Pourquoi faut-il responsabiliser avantage les administrateurs ?

28/06/2006 - 12:42 - Option Finance

(AOF) - Interview Fabrice Rémon, président de Deminor, société spécialisée dans le conseil aux actionnaires minoritaires

En moins d'un mois, ce ne se sont pas moins de trois entreprises, Arcelor, Vinci et EADS qui ont défrayé la chronique en matière de gouvernement d'entreprise. Que vous inspirent ces trois situations ?

Tout en étant de natures très différentes, ces affaires montrent que le seul véritable contre-pouvoir des présidents d'entreprises n'est pas, comme on pourrait le croire, constitué par les administrateurs, les différents comités de rémunération ou d'audit, ou les obligations supplémentaires imposées par telle ou telle loi, mais par les actionnaires, et plus largement par l'opinion publique. Arcelor est à cet égard emblématique, lui qui est localisé dans un pays où la loi donne au conseil d'administration plus de pouvoir que nulle part ailleurs. C'est parce que les actionnaires et, au-delà, l'opinion publique se sont fortement mobilisés sur la manière dont se présentaient les différents projets de rapprochement qu'Arcelor à dû faire marche arrière, c'est-à-dire obtenir des améliorations pour le projet Severstal et accepter de recevoir les dirigeants de Mittal. Enfin, pour permettre à ses actionnaires de se prononcer en connaissance de cause sur le projet Mittal et sur le projet Severstal, Arcelor vient d'annuler l'assemblée générale des actionnaires initialement prévue le 21 juin. Les actionnaires sont, toutefois, aussi préoccupés par EADS ou Vinci. S'agissant d'EADS, la coïncidence existant entre l'annonce des retards de livraison de l'A380 et le moment auquel ont été réalisées les ventes de stock-options par Noël Forgeard, son président, ainsi que par quelques autres membres de sa famille et dirigeants du groupe est curieuse, mais il faut laisser pour l'instant à Noël Forgeard le bénéfice du doute. Rien ne permet en effet d'affirmer aujourd'hui qu'il y ait eu délit d'initiés de la part des dirigeants, ceux-ci ayant par ailleurs levé leurs options dans la "fenêtre" réglementaire qui leur était ouverte. Quant à l'affaire Vinci, elle est vraiment choquante. Elle témoigne en effet, selon moi, d'un réel manque de dignité de la part de son président qui, déjà bien rémunéré, souhaitait toucher une prime de départ supplémentaire de 8 millions d'euros, pour n'avoir finalement fait que son devoir.

N'a-t-on pas fréquemment vu dans le passé plusieurs présidents de grands groupes quitter ou devoir quitter leur entreprise avec des sommes conséquentes ?

Certes, rares sont les présidents qui ont, du fait de la pression de l'opinion publique, renoncé à toucher leurs indemnités de départ ! Cela a été le cas de Pierre Bilger, l'ancien président d'Alstom, dont les indemnités atteignaient 4 millions d'euros alors que la société faisait des pertes. Il est vrai que ces indemnités sont légales, puisqu'elles ont été approuvées par le conseil d'administration. Toutefois, l'on oublie trop souvent que, d'une part, c'est le président qui en réalité choisit ses administrateurs et que, d'autre part, les sommes dites "golden parachutes" ne sont bien souvent votées que lors du départ. Autrement dit, ce n'est pas parce que certains rapports présentant les rémunérations des dirigeants des entreprises ne prévoient pas d'indemnité de départ pour le dirigeant que celui-ci, le moment venu, n'en percevra pas. Havas constitue à cet égard un bon exemple. Le rapport sur les rémunérations publié l'an dernier ne prévoyait pas de gratification spécifique pour son dirigeant, Alain de Pouzilhac. Or, lorsque, cette année, son départ a été annoncé, il a demandé à bénéficier d'indemnités. Mais, comme dans les cas précédents, les actionnaires ont réagi. Proposée a posteriori pour ratification à l'assemblée générale des actionnaires de Havas, cette disposition n'a en effet pas été ratifiée !

Quelles solutions adopter à l'avenir pour se prémunir contre ces dérives ?

La solution la plus simple, et prévue par les textes, consiste à responsabiliser les administrateurs, c'est-à-dire à leur faire prendre conscience qu'ils mettent en risque leur patrimoine personnel s'ils venaient à être mis en cause par toute personne ayant intérêt à agir pour la société. C'est parce que certains administrateurs l'ont bien compris que l'on a vu dans le passé certains d'entre eux quitter le conseil d'administration de Vivendi Universal. A ce jour, toutefois, les administrateurs n'ont été mis en cause que dans deux affaires (Nasa et Moulinex). Dans ce contexte, le meilleur garde-fou reste encore l'actionnariat. On constate à ce titre que, plus l'actionnariat de la société est fragmenté, plus ces dérives sont fréquentes. En revanche, lorsque l'actionnariat est aux mains d'une famille, ce genre de situation ne risque pas de perdurer