Gérard Bourret, PDG d'Ofivalmo : "La sous-traitance va se généraliser"

20/09/2006 - 18:21 - Option Finance

Société de gestion créée par plusieurs mutuelles françaises, Ofivalmo a su en quinze ans élargir sa clientèle en se positionnant sur des secteurs porteurs. Avec aujourd'hui 15,3 milliards d'encours gérés, elle entend bien profiter de la demande croissante des institutionnels pour une gestion plus dynamique, comme l'explique Gérard Bourret, président du directoire. Alors qu'Ofivalmo fête cette année ses 35 ans, comment résumeriez-vous les grandes évolutions du métier de la gestion d'actifs qui sont intervenues depuis lors ? Si Ofivalmo a été créée par plusieurs grandes mutuelles françaises en 1971 pour assurer la gestion de leurs encours, la société s'est véritablement ouverte à la gestion pour compte de tiers en 1991. Il est évident qu'en quinze ans, le métier a beaucoup changé. D'abord, il est devenu plus technique. Auparavant, un gérant gérait dix produits, maintenant quatre à cinq gérants en gèrent un seul. Les supports autour de ces produits se sont sophistiqués, en termes d'informatique, de contrôle des risques. Ces évolutions nécessitent beaucoup de moyens, alors même que les clients ne cessent de faire pression sur les prix. En conséquence, le point mort a considérablement augmenté. Quand j'ai commencé, on me disait qu'à moins de 100 milliards de francs de gestion, on n'existait pas. Aujourd'hui, cela correspond peu ou prou au montant géré par Ofivalmo (15 milliards d'euros) et j'entends les mêmes personnes dire qu'à moins de 100 milliards d'euros, on n'existe pas !

Comment avez-vous élargi votre cible de clientèle, dont une bonne partie est constituée par les mutuelles actionnaires d'Ofivalmo ?

Au départ, Ofivalmo a été conçu un peu comme un GIE. Nos actionnaires mutualistes, qui étaient tous situés en province, nous considéraient comme leur bras financier à Paris, et ils étaient nos seuls clients. Mais, à partir de 1991, nous avons commencé à élargir notre clientèle, tandis que, parallèlement, nos actionnaires développaient des compétences de gestion à l'interne. Aujourd'hui, ils ne représentent plus que 20% de nos encours. Néanmoins, nous avons toujours eu pour stratégie de défricher des domaines que nous jugions porteurs et où ils n'avaient pas la taille critique. Comme ils étaient très positionnés sur les taux, nous avons commencé par nous développer sur les actions. Puis, nous avons successivement élargi notre offre à la multigestion avec l'acquisition de la société Palmarès, à la gestion alternative en participant à la création d'ADI, au crédit. Enfin, une étape très importante de notre développement a été la création, il y a quelques mois, d'Ofimandats avec la Mutualité Française, opération qui a permis de faire passer les encours gérés sous mandat de 1 à 6 milliards d'euros.

Vous vous êtes développés essentiellement par croissance interne. Pourquoi pas par acquisitions ?

Dans notre métier, les acquisitions nécessitent de gros moyens financiers. Or nos fonds propres sont de 20 millions d'euros, ce qui, compte tenu du prix moyen des transactions dans la gestion (2 % des encours environ), ne pourrait nous donner accès qu'à des petites sociétés avec peu d'encours sous gestion. De plus, ils servent déjà à financer les capitaux des sociétés de gestion du groupe. Nous préférons donc en général intégrer des équipes. Sur les 80 gérants que compte aujourd'hui Ofivalmo, 40 viennent de structures extérieures.

Comment vous démarquez-vous de vos concurrents ? Vous insistez beaucoup sur la génération d'alpha, mais le thème est très à la mode.

Nous avons été les premiers à l'avoir mis en avant il y a quatre ans. La performance est bien entendu indispensable, mais elle n'est rien sans un service qui l'entoure. La qualité du reporting, du service (être capable notamment de justifier une contre-performance), et la capacité à être créatif ainsi qu'à s'adapter au changement sont les critères majeurs de différenciation d'une société de gestion. Il ne nous a par exemple fallu qu'un mois pour prendre une participation dans une société immobilière. Cette flexibilité manque aux grands groupes qui sont ralentis par une certaine lourdeur dans leurs prises de décision.

Comment avez-vous amélioré la qualité de vos services ?

Nous avons investi dans un grand nombre d'outils informatiques. Notre site Internet s'est fortement développé : nous investissons actuellement pour fournir des données en temps réel. Par ailleurs, nous sommes en train de changer le fonctionnement de notre chaîne titres : alors que nous avons longtemps été notre propre dépositaire, nous sous-traitons désormais cette activité. Cela nous conduit actuellement à nous équiper d'une table d'exécution centralisée. Ce projet, lancé l'année dernière, devrait aboutir fin septembre pour la multigestion. Pour la partie titres en direct, le système devrait être opérationnel à fin juin 2007. Avoir une table d'exécution centralisée constitue un gage de qualité pour le gérant et pour le client, mais aussi un outil de contrôle pour le dirigeant de la société. En effet, grâce à lui, nous pourrons comparer nos données avec celles de nos dépositaires. Ce système nous paraît plus sain. Dans les grandes banques, on concentre tous les métiers de la chaîne (gestionnaire, négociateur, dépositaire.). Par conséquent, si une activité est déficitaire, elle pourra être compensée par les autres. A l'inverse, nous ne faisons qu'un seul métier, celui de gestionnaire, ce qui a le mérite d'être clair pour nos clients.

