QUESTION DU JOUR/Du bon comportement des banques centrales

15/09/2006 - 19:22 - Option Finance

(AOF) - Le danger est dans le cas de la BCE, le rejet de ses décisions par les agents économiques qui n'en comprennent pas l'objet. Dans le jargon développé au sujet des banques centrales, on parle d'indépendance, de transparence, de crédibilité, de responsabilité (ce qui est une mauvaise traduction de "accountability" : le fait de rendre des comptes). Ces notions sont souvent mal comprises, peu claires et les liens entre elles peu analysés.

Indépendance

L'indépendance peut être définie à plusieurs niveaux : l'indépendance en ce qui concerne les objectifs finaux (ultimes) de la politique monétaire ; en ce qui concerne les objectifs intermédiaires, c'est-à-dire les indicateurs avancés des objectifs finaux dont l'évolution peut guider l'orientation de la politique monétaire ; en ce qui concerne les instruments de la politique monétaire. La BCE ou la Banque d'Angleterre sont indépendantes en ce qui concerne ces trois définitions : elles ont décidé que l'objectif intermédiaire était, dans le cas de la Banque d'Angleterre, l'inflation prévue par elle-même ; dans le cas de la BCE, un mélange des déterminants macroéconomiques de l'inflation (salaire, productivité, prix des importations, croissance.) et des déterminants monétaires de l'inflation. La Réserve fédérale est dans une situation plus ambiguë puisque son objectif final est multiple : soutenir la croissance lorsque l'inflation ne menace pas, contrôler l'inflation sinon. Quelle est la bonne définition de l'indépendance ? Le consensus semble être que l'objectif final doit être donné à la Banque centrale par le (ou les) gouvernement(s), une fois pour toutes, ce qui s'appelle une "délégation d'objectif" ; que les objectifs intermédiaires et les instruments sont laissés au choix de la Banque centrale, pour éviter les ingérences du pouvoir politique. Il s'agit donc d'un modèle voisin de celui de la Réserve fédérale et non de la BCE.

Crédibilité et transparence

Les banques centrales pensent qu'elles sont crédibles quand les agents économiques privés (ménages, entreprises.) ne pensent pas qu'elles laisseront réapparaître l'inflation. A l'opposé, une banque centrale non crédible est supposée laisser l'inflation augmenter pour stimuler l'activité. Cette problématique se posait dans les années 1970-1980 dans les grands pays de l'OCDE, et se pose certainement encore aujourd'hui dans les pays émergents. Mais qui croit que, aux Etats-Unis et dans la zone euro, les banques centrales vont volontairement provoquer de l'inflation pour réduire le chômage ? Dans le monde contemporain, la crédibilité est indissociable de la transparence : c'est le fait que les agents économiques privés approuvent les actions de la Banque centrale parce qu'ils en comprennent les motifs. Cette notion de transparence est intéressante quand il s'agit des analyses, des prévisions, des inquiétudes de la Banque centrale : les communique-t-elle aux agents économiques privés ou non ? La réponse est positive pour la Réserve fédérale et la Banque d'Angleterre (publication des minutes des conseils, des votes, des rapports détaillés sur les analyses de la Banque centrale, témoignages au Congrès.) ; négative pour la BCE (pas de minutes, pas de votes, caractères non informatifs des prévisions ou des conférences de presse). Le danger est, évidemment, dans le cas de la BCE, le rejet de ses décisions par les agents économiques qui n'en comprennent pas l'objet. Par exemple, aujourd'hui, la BCE a-t-elle peur de l'inflation ou de la croissance du crédit ? N'anticipe-t-elle pas un ralentissement économique en 2007 ?

Responsabilité

Si on définit la transparence comme ci-dessus, elle entraîne en partie la responsabilité ("accountability"). La Banque centrale doit expliquer les motifs de ses actions. Mais il faut de plus qu'elle montre qu'elle est efficace : il est facile d'éviter l'inflation en provoquant une situation continuelle de sous-emploi. On voit la difficulté. Prenons le cas de la BCE : elle ne peut pas se contenter de montrer qu'elle évite l'inflation. Il faut aussi qu'elle montre qu'elle obtient cette absence d'inflation avec un coût faible en termes de croissance, d'emploi, d'investissement.

La BCE a beaucoup de progrès à faire

La BCE est certainement crédible au sens des banques centrales. Mais le fait que son objectif final ne donne pas lieu à un consensus, que nous ignorons presque tout de ses débats internes et de ses prévisions, qu'elle a des méthodes d'analyses changeantes et mal connues, qu'elle ne mesure jamais l'efficacité (le coût en emploi.) de ses politiques, pose évidemment problème. Patrick Artus, directeur des études et de la recherche d'Ixis CIB