QUESTION DU JOUR/Recyclage et stabilité mondiale

21/03/2007 - 13:00 - Option Finance

(AOF) - es prix du pétrole ont presque quintuplé en moins de dix ans, depuis le point bas de 1998. Tout comme les chocs précédents, ce nouveau choc pétrolier redistribue les revenus des pays importateurs vers les pays exportateurs d'hydrocarbures. Lors des deux premiers épisodes, en 1973/74 puis en 1979/80, l'accroissement induit de l'épargne mondiale a alimenté à la fois la récession et la recherche de nouveaux débouchés pour les liquidités replacées dans le système bancaire occidental, d'où la progression imprudente des prêts aux pays en développement, notamment latino-américains, et la crise de la dette des années 80. Cette expérience souligne l'importance des mécanismes de recyclage des pétrodollars. Les revenus des exportations de pétrole auraient été, en 2006, supérieurs à 850 milliards de dollars, soit près de trois fois ceux de 2002. Pour mémoire, ils étaient de 24 milliards en 1972, 117 milliards en 1074, puis 250 milliards en 1981. En termes comptables, ces revenus financent l'accroissement des importations de biens et services ou se retrouvent dans l'excédent des paiements courants, c'est-à-dire se placent à l'étranger. L'effet miroir interne aux pays producteurs concerne l'équilibre entre l'épargne nationale et l'investissement. Les revenus pétroliers peuvent conduire à une hausse de la consommation ou alimenter l'épargne. Cette dernière finance l'investissement interne et les placements à l'étranger, la différence entre l'épargne et l'investissement étant précisément égale au solde des paiements courants, c'est-à-dire à l'accumulation nette d'actifs étrangers. Les revenus pétroliers sont donc "recyclés" auprès des pays importateurs, soit sous forme d'achats de biens et services produits dans ces pays, soit sous forme de contribution à leur financement par l'acquisition de titres. D'après une étude récente de la Banque de réserve fédérale de New York, le taux d'épargne des pays pétroliers est passé de 28% du PIB en 2002 à 39% en 2006. Comme le PIB a globalement doublé (en dollars) sur cette période, cela signifie que la consommation a connu une croissance des deux tiers environ, qui a alimenté la demande d'importations. Le taux d'investissement est quant à lui resté stable, autour de 22 %, ce qui correspond à un doublement de l'investissement en dollars, et donc à une hausse des importations de biens d'équipement. Mais l'accroissement du taux d'épargne se traduit pratiquement entièrement par l'acquisition d'actifs étrangers. L'excédent des paiements courants des pays pétroliers est ainsi passé de 88 milliards de dollars en 2002 à un montant de l'ordre de 450 milliards en 2006. Evidemment, de tels montants jouent un rôle important dans l'équilibre mondial des paiements. L'accroissement des importations des pays pétroliers semble avoir bénéficié particulièrement aux pays d'Asie. L'étude de la réserve fédérale de New York indique que, pour un dollar d'accroissement de la facture pétrolière de différents pays importateurs, le retour sous forme d'importations additionnelles par les pays producteurs représente 20 cents aux Etats-Unis, 40 cents dans la zone euro, et plus de 60 cents en Chine. Cette approche doit cependant être relativisée, car elle méconnaît les effets induits de l'expansion du commerce : par exemple, la progression des exportations chinoises se traduit par une hausse de la demande chinoise d'importations en provenance de marchés tiers. Le "contenu en importations" des exportations chinoises est en effet particulièrement élevé. Au-delà de ces effets commerciaux, c'est surtout l'impact des pétrodollars sur l'équilibre financier international qui est intéressant. L'excédent des paiements courants des pays pétroliers représente environ la moitié du déficit américain. En termes globaux (directs ou indirects), les pays pétroliers ont pris le relais des pays d'Asie (dont l'excédent représente environ 30% du déficit américain) dans le financement de ce déficit. Pour autant, ce financement reste largement public. Au côté des banques centrales asiatiques, on trouve dorénavant les autorités officielles des pays exportateurs de pétrole : banques centrales, mais aussi divers fonds et structures publiques. Le recyclage semble se faire davantage sous forme de flux de portefeuille que sous forme d'investissements directs, même si certaines affaires ont défrayé la chronique, comme l'acquisition, pour 7 milliards de dollars, de British P&O par Dubai Ports World Authority. Au total, le recyclage des pétrodollars soutient, directement ou indirectement, la consommation et l'investissement américains, ce qui contribue à stabiliser temporairement l'économie mondiale (et le dollar) dans une configuration de déséquilibres particulièrement marqués. La question lancinante de l'ajustement nécessaire de ces déséquilibres reste posée. Pierre Jacquet