EVENEMENT/ Interview - Jean-Pierre Grimaud, président de l'Af2i

13/03/2008 - 15:12 - Option Finance

Entre la crise financière, les nouvelles réglementations...les sujets de préoccupation ne manquent pas pour les institutionnels. A tel point qu'ils entendent désormais jouer un rôle plus actif dans les débats de place, comme en témoigne Jean-Pierre Grimaud, le président de l'Association française des investisseurs institutionnels (AF2i).

Vous avez été nommé président de l'Af2i voici près d'un an. Quelles ont été vos priorités depuis votre arrivée ?

Jean-Pierre Grimaud:

Pour accompagner le développement de l'association, j'ai d'abord souhaité élargir son bureau en le faisant passer de trois à neuf membres. Ils sont issus des différents métiers représentés dans l'association (retraite, assurance, prévoyance.) et chacun d'eux est en charge de dossiers spécifiques (veille réglementaire, développement durable, techniques de gestion, enquête Af2i, etc.). Par ailleurs, le rôle de l'association est en train d'évoluer. A l'origine, elle permettait avant tout aux institutionnels de se réunir pour échanger sur leurs pratiques de gestion, leurs idées d'investissement... Aujourd'hui, nos membres nous demandent de les représenter dans les débats de place ou dans les réflexions qui animent le monde financier.

Cette implication croissante des institutionnels est-elle liée à la crise ?

La crise n'est pas à l'origine de ce phénomène mais elle l'a accéléré. Les institutionnels avaient en effet déjà manifesté, en début d'année dernière, la volonté de prendre position par rapport à certaines dispositions réglementaires, comme la directive Solvency II ou le statut des EMTN. Depuis la crise, nos adhérents veulent en outre mieux comprendre ce que font les sociétés de gestion, mais aussi les banques d'investissement. Ils se montrent beaucoup plus vigilants par rapport aux produits mis au point par ces dernières. Pour pouvoir accompagner cette évolution, nous allons devoir doter l'association de moyens supplémentaires. Les modalités de ce développement devraient être décidées lors de notre prochaine assemblée générale.

Où en est l'association ? Le nombre et l'origine de ses membres ont-ils évolué en un an ?

L'association totalise aujourd'hui près de 70 institutions adhérentes. Nous approchons de notre but puisqu'à la création de l'Af2i, nous nous étions fixé comme objectif une centaine d'adhérents. Si ces derniers sont issus historiquement du monde de la retraite et de la prévoyance, nous comptons aussi de plus en plus de mutuelles et de compagnies d'assurance qui constituent d'ailleurs l'essentiel de nos nouveaux adhérents. Nous voulions également nous élargir aux entreprises : une est adhérente, EDF, et peut-être bientôt deux autres vont nous rejoindre. Nous visons les entreprises qui ont des problématiques de gestion des retraites ou plus largement de placements à long terme. Enfin, des banques régionales de groupes coopératifs commencent à s'intéresser à nous. Ces 70 adhérents représentent près de 900 milliards d'euros d'actifs sous gestion, soit environ la moitié des encours institutionnels en France.

Quels sont les grands chantiers en cours ?

L'un des principaux concerne la gouvernance et l'exercice des droits de vote. Nous cherchons à sensibiliser les institutionnels quant à l'importance d'exercer leur droit de vote lors des assemblées générales. Ils y sont toutefois de plus en plus incités par la montée en puissance des fonds activistes. Par ailleurs, nous souhaiterions que les entreprises communiquent de manière plus systématique le résultat des résolutions votées en assemblée générale. Il faut pour cela que nous puissions nouer davantage de liens avec elles. Enfin, le processus de vote reste très compliqué lorsqu'il s'agit d'une société étrangère. Nous demandons à ce qu'un effort particulier soit fait dans ce domaine par les établissements bancaires conservateurs des actifs. De manière générale, exercer son droit de vote nécessite, pour les investisseurs institutionnels, des moyens financiers non négligeables. Or ceux dont ils bénéficient sont souvent loin d'être à la hauteur des sommes en jeux : en France, les encours gérés par les institutionnels représentent 1 800 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent du PIB ! C'est une lourde responsabilité qui repose sur les épaules de peu de personnes. Ce décalage est peut-être lié au fait que culturellement, la finance reste encore souvent perçue en France, trop négativement.

Quels sont vos autres chantiers importants ?

La pédagogie envers les investisseurs institutionnels représente le deuxième chantier permanent de l'Af2i. Nous cherchons à renforcer les connaissances des investisseurs institutionnels. Pour cela, nous éditons régulièrement des guides dédiés à des classes d'actifs comme le private equity ou les produits structurés, ou aux indices de marché et à leur utilisation dans le processus de gestion. Nous travaillons, depuis mai 2006, sur un nouveau guide consacré aux indicateurs de risques. Ce guide dont la sortie a été retardée par la crise, a pour objet de définir les différents indicateurs existants et de présenter la façon de les interpréter. Nous avons également comme autre chantier important la veille réglementaire ou encore les modes de valorisation des OPCVM. Concernant ce dernier thème, il est important que les différents modes de valorisation soient portés clairement à la connaissance des investisseurs. Il est bon de rappeler leur définition et de préciser la façon de les utiliser. De plus, l'institutionnel doit s'assurer que le gérant lui fournit bien l'information nécessaire sur sa méthode de valorisation. Sur ces thèmes, nous entretenons des discussions régulières avec l'AFG.

