Conservation d'actifs : la course à la concentration se poursuit

08/11/2010 - 11:58 - Option Finance

(AOF / Funds) - Depuis de nombreuses années, le métier de la conservation d'actifs est soumis à un mouvement de fusions et acquisitions qui a conduit à la constitution d'acteurs mondiaux. "Nous assistons depuis plusieurs années à un large mouvement de concentration de l'industrie des titres, indique Philippe Dupuis, directeur général des activités banque dépositaire et administration de fonds en France de Caceis. S'il existe encore en France une vingtaine d'acteurs dans les métiers titres, trois d'entre eux tiennent le marché." Ils sont d'ailleurs tous issus des grandes banques françaises, à savoir BP2S, filiale de BNP Paribas, Caceis, filiale du groupe Crédit Agricole et de Natixis et SGSS, un département de la Société Générale. L'histoire de Caceis par exemple est jalonnée de fusions et acquisitions. "Nous disposons d'un véritable savoir-faire en matière de rapprochement car Caceis est issu et s'est développé au travers de fusions et de partenariats, et ce depuis 10 ans, indique Philippe Dupuis. En ce qui concerne nos dernières acquisitions, nous avons repris en début d'année l'activité dépositaire de HSBC en France. En 2009, nous avons créé une entité à Hong Kong pour les activités de support à la distribution des fonds. Fin 2007, nous avions réalisé deux acquisitions, en Amérique du Nord avec Olympia Capital International et ses filiales spécialisées dans l'administration des produits alternatifs, et en Allemagne avec les activités de compensation et de conservation de HypoVereinsbank." Une boulimie qui est loin d'être propre à Caceis, mais concerne tous les acteurs. State Street, le géant anglo-saxon qui cherche depuis plusieurs années à se développer en France, s'est encore renforcé ces dernières années à l'international. "Nous nous sommes récemment développés en Italie, indique Raphaël Rémond, directeur général de State Street Banque, et Morgan Stanley Investment Management, qui souhaitait se désengager de l'activité d'asset servicing, vient d'externaliser cette activité au niveau mondial auprès de State Street." La crise financière de ces dernières années a encore renforcé cette tendance à la concentration car elle a conduit certains grands groupes financiers à repenser leur stratégie et à se délester des métiers jugés périphériques. "Des conservateurs ne vont plus pouvoir supporter les investissements supplémentaires nécessaires, ce qui conduira les banques actionnaires à se désengager de ce métier, prévoit Patrick Colle, directeur général de BP2S. Nous devrions de ce fait trouver de nombreuses opportunités de nous renforcer." Les investissements nécessaires sont en effet constants dans ces métiers pour se maintenir à niveau. Une tendance qui s'est renforcée avec la crise financière et l'accroissement de la réglementation induite. "A activité constante, les revenus ont diminué du fait de la baisse des encours gérés par les sociétés de gestion. Au même moment, les produits complexes continuent à se développer dans un contexte de réglementation accrue, précise Raphaël Rémond. Par conséquent, les investissements à mettre en oeuvre pour répondre à ces évolutions demeurent très lourds alors que le contexte économique reste tendu." Les rapprochements s'expliquent ainsi depuis de nombreuses années par la nature industrielle de ces métiers. "Les métiers des titres sont des métiers industriels qui nécessitent de lourds investissements dans les systèmes d'information et une excellente qualité des process", précise Philippe Dupuis. Un handicap pour certaines structures plus petites. "Quelle que soit la volumétrie, les métiers du titre nécessitent des investissements importants, précise Vincent Lefèvre, associé chez Eurogroup Consulting. Par conséquent, les plus gros acteurs se retrouvent avec des coûts de production inférieurs aux acteurs plus petits." Le contexte n'est toutefois pas que négatif pour le secteur car il génère en effet également des opportunités sous la forme de l'adjonction de nouveaux services à plus grande valeur ajoutée qui peuvent permettre d'accroître les sources de revenu. Du fait de la réglementation, les dépositaires conservateurs sont en effet poussés à proposer de nouveaux services de mise en conformité. "Nos clients nous sollicitent beaucoup dans le cadre des évolutions réglementaires, notamment concernant Solvabilité II, précise Philippe Dupuis. Nous aidons par exemple les investisseurs institutionnels à développer un modèle interne de gestion des risques." Une spécialité que revendiquent ainsi certains acteurs qui cherchent à se différencier en proposant de nouveaux services aux sociétés de gestion et aux investisseurs institutionnels. "Il existe aujourd'hui une quinzaine de grands acteurs mondiaux, indique Philippe Dupuis. Certains ont développé leurs activités dans l'asset servicing, d'autres se sont dédiés davantage au domaine du multi-direct clearing and custody (MDCC)". Les services aux sociétés de gestion se sont beaucoup développés ces dernières années, car ils permettent à celles-ci de déléguer une part importante des fonctions