemble des domaines du développement durable regroupés au sein de huit catégories (gouvernance, relations salariés, environnement, etc.). Chacun de ces enjeux est évalué sur une échelle de 1 à 5. Chaque catégorie est également notée sur une échelle de 1 à 5 reflétant les différents niveaux d'importance évalués par Ofi Private Equity en tant qu'actionnaire majoritaire. "Nous sommes les premiers à avoir demandé une notation extra-financière de notre politique environnementale, sociale et de gouvernance à EthiFinance, affirme Olivier Millet, président du directoire d'Ofi Private Equity et président du Club de développement durable de l'AFIC, qui travaille actuellement à l'élaboration d'un livre blanc sur l'opportunité à prendre en compte les critères extra-financiers dans l'industrie du private equity. De plus, nous avons mesuré notre empreinte écologique en 2009, en partenariat avec l'ADEME, en réalisant un bilan carbone sur l'ensemble des entreprises dans lesquelles nous sommes actionnaires majoritaires." Autant de démarches qui pourraient bien, à l'avenir, être suivies par d'autres acteurs du private equity en France, si l'on en croit l'étude Ethifinance, Go Between et le laboratoire d'Econométrie de l'Ecole polytechnique, menée auprès de 118 sociétés de gestion actives sur le marché français du capital investissement : 36 % des investisseurs en capital ont l'intention de signer les PRI à court terme. Plusieurs faits semblent jouer en faveur d'un développement de ce courant. Tout d'abord, les grands investisseurs formulent de plus en plus de demandes d'intégration de critères ESG. De telle sorte que, à terme, pour Olivier Millet, "les fonds qui seront en mesure de délivrer un reporting extra-financier auront des atouts pour recevoir les capitaux des institutionnels". L'environnement législatif pourrait également influer sur le développement du private equity ESG en France, avec le décret d'application de la loi Grenelle 2, votée le 11 mai dernier, qui devra déterminer quelles entreprises, en termes de chiffre d'affaires et de nombre de salariés, auront des obligations d'information sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Enfin, les acteurs internationaux continuent de se mobiliser sur l'ESG avec le forum de Private Equity International (PEI) et de Principles for Responsible Investment (PRI) qui se tiendra le 10 juin prochain. [8]Floriane Tedoldi