Il ne peut y avoir de retour à Bretton Woods

25/10/2010 - 10:55 - Option Finance

(AOF / Funds) - Les mouvements récents des taux de change ont réanimé le débat sur la réforme du système monétaire international et la stabilité financière internationale ; l'annonce d'une politique monétaire encore très expansionniste aux Etats-Unis (le Quantitative Easing 2) a fait apparaître de nouveau de très importants flux de capitaux des Etats-Unis vers la zone euro, le Japon et surtout les pays émergents, d'où le redémarrage d'un mouvement très important d'appréciation des taux de change vis-à-vis du dollar qui concerne l'euro, le yen, les monnaies des pays émergents d'Asie (Corée, Taïwan, Singapour, Inde, Thaïlande...), d'Amérique latine (le Brésil en particulier). Ces pays ont réagi soit en accumulant à nouveau des réserves de change très importantes pour limiter l'appréciation de leurs monnaies (la Chine), soit en mettant en place des contrôles des capitaux (le Brésil, la Thaïlande, la Corée). Dans ce contexte, on peut estimer que, au niveau actuel de l'euro, la perte de croissance pour la zone euro est déjà de l'ordre d'un demi-point chaque année pour 2011 et 2012. Face à ces évolutions inquiétantes, un certain nombre de propositions sont apparues, une des plus fréquente portant sur le retour à un système de change proche de celui de Bretton Woods, c'est-à-dire des taux de change en principe fixes et ajustés en cas de dérive grave de la compétitivité-prix du pays par rapport à la normale, un rôle de surveillance de ces ajustements de change donné au FMI, l'utilisation dans les réserves de change des pays de monnaies "artificielles", c'est-à-dire qui ne sont pas créées par les Etats (or, DTS), ce qui permet de contrôler l'offre de ces monnaies. On aurait alors des taux de change qui stabiliseraient les taux de change réels, plus de dépréciations ou appréciations abusives, et une offre de monnaie mondiale qui n'exploserait pas avec la création monétaire en dollars. Malheureusement, cette proposition n'est pas réaliste, en raison du changement considérable de la situation financière internationale entre l'époque de Bretton Woods et aujourd'hui. Des années 1960 jusqu'au début des années 1990, les relations financières entre les pays étaient dominées par les balances commerciales. Un système de change qui maintenait les taux de change au voisinage de la parité de pouvoir d'achat était donc stabilisant ; de plus, les flux de capitaux consistaient essentiellement en des règlements des déficits ou excédents extérieurs entre banques centrales. Les réserves de change pouvaient donc être constituées de monnaies artificielles (or, DTS) puisque les échanges financiers avaient lieu essentiellement entre investisseurs publics (les banques centrales). La taille des flux de capitaux et des avoirs et dettes extérieurs était petite. En 1980, la somme des actifs et dettes bruts extérieurs des pays de l'OCDE représentait 70 % de leur produit intérieur brut ; en 2003, c'est 270 %. En 1982, les actifs extérieurs des pays émergents représentaient 15 % de leur produit intérieur brut ; en 2003, 56 %. Dans un environnement où les flux de capitaux sont devenus considérables, le système international de change ne peut plus être basé sur des objectifs de taux de change liés à la compétitivité-prix et à la situation du commerce extérieur. Les flux de capitaux allant vers les pays émergents (non exportateurs de pétrole) sont pratiquement nuls jusqu'en 1990 ; depuis le début des années 2000, ils peuvent atteindre 150 ou 200 milliards de dollars, dans un sens ou dans l'autre, chaque mois, ce qui est considérablement plus important que les soldes des balances commerciales de ces pays (qui ont un excédent en moyenne de 20 à 30 milliards de dollars par mois, assez stable depuis 2004). Cette évolution vers des flux de capitaux de très grande taille a plusieurs causes : la suppression de la plupart des contrôles des capitaux, la hausse continuelle de la liquidité mondiale, le développement des marchés financiers des pays émergents. Elle va se poursuivre : l'écart entre les taux de croissance, les taux d'intérêt, les rendements des actions des pays de l'OCDE et des pays émergents est tellement important qu'il est une incitation à déplacer les capitaux alimentés par la création monétaire forte des pays de l'OCDE. Par conséquent, les taux de change sont liés aux flux de capitaux, bien plus qu'aux balances commerciales ; les écarts de taux d'intérêt générant des flux de capitaux de si grande taille que les taux de change doivent nécessairement bouger ; les flux de capitaux sont le fait d'entreprises et d'investisseurs privés, qui ne peuvent pas utiliser de monnaies artificielles, mais qui veulent des monnaies de réserve qui soient celles dans lesquelles sont libellés les actifs qu'ils achètent (dollar, euro...). Pas de retour à Bretton Woods, donc. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis AUT/CHR