Interview - Jean Marc Boursier (directeur [-16]ðfin. Suez Environnement)

14/06/2010 - 10:18 - Option Finance

(AOF) - Cotée en 2008, Suez Environnement a du adapter en pleine crise sa gestion financière à ce nouveau statut. Sous la houlette de son directeur financier, Jean-Marc Boursier, le groupe a réussi à mettre en place des lignes de financement diversifiées et à réduire ses coûts, tout en préservant sa flexibilité. Directeur financier de Suez Environnement depuis 2004, Jean-Marc Boursier, 42 ans, ingénieur civil de Telecom SudParis et titulaire d'un mastère en finance internationale d'HEC, a commencé sa carrière dans le commissariat aux comptes, chez Mazars. En 1999, il rejoint le groupe Suez comme contrôleur financier de Sita France, dont il devient directeur du contrôle financier en 2000, puis directeur du contrôle financier et des fusions-acquisitions, avant d'être nommé directeur de la planification et du contrôle de Suez Environnement en 2002.

Suez Environnement est la société du CAC 40 la plus récemment introduite en Bourse puisqu'elle n'est cotée que depuis juillet 2008. Quels changements cette opération a-t-elle entraînés pour vous ?

De toute évidence, il y a eu un avant et un après introduction en Bourse. Avant, j'étais le directeur financier d'une division de Suez qui représentait environ un quart du chiffre d'affaires du groupe avant sa fusion avec GDF. Désormais, mes fonctions ne sont plus tournées seulement vers l'interne, mais une grande partie vers l'externe. L'introduction en Bourse a eu, en outre, deux conséquences immédiates. En termes de communication financière, il a fallu présenter Suez Environnement aux actionnaires de Suez qui avaient "hérité" d'actions au moment du spin-off et de la mise en Bourse et les convaincre de rester au capital de Suez Environnement, alors qu'ils avaient investi parce qu'ils s'intéressaient de manière prioritaire au secteur de l'énergie, qui représentait les trois quarts de l'activité de Suez. Nous avons 300 000 actionnaires, dont évidemment beaucoup de particuliers, et nos efforts auprès d'eux ont porté puisque deux ans plus tard, le nombre d'actionnaires est resté stable. La seconde conséquence de l'introduction, c'est qu'il a fallu garantir progressivement l'autonomie financière de Suez Environnement.

Comment devenir financièrement autonome en pleine crise financière ?

Nous sommes passés, de façon quasi immédiate, d'un statut de branche de grand groupe dans un monde bancaire et financier stable à celui de société cotée dans un monde financier complètement bouleversé et très volatil. En tant que branche de Suez, nous avions par exemple des financements essentiellement à court terme sous forme de comptes courants de notre maison mère, qui était notre banquier principal. En outre, c'est souvent Suez qui assurait la liquidité pour le compte de ses filiales. La première priorité a donc été d'obtenir un rating et des financements de beaucoup plus long terme. Cela nous a pris environ un an, entre l'été 2008 et l'été 2009. Fin 2009, nous avions achevé notre programme de refinancement. Au passage, notre dette a été fortement allongée puisqu'elle affiche maintenant près de 6 ans de duration moyenne au lieu de 2 ans avant l'introduction. Parallèlement, nous l'avons également diversifiée.

N'avez-vous pas eu des difficultés à convaincre les banques ?

