Analyse / La finance n'est pas une ... option !

07/06/2010 - 11:38 - Option Finance

(AOF / Funds) - Nous, Français, avons paraît-il la tête politique. Et nous prenons même cela pour un compliment. Ainsi, quand il s'agit de départ en retraite, nous en venons vite aux symboles, les fameux soixante ans. Et quand tel ministre se propose de repousser cet âge, sous le prétexte frivole que nous vivons plus vieux et donc que la durée de versement des pensions serait décidément longue par rapport à celle des cotisations, ou encore que le rapport démographique s'inverserait... nous ne voulons pas entendre. Et s'il s'agit vraiment de trouver ces trente milliards, il faut que les riches payent, plus les banques. Haro sur les stock-options, taxons les banques ! Pas un mot sur les départs en retraite de certaines catégories de salariés, cheminots pour ne pas les nommer, qui bénéficient encore des conditions de la bête humaine. Pas un mot des cotisations des fonctionnaires. Sus aux riches. Fort bien, mais les impôts que paient les banques françaises représentent en moyenne quelques milliards (entre deux et cinq) : c'est loin du compte, et en plus c'est volatil. Est-ce qu'on veut doubler ce prélèvement, quitte à faire s'effondrer le secteur ? Et que dire des stock-options, sinon qu'avec la bourse actuelle elles ont toutes disparu, et que plus aucune ne se distribue aujourd'hui ! Passons alors aux riches salariés et lisons le rapport Cotis. Si l'on se dit qu'ils gagnent 10 000 euros par mois, ils sont 130 000, et les super riches - qui gagnent 20 000 euros par mois en moyenne sont, eux, 13 000, sur treize millions de salariés du privé. Nous y voilà ! Et que font-ils ? Du conseil pour un tiers d'entre eux, de la banque pour un sixième, du commerce de gros pour un septième. Inutile de chercher ici les milliards de bonus de Wall Street, puisqu'ils sont là-bas, ou les salaires de la City, puisqu'ils s'y trouvent. Taxons-les davantage, ces salariés qui demeurent, et nous aurons un ou deux milliards de plus, peut-être trois. Nous voilà avec cinq milliards, en supposant que rien ne bouge... et l'an prochain ? Car il faudra bien trouver 31 milliards - au moins ! Bien sûr ces calculs sont grossiers, mais au moins ils partent de chiffres publiés. Et que dire des prévisions à plus long terme ? Le rapport du Conseil d'orientation des retraites nous donne trois scénarios, avec une croissance à long terme de près de 2 % jusqu'en 2050 pour une productivité qui croît de 1,8 %, ou encore une croissance autour de 1,6 % pour une productivité qui croît d'autant, et un troisième avec une croissance de 1,6 % pour une croissance de la productivité du travail de 1,5 %. Et nous voilà avec 40, 50 ou 60 milliards à trouver par an dans dix ans, en attendant 70, 100 ou 120 milliards de déficit en 2050. Qu'est-ce qui résistera à ces déficits ? Mais où en a-t-on entendu parler ? Dans quelle émission de radio, dans quel talk-show ? Et qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit là d'un groupe ad hoc, partisan, alors qu'il comprend 8 syndicalistes sur 39 membres et des élus de sensibilités diverses. Maintenant, l'âge de la retraite est devenu un jouet politique entre droite et gauche, puis au sein de la gauche, et enfin au sein du PS ! Mais les marchés excessifs et myopes, brutaux et sans esprit, comme on sait, ne vont pas s'attarder à ces subtilités. Ils ne se demanderont pas si repousser l'âge de la retraite est bon ou mauvais pour le président Sarkozy, Mme Aubry ou M. Strauss-Kahn. Ils regarderont les chiffres - et cela devrait leur suffire. La finance n'est pas une option : elle synthétise une réalité. Et, le plus souvent, cette réalité vient de loin. Les 35 heures sont certes aimables, mais elles font monter le coût du travail dans un monde qui s'ouvre de plus en plus - et donc chercher des gains de productivité... horaire. La retraite à 60 ans est certes gentille, mais moins avec une durée du travail qui s'allonge et un travail qui se tertiarise et devient moins bien payé. Et la zone euro permet certes de ne plus avoir le risque de la dévaluation et de l'inflation, en même temps qu'elle en supprime les avantages... si l'on est moins compétitif. Bien sûr, on dira que la finance a intérêt à ces manipulations et spéculations : laissons à la justice le soin d'étudier les cas de tromperie. Mais ce diagnostic est-il faux : "nous n'avons pas la croissance de nos dépenses publiques et nos dépenses publiques réduisent la croissance qui nous reste" ? Faudra-t-il attendre que la raison nous revienne, que le jeu politique s'éloigne... ou que la finance frappe à la porte ? Jean-Paul Betbèze, chef économiste, Crédit Agricole