L'irruption de Canal+ dans la télévision généraliste gratuite chamboule le PAF

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Grand chambardement dans le PAF (Paysage audiovisuel français) ! Les groupes Bolloré et Canal+ ont jeudi 8 septembre annoncé avec tambours et trompettes un projet de partenariat stratégique autour de Direct 8 et Direct Star, les chaînes TNT gratuites du groupe Bolloré. L'accord prévoit que le groupe Canal+ prendra une part de 60% dans l'activité de télévision du Groupe Bolloré pour un montant total de 465 ME. Cette prise de participation sera rémunérée avec 16,2 M de titres Vivendi, valorisés à la moyenne des quatre derniers mois (soit 279 ME). A l'issue de cette opération, Groupe Bolloré détiendra 1,3% du capital de Vivendi. Les 40% restants (soit 186 ME) seront payés dans 3 ans en cash.

Excellente opération pour Groupe Bolloré

Comme le souligne CM-CIC Securities, cette cession constitue « une excellente opération pour Bolloré ». En effet, un an seulement après avoir racheté Virgin 17 à Largardère pour 70 ME, le groupe « sécurise sa création de valeur dans la TNT, au moment où s'aggravent les incertitudes sur le marché [de la publicité] et l'attribution éventuelle par le CSA de nouveaux canaux de TNT. » En outre, la valorisation de 465 ME est comparable au prix record déboursé en 2009 par TF1 pour racheter TMC et NT1. En l'occurrence, Vincent Bolloré témoigne une fois de plus de son immense capacité à se ménager de subtantielles plus-values. Grâce au partenariat avec Canal+, son groupe entrera au capital de Vivendi à hauteur de 1,3% sur une base de 17 euros par titre - un prix certes supérieur au cours de 16,09 euros affiché par Vivendi à la clôture du jeudi 8 septembre, mais qui est très loin de refléter la valeur d'actif de celui-ci. Encore une fois Groupe Bolloré ne paraît pas faire une mauvaise affaire et « confirme, » selon CM-CIC Securities, « son opportunisme et sa capacité à arbitrer entre ses actifs. »

Canal+ souhaite devenir un acteur majeur de la télévision gratuite

Avec cette opération, Canal+ assure son entrée dans la TV généraliste gratuite (Le groupe possède déjà sur la TNT la chaîne d'information continue I-Télé). Le prix payé (465 ME) atteste le caractère stratégique pour Canal+ de la diversification de son « business model », en « étant présent sur toute la chronologie des médias » note CM-CIC Securites. Cette analyse, Canal+ la corrobore dans son communiqué : « Cette présence élargie comprenant payant et gratuit doit permettre [à notre] groupe d'étendre sa présence sur l'ensemble des fenêtres d'exploitation des œuvres audiovisuelles ». Avec cet achat, Bertrand Méheut, président du groupe Canal+, va pouvoir lutter comme il le souhaitait, sur le même terrain que TF1 et M6. Le groupe n'aura donc pas besoin pour faire son entrée dans la télévision gratuite d'attendre que le CSA lui donne éventuellement son « feu vert » pour créer « Canal 20 » (la chaîne gratuite à laquelle Canal+ désirait jusqu'alors donner le jour).

Un mauvais scénario pour M6 et TF1

L'entrée fracassante de Canal+ dans la télévision gratuite ne fait pas que des heureux puisque cette opération vient exacerber la concurrence déjà extrêmement rude dans le paysage audiovisuel français et singulièrement exacerbée sur le marché de la TNT. Pour TF1, l'arrivée de Canal+ via Direct 8 et Direct Star dans la télévision généraliste gratuite signifie une concurrence accrue sur les audiences, les achats de programmes et les parts de marché publicitaire. Pressentant depuis un moment le danger, le leader du PAF, qui ne peut plus réglementairement se renforcer sur la TNT, tente de convaincre depuis plusieurs semaines le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'autoriser sa chaîne d'information LCI à désormais diffuser sur la TNT gratuite, sous peine de la voir mourir si sa requête n'aboutissait. M6 est également fragilisé par l'offensive de Canal+ et doit sans doute consolider ses positions sur la TNT. La chaîne de Nicolas de Tavernost a le droit à 2 canaux supplémentaires. Reste que les opportunités d'acquisition sont rares. Aussi commence-t-on sans doute du côté de M6 à lorgner du côté de NextradioTV et de BFM TV.

BFM TV et NRJ 12, des proies toujours plus alléchantes.