Obtenir des concours bancaires n'avait effectivement rien d'évident durant le quatrième trimestre 2008 ! Mais le sérieux de la gestion de l'entreprise et son business model nous ont permis de réussir à mettre en place fin 2008 des lignes bilatérales bancaires pour environ 1 milliard d'euros. Les relations avec les agences de notation étaient également plus compliquées qu'en temps normal, mais nous avons néanmoins obtenu au premier trimestre 2009 un rating Moody's A3 d'excellente qualité. Celui-ci nous a permis de lancer un programme d'émissions obligataires de 3 milliards d'euros, qui s'est échelonné entre avril et juillet 2009. Avec les lignes bancaires bilatérales d'une part et nos cinq émissions obligataires d'autre part, nous avons ainsi pu afficher, au 31 décembre 2009, un montant de liquidités total (cash et lignes de crédit non tirées) de 4,9 milliards d'euros. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là : au début de cette année, nous avons négocié un crédit syndiqué d'1,5 milliard d'euros. Au total, nous avons donc réussi à nous financer sans trop de difficultés pour les cinq années qui viennent, et ce dans de très bonnes conditions. Fin 2009, le coût moyen de la dette était par exemple de 4,6 %, un niveau très satisfaisant par rapport à nos conditions antérieures, compte tenu de l'augmentation des liquidités et de l'allongement de la maturité de la dette. Grâce à la baisse des taux, nous bénéficions en effet de taux de référence très bas. En outre, les spreads de crédit de Suez Environnement sur le marché obligataire se sont même quelque peu réduits au cours des derniers mois. Mais si, en ce qui nous concerne, l'impact de la crise sur les financements corporate a été limité, tel n'est pas le cas en revanche des financements de projet. Nous avons remporté l'année dernière le plus gros contrat de partenariat public-privé dans le monde de l'environnement, qui concerne la construction, le financement et l'exploitation pour 30 ans de l'usine de dessalement d'eau de mer de la ville de Melbourne. Comme nous voulions financer ce projet, de 2 milliards d'euros, hors bilan, nous ne pouvions pas faire appel à un financement corporate, qui aurait dû être consolidé. Il fallait des financements sans recours et les financements de projet étaient bien adaptés à cette exigence. Avant la crise, un tel projet aurait pu être financé sur 20 ans avec une dizaine de banques. Finalement, nous n'avons pu le financer qu'à sept ans et il a fallu 25 banques européennes et asiatiques pour boucler l'opération. Mais je reste convaincu que notre succès dans cette opération résulte d'une collaboration étroite entre les opérationnels et les financiers de Suez Environnement.

Comment avez-vous parallèlement diversifié votre dette ?

Nous voulions que notre dette soit mieux répartie entre toutes nos sources de financement : leasing, financement de projet, crédit bancaire et crédit obligataire. Début 2010, j'ai estimé que la part de l'obligataire était suffisante et qu'il devenait préférable, en termes de coût moyen de notre dette, de repondérer les crédits bancaires par rapport aux emprunts obligataires. C'est pourquoi nous avons eu recours au crédit syndiqué, qui présentait l'avantage de diminuer le coût de portage (c'est-à-dire la différence entre le coût de l'emprunt et le rendement obtenu par le placement de la somme empruntée), puisque nous n'avons pas à tirer sur les crédits bancaires tant que nous n'en avons pas besoin. A présent la part de l'obligataire représente un tiers de nos financements, GDF SUEZ 20 %, les emprunts bancaires 20 % et le solde se répartit entre les financements de projet, le leasing...

La gestion financière du groupe a-t-elle été modifiée par la crise ?

