Société Générale : la responsabilité de la direction

24/01/2008 - 15:43 - Boursier.com

Un acte "aux motivations totalement incompréhensibles"...

Les excuses "déposées aux pieds des actionnaires" par la direction de la Société Générale, les explications forcément insatisfaisantes données au sujet de la fraude dont la banque se dit victime, tout cela pèse bien peu dans l'esprit du public face à l'ampleur des conséquences financières immédiates, et des conséquences stratégiques sans doute à plus long terme. Les principaux dirigeants concernés par ce scandale n'ont certes pas cherché à minimiser leur responsabilité. M. Bouton, qui préside aux destinées de l'établissement depuis 17 ans, s'est même senti moralement obligé de présenter sa démission -refusée par le conseil d'administration qui lui a demandé de faire face à cette situation et de remettre le groupe sur la voie d'une croissance profitable- de même que M. Mustier, directeur général adjoint chargé de la Banque de financement et d'investissement (SGCIB). Si à ceux-ci, il a donc été demandé de rester sur le pont, au moins le temps de redresser le navire, quatre à cinq personnes en ligne hiérarchique directe par rapport au trader incriminé ont ou vont, elles, quitter la banque, y compris le responsable mondial du métier "actions" au sein de CIB. Reste qu'au cours d'une conférence de presse à l'atmosphère survoltée qui se tenait ce jueid matin Daniel Bouton, Jean-Pierre Mustier et les autres responsables présents (Philippe Citerne, Directeur général délégué, Frédéric Oudéa, Directeur financier) n'ont pu au bout du compte que faire aveu d'incompréhension face à "l'inexplicable", terme revenu plusieurs fois. Si le "comment" émerge plus ou moins clairement, le "pourquoi" reste une énigme insondable... Pas forcément tranquille sur les choix qui ont dû être opérés dans l'urgence pour gérer cette crise, Daniel Bouton a aussi laissé entendre qu'il s'attendait à ce que ceux-ci soient discutés sans ménagement. Détaillant la marche suivie depuis vendredi dernier, date à laquelle le pot aux roses a été découvert, le président s'est efforcé de justifier les décisions cruciales qui ont été prises face à une crise dont les conséquences auraient, aussi bien, pu se mesurer en multiples des sommes mentionnées - à l'échelle de la SG mais aussi du marché dans son ensemble ? Selon la direction, un opérateur de marché normalement chargé d'activités de couverture de contrats à terme sur indices européens, a pris des positions massives (bien au-delà de ses limites), directionnelles (ce qui ne correspond pas à la mission de son département) et totalement frauduleuses. Vendredi 18 janvier au soir, un contrôle portant sur le risque de contrepartie a détecté une anomalie sur une position ouverte (malheureusement à la hausse) sur des contrats sur indices européens. Des investigations ont été menées samedi et dimanche et c'est tout un système de dissimulation bâti pour échapper systématiquement aux procédures de contrôle des risques qui a été mis à jour. Alors que l'ampleur de la position apparaissait au fur et à mesure, les dirigeants ont pris le parti de la fermer au plus tôt, dans le respect des règles professionnelles : pas question de spéculer sur le fait qu'elle puisse rester dissimulée quelques semaines et de la déboucler à la faveur d'un regain éventuel des marchés. Mais pour comble de malchance, c'est dans le contexte de krach que l'on sait que ces opérations de débouclage ont dû être menées. L'orientation baissière du marché a donc gonflé d'autant les pertes, avec pour maigre consolation le fait de n'avoir pas déséquilibré le segment concerné dans la mesure où en ce début de semaine les volumes globaux d'échanges étaient très importants, l'impact de l'intervention de la SG était donc relativement faible. Ainsi en dépit de quelques rumeurs (il est vrai plutôt mal renseignées) à partir de mercredi après-midi, la Société Générale a pu fermer dans la discrétion cette position catastrophique. Seul l'AMF et la Banque de France avaient alors été mises dans la confidence. Ce n'est qu'aujourd'hui que la nouvelle a été divulguée au marché. Inutile de dire que si la banque avait annoncé lundi qu'elle était exposée à une position aussi importante à rebours des marchés, tous les opérateurs du monde auraient joué contre ses positions et contre la banque elle-même. En revanche, beaucoup s'étonnent que le groupe ait également attendu aujourd'hui pour entamer une procédure judiciaire. L'employé qui a reconnu les faits après un long entretien au cours du week-end avec le patron de CIB a été relevé de ses fonctions... et a donc quitté le siège parisien de la banque, dans l'attente de son licenciement, sans être pour l'instant entendu par la justice. A la surprise générale, M. Bouton a même convenu qu'on ignorait où il se trouvait à l'heure actuelle ! Son identité restée secrète, on sait seulement que cet opérateur, un trentenaire entré en 2000 à la SG et passé au front-office en 2005, a bénéficié d'une connaissance "aussi intime que perverse" des procédures de contrôle employées en middle-office, y ayant accompli le début de sa carrière. L'indélicat aurait fait preuve d'une réelle intelligence, couplée à une attention de tous les instants, pour déjouer systématiquement les contrôles dont il connaissait le calendrier. Il camouflait ses prises de positions par des positions fictives en sens inverses, dissimulant le risque encouru aussi bien que le résultat des opérations. Il pensait avoir trouvé une méthode pour gagner à tous coups sur les marchés tout en trompant toutes formes de contrôle. S'il s'efforçait de se tenir au courant de l'évolution des procédures, il ne semble pas avoir bénéficié d'une quelconque complicité parmi ses anciens collègues. Mais là où les dirigeants, M. Mustier notamment qui l'a personnellement interrogé, avouent leur incompréhension, c'est sur ses motivations. Le trader ne semble en effet pas avoir bénéficié directement d'un enrichissement personnel. Malveillance ? Le geste paraît inexplicable, M. Mustier en retire l'impression que l'employé ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait, en tout cas de l'ampleur des risques qu'il prenait. Pour La SG, il n'y a pas eu de dysfonctionnement du contrôle de risque. Si cet "opérateur de base de salle de marché" a fini par tomber dans un contrôle, ce n'est d'ailleurs pas par le biais des procédures du middle office, mais par une étude sur le risque de contrepartie menée par les services d'audit de la banque. "Nous avons fait ce que nous pensions devoir faire pour ne pas ajouter à cet évènement terrible des conséquences que plus personne n'aurait pu maîtriser". Daniel Bouton et son équipe sont apparus ce matin prêts à assumer leurs responsabilités. Dans cette ahurissante affaire, les actionnaires l'exigeront de toute façon.



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