QUESTION DU JOUR/L'effet papillon a-t-il encore frappé

15/03/2007 - 19:00 - Option Finance

(AOF) - Nous vivons au cœur de mouvements de Bourses, de changes et de taux qui nous inquiètent, et ceci pour la deuxième fois depuis quelques mois (après le sell off de mai-juin 2006). Cette fois, les "raisons" sont : la crise de la Bourse de Shanghai, la phrase malheureuse de M. Greenspan sur le risque de récession américain, le retournement du marché subprime aux Etats-Unis, les tensions géopolitiques (Irak, Iran). Depuis, M. Greenspan est revenu en arrière : la récession est possible et non probable, le pire de l'ajustement du logement est derrière nous. On nous dit aussi que Shanghai n'est pas la Chine, et que le subprime américain était très mal pricé. En quelque sorte, c'est d'un retour à la normale qu'il s'agit. Quand on regarde derrière, on trouve à peu près les mêmes thèmes il y a six mois : Shanghai avait déjà mis le feu aux poudres, un responsable politique local trouvant le marché trop cher (on sait ce que veut dire "responsable politique local"), des experts faisaient alors le lien avec le logement (Le Figaro, "Le yuan et la bulle immobilière américaine" ; 28 juillet 2005), d'autres avec l'obligataire américain (The Economist, "From T-shirts to T-bonds"). Dans les deux cas, les analystes lient des processus éloignés et soulignent leurs effets catastrophiques. Le recours à la théorie de l'aile de papillon est fréquent. Cette histoire commence presque comme une blague. En 1972, le météorologue Edwards Lorenz fait une conférence à l'American Association for the Advancement of Science intitulé : "Predictability : does the flap of a butterfly's wings in Brazil set off a tornado in Texas ?", soit en français : "Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?". En fait, le titre de la conférence ne venait pas de lui. mais du collègue qui l'avait invité, avait trouvé le titre parlant, l'avait noté sur le programme, sans lui en parler ! L'effet papillon était né. et avait fait sa première victime. Depuis, la logique du message a été pervertie : il ne s'agit pas de dire que l'infiniment petit détermine l'infiniment grand, dans un série mystérieuse et impossible à comprendre. E. Lorentz écrit ainsi : "De crainte que le seul fait de demander, suivant le titre de cet article, "un battement d'aile de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ?" fasse douter de mon sérieux, sans même parler d'une réponse affirmative, je mettrai cette question en perspective en avançant les deux propositions suivantes : - si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce ; - si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l'aggraver". Autrement dit : d'abord les incertitudes sont inévitables, nul ensuite ne peut prendre en compte l'ensemble des éléments qui forment son environnement, surtout s'il s'agit de variations infimes. Ajoutons que, depuis, nous avons avancé dans l'analyse de la météorologie : un effet minime est noyé, sans effet ultérieur. Le papillon meurt ! Comment devons-nous donc comprendre ce qui se passe en finance : effet papillon, ou non ? La thèse du papillon met l'accent sur la nervosité des marchés, les courbes de taux plates qui cherchent un sens, la volatilité si basse qui ne demande qu'à remonter. Les "non-papillons" font d'abord remarquer que la Chine et les Etats-Unis ne sont pas des petits animaux de l'économie mondiale, mais parmi ses plus gros, avec la double caractéristique qu'ils se nourrissent l'un l'autre. La Chine a besoin des Etats-Unis pour ses débouchés et les Etats-Unis de la Chine pour financer leur déséquilibre extérieur. Il ne s'agit donc pas d'un papillon, mais de deux, très liés, et très gros ! On peut étendre l'analyse, en constatant l'importance des déséquilibres qui gagnent le monde. Les banques centrales sont crédibles, mais ceci alimente des carry trades déstabilisants. Les réserves s'accumulent chez les pays émergents, pour empêcher des crises de change chez eux. Mais ils ont les pires difficultés à les recycler, sauf à faire baisser le prix global du risque en achetant des bons américains. Au moment où nous sommes en low cost economy, nous voilà en high prices assets. L'ajustement pourrait être très violent : souhaitons qu'il se fasse de façon graduelle et coordonnée, avec un repricing global du risque. Alors, ces coups de papillon auront été des coups de semonce. Par Jean-Paul Betbèze responsable à la direction des études économiques et chef économiste du Crédit Agricole