Notre stratégie a toujours été extrêmement prudente, alliant croissance, rentabilité et génération de cash-flow. Nous sommes très ambitieux (comme le démontre notre guidance 2010), mais nous voulons croître en maintenant notre rentabilité, que l'on parle d'ailleurs de rentabilité opérationnelle (Ebitda/chiffre d'affaires) et de rentabilité sur capitaux employés (ROCE). Dans le même temps, nous voulons aussi améliorer notre génération de cash-flow libre. Nous voulons être l'acteur de référence le plus rentable dans le monde des utilities environnementales. Dans cette perspective, le directeur général de Suez Environnement, Jean-Louis Chaussade, m'avait fixé comme missions immédiates après l'introduction en Bourse, non seulement de garantir l'autonomie financière de Suez Environnement, mais aussi de veiller à ce que l'on tienne l'ensemble de nos objectifs financiers et ce malgré les effets de la crise. Dès 2008, nous avions mis en place un plan d'optimisation des coûts, baptisé Compass, qui visait initialement un objectif de 125 millions d'économies en 3 ans. Lorsque nous avons annoncé nos résultats 2008, au mois de mars 2009, nous avons décidé, compte tenu de la dégradation du contexte économique, d'augmenter de près de 50 % les attentes de ce programme, qui est passé à 180 millions d'euros. Finalement, nous avons réussi à économiser 190 millions d'euros en seulement deux ans. Nous avons donc fait mieux et plus vite que ce que nous avions promis dans ce domaine. Par ailleurs, nous avons aussi réduit les investissements de près de 40 % en 2009, ce qui ne nous a pas empêché d'investir tout de même 1,1 milliard d'euros, les services environnementaux étant par nature des métiers où les investissements sont élevés. Pour ce faire, nous avons accru la sélectivité de nos investissements en revoyant à la hausse l'exigence de rentabilité de tous nos projets de croissance externe et de croissance organique. Tout en préparant l'entreprise pour l'avenir, ces efforts nous ont permis de protéger son bilan et de ne pas dégrader notre ratio de leverage, mesuré par le ratio de dette nette/Ebitda. Celui-ci nous semble pertinent dans la mesure où il reflète le nombre d'années de cash-flow nécessaires pour rembourser la dette. Ce ratio est actuellement de 3 fois, un niveau qui nous paraît optimum pour conserver notre flexibilité financière et pouvoir procéder le cas échéant à des opérations stratégiques. Ce ratio est également optimum en termes de coût moyen pondéré du capital.

Comment avez-vous réduit davantage que prévu vos coûts ?

L'activité déchets a contribué à hauteur de 50 % au programme Compass, l'eau à 25 % et l'international et la holding à 25 %. Les déchets ont été particulièrement mis à contribution car naturellement plus directement impactés par la crise. Cette activité est à 60 % réalisée avec des clients industriels et commerciaux, et à 40 % avec des municipalités. Or il existe une corrélation entre l'évolution du PIB et celle de la production industrielle, selon un ratio moyen en Europe de 1 à 3. En d'autres termes, quand le PIB en Europe se contracte de 4 % (ce qui a été le cas en 2009), la production industrielle, toutes choses égales par ailleurs, va reculer de 12 % environ. Sur 60 % de notre activité, les volumes industriels ont donc baissé de 12 % en raison de ce lien mécanique entre la production industrielle et les volumes de déchets. Comme dans cette activité, environ les deux tiers de nos coûts sont fixes, il a fallu réagir très rapidement pour éviter que notre taux de rentabilité ne s'érode. Différentes mesures ont ainsi été prises, allant de la réduction de la flotte de camions, à l'adaptation des effectifs intérimaires, en passant par la fermeture de certains sites industriels. Nous avons également procédé par type de réduction de coûts : nous avons passé en revue les coûts opérationnels, les frais généraux et autres coûts de structure, les achats. Dans ce dernier domaine, nous avons mutualisé tout ce qui pouvait l'être en coordination avec GDF SUEZ, pour bénéficier de l'effet de taille quand c'était possible : c'est le cas par exemple des canalisations pour nos réseaux d'eau, de l'informatique, achetée en commun, des véhicules... Et nous ne comptons pas nous arrêter là, puisque nous prévoyons de générer encore 250 millions d'économies entre 2010 et 2012, avec notre nouveau plan, Compass 2. Nous estimons en effet que la reprise économique en Europe sera lente et très progressive. Si la croissance était de 1 % en Europe en 2010, la production industrielle fin 2010 devrait encore être très inférieure à ce qu'elle était en 2008. Par conséquent, nous devons maintenir nos efforts sur la structure de coûts pour pouvoir continuer à délivrer la rentabilité opérationnelle attendue.

Vous avez pris en octobre dernier le contrôle d'Agbar, leader de l'eau en