supports pour se concentrer sur leur coeur de métier, à savoir la gestion de portefeuille et le développement commercial. "Si, depuis longtemps et régulièrement, des sociétés de gestion ont fait le choix d'externaliser leur middle-office, la tendance s'accélère depuis la crise", indique Philippe Dupuis. Un constat partagé par d'autres professionnels. "Si seulement 15 % des sociétés de gestion ont externalisé leurs activités de back et de middle-office, on note une accélération des décisions en ce moment qui peuvent porter sur tout ou partie de ces métiers", précise Raphaël Rémond. L'avantage de ces services pour les conservateurs est qu'ils peuvent délivrer des marges plus élevées. "Les métiers de base comme le règlement livraison et la conservation sont très informatisés et disposent de marges faibles en comparaison des services offerts aux sociétés de gestion, relate Vincent Lefèvre. Les plus gros acteurs compriment ainsi les marges sur les produits de base pour offrir des services à valeur ajoutée qu'ils peuvent davantage rentabiliser." Ils butent toutefois parfois sur un écueil de taille, la réticence de leurs clients engagés dans une chasse aux coûts. "En déléguant certaines de leurs activités, les institutionnels cherchent à mieux maîtriser leurs coûts", indique Philippe Dupuis. Ainsi, "si les clients sont demandeurs de nouveaux services (comme les reportings à valeur ajoutée ou le collateral management) ou d'adaptations aux nouvelles réglementations (comme Ucits IV ou Target 2S), ils ne sont pas prêts à en payer le prix", reconnaît Pierre Baillavoine, associé chez Périclès Consulting. Pour les séduire, la course à l'innovation est de ce fait de rigueur. "Les nouveaux services se banalisent assez rapidement, précise Vincent Lefèvre. La gestion du collatéral - ou garantie contre le risque de contrepartie - par exemple, qui s'est imposée comme un service indispensable pendant la crise, est maintenant proposée par tous les acteurs." Parallèlement à la concentration et à l'offre de nouveaux services, l'heure est également au développement commercial à l'international afin de rechercher de nouveaux clients ou de se renforcer auprès de clients existants, le but étant ici de trouver des relais de croissance à l'étranger. "En France, le marché du custody est saturé, indique Pierre Baillavoine. Le développement passe par l'international". Et cela d'autant plus que le marché français présente un certain nombre de spécificités. "En France, les marges pratiquées vis-à-vis des acteurs de la gestion d'actifs sont plus faibles qu'à l'étranger, précise Vincent Lefèvre. Les fonds de pension, par exemple, fortement présents dans les pays anglo-saxons, consomment de nombreux services complémentaires comme la gestion de transition, et changent souvent de gestionnaires." Par conséquent, BP2S ou encore Caceis viennent tous deux de revoir leur organisation à l'international. "Nous avons réorganisé nos activités commerciales en fonction de la nationalité des clients, poursuit Philippe Dupuis. Un client français par exemple sera pris en charge depuis Paris et nous utiliserons nos relais locaux pour ses activités à l'étranger". Le but est d'assurer une continuité de services aux clients. "Nos clients disposent d'une offre globale en Europe, précise Philippe Dupuis. Nous possédons par exemple une plateforme opérationnelle commune entre la France et le Luxembourg pour la conservation. Nous développons et adaptons nos produits et services dans le respect des réglementations locales." Ce type de développement répond à une demande croissante des sociétés de gestion qui cherchent maintenant à s'internationaliser. "De nombreuses sociétés de gestion françaises, après s'être développées sur les marchés européens, se tournent maintenant vers l'Asie, explique Philippe Dupuis. Nous avons précisément créé notre entité de Hong Kong pour accompagner nos clients dans le développement de la distribution de leurs fonds sur les marchés asiatiques." Idem chez BP2S. "Nous avons réorganisé nos activités sur une base mondiale et cherchons à accroître encore notre présence à l'international, poursuit Patrick Colle, et notamment dans les pays émergents à forte croissance. Nous avons récemment ouvert plusieurs nouvelles implantations en Asie à Singapour, à Hong Kong ou encore en Inde et nous renforcerons notre présence en Australie." A l'international, la recherche de nouvelles cibles de clientèle est également de mise dans un environnement hautement concurrentiel. Dans cette perspective, BP2S souhaite par exemple rivaliser avec les grands acteurs anglo-saxons et proposer de nouveaux services aux gérants alternatifs au sens large, à savoir aux hedge funds, mais aussi aux fonds spécialisés dans l'immobilier et dans le capital investissement. "On assiste à un retour des hedge funds dont les performances se sont améliorées, précise Patrick Colle. Nous enregistrons aussi un certain nombre de demandes concernant l'administration de fonds immobiliers ou encore dans le capital investissement. Nous avons de fortes ambitions sur ces segments de clientèles." Reste à convaincre les clients. Sandra Sebag AUT/AUT