L'une des principales préoccupations des investisseurs institutionnels concerne l'évolution réglementaire, en particulier Solvency II qui va réduire l'investissement en actions des assureurs. Peut-on encore agir ?

Je ne pense malheureusement pas que le texte puisse désormais évoluer positivement par rapport à l'investissement en actions. En l'état actuel des textes, pour investir 100 euros en actions, l'investisseur institutionnel devra détenir 32 euros de fonds propres. Pire, sous la pression du lobbying anglo-saxon, nous pourrions revenir à une contrainte en capital de 40 %, soit un retour au niveau initialement prévu. Le lobbying français à Bruxelles n'a visiblement pas porté ses fruits. Pour l'Af2i, il est désormais important de travailler sur le vocabulaire utilisé dans la directive, de manière à interpréter correctement le texte. Solvency II bouleverse en effet l'approche de la gestion financière en nous demandant d'établir des budgets de risques en amont de nos investissements : savoir définir les différents produits permettra de connaître le niveau de risque associé et en conséquence les besoins en fonds propres. Je trouve surprenant que les agences de notation soient encore une fois placées au cœur du système par le régulateur. Le capital à mettre en face du risque crédit est en effet défini par rapport à la notation fournie par les agences. Au lieu de prendre en référence la seule notation des agences dans le calcul des fonds propres nécessaires, ne pourrait-on pas aussi regarder la nature des titres sous-jacents ? Ainsi, il serait plus logique qu'une obligation d'Etat à notation équivalente soit moins pénalisée qu'une obligation structurée de dette mezzanine montée sur un émetteur basé juridiquement aux Iles Cayman. Enfin, Solvency II va paradoxalement entraîner un développement de l'ingénierie financière, ingénierie qui est si souvent décriée aujourd'hui. Cette évolution risque de se traduire à nouveau dans les prochaines années par une crise importante.

Quels sont les autres aspects réglementaires sur lesquels vous travaillez ?

La veille réglementaire est un thème important pour l'Af2i et ses adhérents. Nous devons nous assurer que les différentes réglementations s'adaptent bien à bien l'évolution de l'ingénierie financière. Le choix du vocabulaire est essentiel, nous devons vérifier qu'un mot ait bien la même signification dans les différents codes. Par exemple, ce n'est pas le cas pour les produits structurés EMTN. Certains codes les autorisent en leur donnant une certaine définition, d'autres codes les interdisent. Dans le code des assurances, un EMTN (euro medium terme note) n'existe pas, il est assimilé à un BMTN (bon à moyen terme négociable). L'investisseur institutionnel utilisateur de ces produits peut donc se retrouver en risque réglementaire. Nous souhaitons une meilleure harmonisation du vocabulaire utilisé par les différentes réglementations.

La crise du subprime a montré que certains fonds jusqu'alors considérés liquides, comme les Sicav monétaires dynamiques, pouvaient cesser de l'être. Qu'en pensez-vous ?

Tout d'abord, l'investisseur institutionnel doit connaître son passif pour pouvoir honorer ses engagements en adaptant ses flux d'investissement. Il doit savoir gérer la liquidité de son propre portefeuille grâce à une analyse actif-passif. Cela étant, quand on lui vend des produits censés être liquides chaque jour, il faut que ce soit le cas. Jusqu'à la crise du subprime, l'idée que tout produit pouvait être liquide chaque jour était largement répandue. La crise a prouvé que tel n'était pas le cas. Aujourd'hui, nous attirons l'attention sur la nécessité d'avoir, dans le monétaire régulier, une adéquation plus forte entre la liquidité affichée par un fonds et celle de ses sous-jacents, de sorte que le risque de liquidité sur un tel produit soit réduit à sa plus simple expression.

Y a-t-il d'autres moyens de résoudre ce problème de liquidité ?

On pourrait réfléchir à la mise en place de lock-up sur le modèle britannique qui permettent d'étaler les sorties d'un fonds dans le temps. Ce système est particulièrement intéressant pour les actifs à liquidité réduite comme certaines stratégies de gestion alternative, mais pas seulement. Il pourrait être aussi utile pour d'autres classes d'actifs comme les small caps ou encore certains secteurs du marché de crédit. Il permettrait en outre à l'ensemble des institutionnels de se professionnaliser notamment en ajustant leurs investissements en fonction de leur horizon de placement. Mais les lock-up ne suffiront pas à résoudre tous les problèmes de liquidité. La directive Mifid comporte elle aussi des dérives potentielles. En effet, en permettant la création de plateformes de transaction concurrentes des marchés organisés actuels, elle risque de provoquer une dispersion de la liquidité. Les marchés actions connaîtraient alors la même évolution que les marchés de taux à la fin des années 1980, qui sont devenus des marchés de gré à gré. Ces dernières peuvent se révéler très peu liquides dans certaines circonstances, qui ne sont pas que théoriques.

Propos recueillis par Ludivine Garnaud et Valérie Nau