EdRAM anticipe une prime de risque durable sur le brut, favorise le gaz

18/04/2011 - 15:09 - Option Finance

(AOF / Funds) - "La catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, quel que soit son caractère, vient-elle changer le schéma énergétique mondial au moment où les prix du pétrole subissent une hausse marquée ? Depuis 1973, les précédents historiques montrent une relation profonde entre forte hausse du prix de l'énergie et récession mais cette relation n'a vraiment fonctionné que pour des hausses fortes et brutales", note Pierre Ciret, économiste chez Edmond de Rothschild Asset Management (EdRAM). "L'économie mondiale a beaucoup changé dans sa structure depuis le premier choc pétrolier et la question de la future équation énergétique doit prendre en compte les données liées à l'environnement et au changement climatique." "C'est à partir de cette articulation future des sources d'énergie que peuvent être envisagées les conséquences pour les différentes filières concernées. La perte d'une partie significative de la production libyenne et l'absence de visibilité sur le Golfe persique, la zone géographique déterminante pour la production d'hydrocarbures, affectent un marché pétrolier qui est à court terme soumis à l'influence des anticipations et des facteurs émotionnels." "L'incertitude sur la stabilité des approvisionnements et la crainte de décalages brutaux des prix font peser un risque opérationnel sur toute une série d'utilisateurs du pétrole (du transport aérien à la pétrochimie). Accroître les couvertures (marchés à terme), anticiper sur ses besoins (stocks de précaution) conservent un aspect rationnel pour ceux qui dépendent au quotidien d'un approvisionnement régulier et qui souhaitent en maîtriser le coût dans la mesure du possible." "La volatilité va demeurer et se traduire par une prime de risque durable. Au-delà, c'est toutefois l'équation fondamentale de l'offre et de la demande qui déterminera les prix à moyen terme. En revanche, la place du nucléaire promet d'être âprement discutée et la question de son remplacement partiel, sinon total, par d'autres sources va affecter les perspectives du marché de l'énergie dans son ensemble." "Le cours moyen du WTI en 2010 a été de 80 dollars et celui du Brent de 81 dollars. Plutôt que le niveau bas atteint en 2010, ce sont les seuls chiffres que l'on doit retenir pour une analyse des conséquences économiques de la progression des cours. La hausse du prix du pétrole est donc pour le moment de 42% pour le Brent (sur la base de 115 dollars), un chiffre élevé qui se traduit par un prélèvement significatif en année pleine sur le pouvoir d'achat des pays consommateurs. C'est une perturbation sérieuse depuis trois mois mais elle n'a pas l'ampleur des chocs pétroliers précédents." "En août 2008, la moyenne sur trois mois du prix par rapport à celle des trois mois équivalents un an avant était de 80%. Les circonstances économiques de 2008 étaient très différentes de celles d'aujourd'hui. A l'époque, dans un environnement de bulle immobilière américaine commençant sa correction, la crise financière s'était déjà installée, assortie de fortes tensions et d'effets radicaux sur la disponibilité du crédit et sur la liquidité. Aujourd'hui, les économies développées ont émergé de la crise financière." "Elles présentent encore des éléments de vulnérabilité (risque souverain en Europe, système bancaire) mais pas au degré de 2008. En ce qui concerne la Libye, la production représente 2% de la consommation mondiale. Au regard des données d'ensemble, le problème est marginal : les stocks sont élevés et les capacités disponibles importantes. L'Opep s'est déclarée en faveur d'une augmentation de sa production et peut aisément compenser l'intégralité de la production (1,6 million de barils par jour), dans des qualités de brut un peu différentes il est vrai." "Pour l'essentiel, la tendance du prix du pétrole reste liée à la croissance de la demande (2% par an) dont la principale source réside dans les économies émergentes. Selon l'Agence internationale de l'énergie, la moitié de cette croissance est imputable à la seule Chine. L'offre augmente de son côté mais dans des conditions de difficulté et de coûts croissants (gisements off-shore de grande profondeur, conditions d'exploitation hostiles)." "Pour le moment, en l'absence de difficulté d'un producteur majeur, l'équilibre du marché est largement assuré autour du niveau actuel de consommation de 88 millions de barils par jour. Les stocks disponibles sont importants et les capacités de production excédentaires sont abondantes (à 5 millions de barils par jour, plus de deux fois le chiffre de 2008)." "Les investissements des compagnies pétrolières ont beaucoup progressé depuis quatre ans, soutenus par des cash-flows abondants. Toutefois, l'augmentation des réserves n'est pas dans une relation linéaire avec les budgets d'exploration et il faut dépenser de plus en plus pour remplacer les réserves qui sont consommées à un rythme soutenu. Les champs géants découverts dans les années soixante (Ghawar en Arabie saoudite par exemple) et soixante-dix déclinent, et si les compagnies pétrolières ont une plus grande maîtrise technique de l'exploitation des petits gisements, elles doivent investir bien plus pour remplacer un baril extrait par un baril de réserve." "Les découvertes au Brésil et les plans d'expansion des capacités de production en Arabie saoudite contribueront à la progression de l'offre, mais à l'horizon 2014-2015 au plus tôt. Par définition, les réserves de pétrole en place sont finies, mais le débat sur la date du pic de la production pétrolière (dit pic de Hubbert) a vu son actualité affectée par les développements en cours aux Etats-Unis." "Après avoir suivi l'évolution attendue par cette théorie formulée en 1956 et avoir connu un déclin régulier (hors puits off-shore), la production pétrolière américaine devrait cette fois contredire la théorie et augmenter au cours