NextRadioTV, le groupe d'Alain Weill, risque également de se retrouver, avec sa chaîne BFM TV, marginalisé au milieu des grands acteurs du secteur. Certes, comme le souligne CM-CIC Securities, le statut de chaîne d'information de BFMTV semble a priori protéger cette dernière des remous provoqués par la prise de contrôle de Direct 8 et Direct Star par Canal+. Mais des réactions en chaîne sont possibles, voire probables, et dans le nouveau paysage qui se dessine, TF1 redoublera sans doute d'effort pour se concilier le CSA et faire de LCI une chaîne d'info accessible sur la TNT gratuite. Ce qui serait cette fois réellement dommageable à BFM TV et NextradioTV. Quid de NRJ12 ? Le risque de marginalisation existe aussi pour la chaîne 100 % généraliste de NRJ Group qui se retrouve face à un acteur, Canal+, autrement outillé en matière d'achats de programme et de régie que Groupe Bolloré. NRJ12 pourrait bien donc à terme passer sous un autre pavillon, si sa maison-mère considère qu'elle n'a pas les armes pour rivaliser durablement. Derechef, M6 fait figure de candidat naturel à sa reprise.

La bourse fait ses premiers arbitrages

L'annonce du rachat de Direct 8 et Direct Star par Canal+ n'a pas laissé la bourse indifférente. Les premières réactions des investisseurs lors de la séance du vendredi 9 septembre semblent valider le choix fait par Vivendi et sa filiale de rentrer en force sur la TNT, quitte à en payer le prix fort. Dans un marché en perdition après l'annonce de la démission du chef économiste de la BCE, l'allemand Jügen Stark, (le CAC 40 a plongé de 3,6 % le 9 septembre), Bolloré qui réalise une juteuse plus-value a été salué (+3,37 % à 161 euros). Vivendi a pour sa part fait mieux que résister. Evoluant en territoire positif l'essentiel de la séance, le titre du groupe de médias n'a fléchi en clôture que de 0,25 % à 16,05 euros et signé la meilleure performance du jour au sein d'un CAC 40 déprimé. L'action Canal+ a, quant à elle, terminé quasi stable (+0,02 % à 4,23 euros). TF1 et M6 ont en revanche essuyé des dégagements appuyés. La filiale du groupe Bouygues a vu son cours de bourse s'effondrer de -7,2 % à 9,54 euros, tandis que sa maison-mère se trouvait pareillement malmenée : Bouygues a conclu la semaine sur un décrochage de -4,09 % à 24,85 euros. La chute fut de même amplitude pour M6 (-6,51 % à 13,29 euros). Nextradio TV s'en est tiré de son côté sans gros dommages, le groupe d'Alain Weill ne perdant que -0,39 % à 10,10 euros, alors que son concurrent NRJ Group s'appréciait de +0,70 % à 7,15 euros. Indubitalement, les investisseurs ne croient pas que ces deux acteurs puissent ne pas être parties prenantes du mouvement de consolidation à venir et que le rôle qu'ils y tiendront ne soient pas celui de proies.

Prendre des positions clefs avant l'arrivée d'Apple, de Google et de Netflix

Toutefois, la réaction d'un jour ne fait pas tendance. Plus parlante est la contre-performance de l'ensemble du secteur depuis le début de l'année. Les doutes sur la croissance et les risques accrus de récession expliquent pour beaucoup l'effondrement des capitalisations boursières de TF1, de Vivendi, de Canal+, de Metropole TV - M6, ou bien encore de NextradioTV ou de NRJ Group qui affichent tous des pertes entre 10 et 27 % depuis le 1er janvier mais cette débâcle boursière qui ne concerne pas par son amplitude que les médias tient aussi en l'espèce de la défiance des investisseurs à l'égard d'une industrie en pleine métamorphose. Le partenariat entre Canal+ et Groupe Bolloré n'est que l'une des premières grandes manoeuvres sur un théâtre d'opérations où de nouveaux belligérants feront prochainement irruption. Cette intensification attendue des affrontements est même sans doute à l'origine de l'audacieux (et onéreux) mouvement stratégique de Canal+. Son président Bertrand Méheut ne le cache pas: « ce partenariat [avec Groupe Bolloré ) vise à préparer le groupe Canal+ à l'arrivée dans le secteur de la télévision de nouveaux opérateurs comme Apple, Netflix, Google... ». La bataille est décidément engagée. Et la lutte sera âpre...

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