Rachats de titres publics : un rôle transitoire pour la BCE

14/06/2010 - 10:37 - Option Finance

(AOF / Funds) - En décidant le 9 mai dernier, à l'issue d'une semaine dramatique pour l'euro, d'acheter des titres de dettes publiques fortement décotés, la Banque centrale européenne a fait preuve d'audace : elle est devenue le bras armé des autorités de la zone euro pour leurs interventions sur les marchés obligataires. Un vide a ainsi été comblé. La crise des subprimes a en effet montré que, lorsque l'attitude face au risque des opérateurs de marchés prend brutalement un tour moins complaisant, seul un intervenant public peut éviter l'enclenchement d'une spirale baissière dévastatrice. Il doit alors accepter de prendre en charge une partie du risque dont les marchés cherchent à se défaire. Encore faut-il qu'existe une institution publique habilitée et décidée à le faire. Le choc provoqué par la faillite de Lehman Brothers a ainsi amené la Réserve fédérale à jouer un rôle clé dans la stabilisation du système financier occidental en prenant en charge les risques de liquidité et de crédit associés à 1 500 milliards de dollars de créances hypothécaires titrisées garanties plus ou moins explicitement par l'Etat américain. La Banque centrale européenne tente aujourd'hui de faire de même en achetant, pour des montants jusqu'ici modestes, des titres publics garantis, plus ou moins explicitement eux aussi, par les Etats de la zone. Le fait que ses statuts lui interdisent, sinon d'acheter des obligations publiques sur le marché secondaire, du moins de financer l'endettement des Etats complique toutefois ici quelque peu les choses. Dans la mesure où aucune autre institution européenne ne pouvait le faire, la Banque centrale a eu raison d'accepter d'intervenir pour stabiliser les marchés. Elle a compris en effet qu'il n'était plus possible, début mai, d'attendre pour agir : plus les autorités tardent à stabiliser un système financier qui cherche à réduire son exposition au risque, plus l'effort à faire pour y parvenir et les dégâts provoqués entre-temps seront importants. A elle seule, l'annonce par les gouvernements d'une machine de guerre, aussi massive soit-elle, n'avait aucune chance de calmer des marchés rendus sceptiques par des mois de déclarations régulièrement démenties. Par son intervention directe dans le marché, la BCE a fait remonter les prix des titres publics grecs ou portugais d'échéances proches... et confirmé aux opérateurs que le projet des gouvernements était bien réel. L'Europe aurait toutefois tout à gagner à ce que le fonds de stabilisation qui est en train de se mettre en place se substitue maintenant rapidement à la BCE dans ce rôle. La crédibilité de cette dernière risque sinon d'en être ébranlée. Peu importe que l'on dise, à juste titre, que le geste de la Banque centrale n'annonce pas une "monétisation des dettes publiques", voire la fin de la priorité accordée à la lutte contre l'inflation : son action est source d'une ambiguïté d'autant plus dangereuse que des dissensions manifestes au sein même de son Conseil l'alimentent. Or, la crédibilité d'une banque centrale repose autant sur ce qu'elle fait que sur la manière dont on la perçoit. Et aujourd'hui la crédibilité de sa Banque centrale est sans doute le principal atout de la zone euro. Réduire le plus vite possible l'ambiguïté apparue est donc essentiel. Il suffirait pour cela de préciser que la BCE n'intervient qu'à titre transitoire : dès que le véhicule destiné à financer les Etats malmenés par les marchés sera en place, il prendra le relais (et éventuellement rachètera les titres acquis entre-temps par la Banque centrale). Ce fonds va en effet être amené à prendre en compte les efforts faits par chacun des gouvernements et le respect des conditions fixées pour qu'effectivement les financements envisagés soient accordés. Pourquoi n'achèterait-il pas, dès lors, les dettes d'échéance relativement proches indûment décotées ? Il faudrait seulement pour cela qu'il puisse, avec la garantie des pays les plus forts de la zone, émettre des bons de trésorerie remboursés dès que les titres acquis arriveront à maturité. La BCE n'aurait ainsi plus besoin d'intervenir sur les marchés obligataires. En même temps, la preuve serait donnée que son intervention n'impliquait aucune "monétisation de dettes publiques" (le véhicule qui la remplacerait ne peut émettre de monnaie) et que le souci de stabilisation financière n'interférait en rien avec la priorité accordée à la lutte contre l'inflation. Face à des marchés devenus nerveux mieux vaut toujours, lorsqu'on le peut, dissiper les ambiguïtés. Anton Brender, chef économiste, Dexia AM