Quatrième partie de la version rédigée de notre interview vidéo tournée le 19 mars avec Véronique Riches-Flores (RF Research)
Vincent Bezault : Véronique Riches-Flores, si l'on considère que le marché boursier est un thermomètre qui nous précise où va l'économie, on se dit, à vous écouter, qu'il indique certes la bonne direction puisqu'il nous renvoie aux chocs que l'économie est en train de vivre, mais j'ai l'impression qu'il a encore du retard par rapport à l'ampleur de la crise.
Véronique Riche-Florès : Oui. Vous avez bien cerné mon inquiétude. Si on revient au début de notre entretien, j'ai rappelé que la période précédente se caractérisait par une surévaluation des actifs. On voit qu'on a déjà beaucoup corrigé, mais si l'on se réfère à quelques indicateurs fondamentaux de l'économie, on n'est pas certain d'avoir véritablement normalisé la situation.
D'autre part, les marchés en phase de correction ont souvent tendance à exagérer les corrections, tant en phase haussière qu'en phase baissière. Quand on observe l'évolution de l'indice mondial des actions, le MSCI monde, par rapport à son histoire, qui remonte à 1994, et par rapport à des données d'économie réelle, à savoir ici sur ce graphique la production industrielle, tout cela montre à quel point le marché exagère toujours ses oscillations, mais également que dans les phases de correction, on va souvent bien en deçà de la tendance de long terme, bien en deçà de la fourchette basse de l'écart type également, et, clairement, on voit qu'aujourd'hui on est un peu en suspens et qu'il y a potentiellement davantage de correction à venir surtout si la production baisse, ce qu'elle va vraisemblablement faire de manière assez magistrale.
VB : Ce qu'on visualise sur ce graphique est l'indice de production mondiale. Plus on est en phase d'excès, plus le MSCI Monde s'écarte évidemment de cet indice de production et on voit en effet que sur la période récente il s'est considérablement écarté à la hausse, beaucoup plus que lors des cycles précédents. Et quand il corrige, il corrige aussi à l'excès et généralement on va en deçà. Or sur ce graphique, quand on regarde l'extrémité à droite, on voit qu'il nous reste pas mal de chemin à faire pour purger.
Véronique Riche-Florès : Exactement. Si on est optimiste, on peut dire que l'on va purger encore à court terme puisque le marché exagère et puis on reviendra dans un an, un an et demi quelque part là dans la zone où on est aujourd'hui, donc finalement on peut rentrer sur le marché et en profiter pour acheter. Ce n'est pas si simple, me semble-t-il, et notamment parce que cette crise extrême intervient au moment où le grand cycle de la mondialisation, c'est-à-dire quand même l'histoire économique des trente dernières années, est remis en question, en particulier, en raison de ses effets délétères sur l'emploi dans une bonne partie du monde (en dehors de la Chine). Il est aussi remis en question par les enjeux climatiques auxquels se rajoutent désormais la crise sanitaire actuelle, que certains entrevoient comme un accélérateur possible à la démondialisation. Alors là on se dit, ce qui arrive est un mal pour un bien : il nous fallait cela, on va rapprocher les entreprises des consommateurs, cela créera de la croissance, de l'emploi, tout est très bien. C'est un peu plus compliqué, à partir du moment où on revient sur les marchés financiers, sur nos entreprises dont le modèle de valorisation est totalement en phase avec ce qui s'est passé ces trente dernières années, c'est-à-dire un monde global, où quand vous avez une entreprise, un produit qui fonctionne, vous vous adressez à un marché de plus de sept milliards d'habitants sur la planète, ce qui fait qu'on arrive à des valorisations très élevées, d'autant plus élevées que les taux sont bas.
La question si on a effectivement les prémices d'une démondialisation accélérée −sachant qu'on a eu entre temps la guerre commerciale qui a déjà mis quelques bâtons dans les roues de la mondialisation− est de déterminer quels sont les niveaux de valorisation qui sont ceux auxquels on doit se référer.
Si l'on observe des indicateurs de valorisation dits fondamentaux qui en général rapportent des actifs ou la capitalisation boursière à des agrégats économiques ou financiers des entreprises, on voit qu'il y a deux périodes probablement à observer, une période avec des valorisations moyennes qui oscillent bien évidemment, mais ces valorisations n'avaient rien à voir avec ce qu'on a connu depuis le milieu des années 90, des valorisations qui sont beaucoup plus élevées quel que soit l'indicateur retenu. Ma conviction est qu'elles sont beaucoup plus élevées parce qu'effectivement nous sommes rentrés dans un nouveau modèle, un nouveau paradigme économique, l'ère de la globalisation, l'ère de la croissance presque à l'infini et très rapide avec des débouchés pour les produits des entreprises qui sont extrêmement vastes. Or, si l'on questionne cette mondialisation, il va alors falloir questionner les valorisations des entreprises qui vont avec.
Vous comprenez mon inquiétude. La baisse des actifs actuelle a probablement ramené le niveau des valorisations fondamentales sur la moyenne qu'elles affichent depuis le milieu des années 90. On est néanmoins toujours bien au-dessus des moyennes de la période qui précédait et peut-être que ce sont justement ces moyennes antérieures à 1995 qu'il va falloir considérer, si effectivement le monde change après cette crise du coronavirus. C'est un résumé, bien sûr vous l'avez compris, il y a eu bien d'autres choses pour nous conduire sur la voie d'une démondialisation un peu plus rapide que celle que l'on a eue jusqu'à maintenant.
Donc, oui, vous voyez qu'à la fois en termes de tendance [à brève échéance], on a l'impression qu'il reste un potentiel de baisse pour purger véritablement les excès, mais également en termes de réflexion plus fondamentale à moyen long terme, on a probablement plus de risques de voir des corrections de valorisation additionnelles que l'inverse.
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