des années à venir. L'évolution de la technologie (et son coût) a joué son rôle dans ce retournement en donnant les moyens de renforcer le rendement des puits. La mobilisation des opérateurs indépendants qui ont mis en oeuvre ces moyens au cours des dernières années a fait le reste, après le rachat auprès des majors de gisements réputés en déclin et qui ont été valorisés (au Texas par exemple)." "L'Irak va jouer un rôle clé dans l'offre des prochaines années. La situation politique reste fragile mais le plan de développement pétrolier de 2010 est ambitieux et va mobiliser les ressources des plus grandes compagnies internationales. Les réserves du pays sont importantes (voisines de celles de l'Iran, mais nettement derrière celles de l'Arabie saoudite) et techniquement faciles à exploiter. Anciennes et mal entretenues, les installations et les infrastructures doivent encore faire l'objet d'investissements importants. La sécurité n'a pas représenté à ce jour une difficulté pour l'extraction et l'exportation. A 2,6 millions de barils par jour actuellement (2,2 sont exportés), la production se rapproche de son niveau de 1990." "L'Arabie saoudite comme la Russie cherchent de leur côté à accroître leurs réserves. Les deux types d'hydrocarbures partagent une nature physico-chimique commune mais leurs différences donnent à chacun des utilisations spécifiques." "Si le pétrole occupe la première place comme source de carburants (essence, kérosène) et est presque absent de la production d'électricité, le gaz naturel est surtout utilisé dans des centrales thermiques, en pétrochimie (aux Etats-Unis) et pour le chauffage individuel. Un des traits dominants de l'évolution récente des sources d'énergie est celui de l'abondance des découvertes de gisements de gaz naturel." "A cela s'ajoute aux Etats-Unis, l'évolution des technologies qui ont permis depuis cinq ans de valoriser des gisements de gaz dit non-conventionnel (notamment la formation géologique Marcellus, dans le nord-est). L'impact en termes d'offre a été suffisant pour affecter les cours du gaz. A 4 dollars environ par million de BTU, le prix du gaz est loin de ses plus hauts de 2008 (14 dollars). Le marché va rester durablement déséquilibré. A terme, les Etats-Unis pourraient même devenir exportateurs de gaz si les infrastructures étaient mises en place." "A la suite de cette évolution totalement inattendue, beaucoup de projets d'exploration ont été lancés dans différents pays (Chine, Inde, Allemagne, Australie). L'exploitation présente des inconvénients en termes environnementaux (risque de contamination des nappes phréatiques) et l'expérience est que les gisements s'épuisent plus vite que des gisements traditionnels. Le potentiel est sans doute plus limité que ce que les plus optimistes estiment mais il a eu aux Etats-Unis un effet en retour sur l'exploitation pétrolière elle-même." "La prospection et l'exploitation pétrolière peuvent utiliser les mêmes techniques de forage horizontal et de fragmentation in situ des roches. L'exploitation pétrolière étant aujourd'hui plus rentable que celle du gaz, les opérateurs indépendants se sont reportés sur la prospection pétrolière. C'est la deuxième raison de la reprise de la production pétrolière aux Etats-Unis." "Sans même ajouter cette source nouvelle, le marché du gaz naturel a subi le contrecoup de découvertes nombreuses (gisement sous-marin en Israël en 2010) pour une énergie fossile qui présente l'avantage d'être relativement propre. C'est aussi la matière première autour de laquelle une grande partie de la pétrochimie américaine s'est organisée. Après l'accident de Fukushima, la politique énergétique du Japon devrait évoluer à moyen terme dans un sens favorable au gaz naturel." "Des réserves importantes de sables bitumineux existent (Athabasca au Canada, Orénoque au Venezuela) mais leur exploitation conduit à de sérieuses diffi cultés sur le plan environnemental. Les coûts ont baissé et le Canada produit actuellement 1,2 millions de barils par jour." Concernant le charbon thermique, "les réserves sont abondantes mais il est très polluant (CO2, soufre) et un fort développement est peu probable (Chine exceptée). Des centrales plus propres sont concevables mais les techniques de capture du CO2 doivent encore progresser". "L'accident de Fukushima vient bouleverser la donne. Non seulement, il vient rappeler les risques du nucléaire mais aussi les autres problèmes qu'il pose : il faut remplacer une grande partie du parc existant et la question des déchets n'est pas résolue. Les technologies nouvelles de type EPR ne sont pas encore opérationnelles en vraie grandeur. La Chine constituera sans doute l'exception ; elle a suspendu son plan de créer soixante nouvelles centrales d'ici à 2020 (onze sont en activité actuellement), mais elle peut difficilement faire face à ses besoins énergétiques sans recourir au nucléaire. Les considérations environnementales ajoutent une contrainte supplémentaire." "Les énergies renouvelables vont bien au-delà d'une mode passagère. L'ambition de la Chine dans ce domaine en est la preuve (11,4% de l'énergie dérivée de sources non-fossiles dès 2015) et le début de sa réalisation est impressionnant. La hausse des prix sur les formes traditionnelles d'énergie vont rendre les énergies renouvelables de plus en plus concurrentielles alors que l'évolution de la technologie, les économies d'échelle, le soutien (avec plus ou moins de cohérence) de la puissance publique agissent dans le même sens." "Certaines technologies ont connu un vrai décollage depuis cinq ans : solaire (photovoltaïque et thermique), éolien, géothermie, biomasse. Pour presque tous ces procédés, des filières industrielles sont désormais en place et leurs coûts baissent. Rivaux encore marginaux, ils peuvent collectivement affecter la croissance de la consommation d'énergie traditionnelle. Selon la formule de l'Américain Amory Lovins, l'énergie la moins chère est celle qu'on ne consomme pas,