Analyse / La nécessaire réforme du marché des produits dérivés

13/07/2010 - 12:45 - Option Finance

(AOF / Funds) - Le rôle des produits dérivés dans les attaques spéculatives qu'auraient subies certains Etats de la zone euro place ce marché au centre des discussions réglementaires actuelles. Compte tenu du degré d'intégration des marchés monétaires européens et américains, une coopération transatlantique est nécessaire. Or, avant d'examiner les modalités retenues dans le cadre de la réforme financière américaine qui a enfin été adoptée par la Chambre des représentants le 30 juin dernier, revenons sur l'analyse économique de l'instabilité financière des produits dérivés. En effet, le rôle déstabilisant des dérivés de crédit au cours de la crise souveraine de la zone euro fait toujours débat. Le CDS (Credit Default Swap) est un accord bilatéral de gré à gré qui permet de transférer le risque de défaut d'une partie (l'acheteur de protection) à une autre (le vendeur de protection). L'acheteur paie une prime périodique au vendeur. Cette prime, appelée spread, constitue la valeur cotée du CDS. Quand la situation budgétaire d'un Etat se dégrade, le spread du CDS souverain augmente. En somme, il existe une relation théorique d'égalité entre la prime du CDS (le spread) et le spread souverain de même maturité. Et logiquement le risque souverain entraîne la prime du CDS et non l'inverse. C'est ce qui fait dire à certains que les CDS ne peuvent pas avoir déstabilisé le marché obligataire souverain. Pourtant plusieurs études portant sur le mécanisme de découverte des prix montrent bien une causalité inverse. Par exemple, une étude de la Banque centrale japonaise sur le marché bancaire japonais montre que le spread de crédit corporate est déterminé par le prix des CDS. Une étude de la Banque centrale espagnole tire les mêmes conclusions d'un panel d'entreprises européennes et américaines. Si la recherche empirique portait jusqu'ici essentiellement sur le marché obligataire corporate, on a, depuis peu, des résultats sur les obligations souveraines. Dans une étude à paraître en juillet, Virginie Coudert et Mathieu Gex de la Banque de France montrent que le coût de l'emprunt de certains pays est influencé par le spread des dérivés de crédit qui leur sont associés ! Leurs résultats indiquent que c'est le cas dans les pays risqués, au spread déjà élevé, comme l'Europe du Sud (incluant la Grèce, et l'Espagne) et les pays émergents. Au total, et contre toute attente, malgré leur différence de taille, le marché des CDS entraîne celui des obligations souveraines dans certains cas. Il est donc probable que des positions spéculatives prises par des fonds aient amplifié la crise souveraine de la zone euro et augmenté les spreads grecs et espagnols, notamment. Ils ont joué un rôle de catalyseur. Faut-il pour autant interdire la vente de CDS à nu, comme l'a imposé l'autorité de supervision allemande ? Outre que toute interdiction est contournable, il existe un autre moyen plus efficace, adopté par le texte américain. La plupart des produits dérivés sont échangés sur des marchés de gré à gré. La réforme américaine consiste à organiser les échanges via une chambre de compensation pour rendre publique l'information sur les flux et les prix. Le régulateur détiendra dorénavant l'information nécessaire pour superviser les activités risquées, identifier le risque systémique et prévenir les fraudes. Par exemple, des données sur le volume, l'origine et la nature des positions permettront de repérer rapidement les épisodes de spéculation. Le conseil du risque systémique pourra alors établir un ratio de capital et de liquidité pour assurer que le risque de défaut est effectivement couvert. Le texte final américain n'a pas retenu la mesure qui établissait une barrière étanche entre l'activité de banque de dépôts et le trading de dérivés (spin-off). Cette disposition prévoyait que l'activité sur dérivés soit confiée à une entité indépendante en capitaux propres. En somme, les banques ne pouvaient plus se livrer à ces activités risquées avec les dépôts de leurs clients. Cette disposition n'est pas passée. Finalement les banques gardent l'essentiel de cette activité et sont contraintes à n'en reléguer que 3 à 20 % hors les murs. Ce compromis a probablement terni l'image de la réforme financière du président Obama pourtant ambitieuse. Anne-Laure Delatte, professeur assistant, Rouen Business School