Compte tenu de la concurrence, n'est-il pas de plus en plus difficile de recruter - et de conserver - les bons gérants ?

La gestion des hommes constitue un vrai challenge, surtout pour une entreprise de la taille d'Ofivalmo. Les recrutements sont devenus compliqués parce que les grands gérants dans les groupes internationaux bénéficient de systèmes de rémunération quasiment aussi avantageux que s'ils étaient actionnaires de leur société. Et racheter des sociétés créées par des gérants peut être délicat car leur qualité repose souvent entièrement sur leur fondateur. Dans ce cas, il est nécessaire de sécuriser leur présence avec des clauses de paiement décalées. Il faut aussi savoir anticiper le départ des gérants. Il nous est ainsi arrivé de recruter une équipe parce que nous avions pressenti qu'un de nos gérants allait à plus ou moins brève échéance nous quitter. Quand ce dernier est effectivement parti, les clients ont continué à nous faire confiance car l'équipe mise en place bénéficiait d'un vrai track record. Nous avons ainsi montré que notre maison ne reposait pas sur un seul homme mais sur un process et une équipe. Mais il est vrai, dans l'ensemble, qu'il est difficile de recruter et cela risque de le devenir plus encore si la compétitivité de la place de Paris n'est pas renforcée. Dans les grandes maisons françaises, une partie des gérants vedettes sont déjà délocalisés à Londres.

A l'heure où Euronext est en passe de perdre son indépendance, comment améliorer la compétitivité de la place de Paris ?

Il faut qu'une place soit attrayante pour les opérateurs. Or le système fiscal français est assez confiscatoire. Il faut aussi que la réglementation soit compétitive au plan européen. Il est clair que, si elle est très tatillonne, les opérateurs iront là où leur travail sera facilité. Ce n'est pas un hasard si actuellement les places les plus dynamiques en Europe en matière de gestion d'actifs sont celles du Luxembourg et de Dublin. En France, les pouvoirs publics ont fait des efforts pour assouplir la réglementation, mais notre métier reste extrêmement contrôlé et encadré. C'est un gage de qualité, mais il ne faudrait pas que cela nous desserve. A terme, en effet, il n'est pas exclu que les entreprises de gestion soient très éclatées, avec des métiers délocalisés dans les pays jugés les plus attractifs : pour chaque produit, on choisira l'endroit où le valorisateur est le moins cher, la réglementation la plus souple, l'infrastructure boursière la plus sophistiquée. On peut très bien imaginer de ce fait des entreprises dont les gérants seront à Londres, le dépositaire à Varsovie, et les vendeurs dans les pays où sont diffusés leurs produits. Dans cette perspective, il est possible que la place de Paris connaisse des difficultés si Euronext passe sous contrôle américain. Actuellement, déjà, l'intérêt pour des étrangers d'acheter une société de gestion en France peut paraître limité. Il est certes important d'avoir des vendeurs sur place pour entretenir une relation avec le client, mais on peut très bien se contenter d'acheter une équipe commerciale. Dans la plupart des cas, avoir une équipe de fabrication en France n'est pas utile.

Quels sont les autres grands enjeux auxquels va être confronté le métier de la gestion dans les années qui viennent ?

Je pense que la sous-traitance va se généraliser. D'abord, chez les institutionnels, les directeurs financiers vont se concentrer avant tout sur les objectifs de leur maison, ce qui devrait les inciter à déléguer de plus en plus leur gestion. Par ailleurs, la concurrence entre sociétés de gestion va s'accroître, mais elle va changer de forme. Les grandes maisons de gestion qui faisaient tout elles-mêmes vont de plus en plus procéder à des arbitrages en fonction de leurs forces et faiblesses et entrer dans une logique de distribution. Dans le cadre de la gestion core-satellite, par exemple, les plus gros acteurs vont continuer à se battre à coup de centimes sur la partie "core". Mais celle-ci devrait progressivement diminuer au profit des "satellites", un investisseur prenant moins de risques avec un portefeuille très diversifié. Le recours à des prestataires spécialisés comme nous sur des niches à forte valeur ajoutée devrait donc être favorisé. Propos recueillis par Ludivine Garnaud et Valérie Nau Des certificats d'investissement comme rémunération complémentaire Face à la concurrence, la rémunération constitue un moyen fondamental de fidéliser les équipes. "Le métier de la gestion n'échappe pas à l'évolution de la société française, souligne Gérard Bourret. Aujourd'hui, on sait que les gérants que l'on embauche ne feront pas toute leur carrière chez nous : leur durée d'implication sur un même poste peut raisonnablement être estimée à trois ans. Pour les garder, il ne suffit plus d'intégrer à la rémunération une part de variable : il faut expliquer comment se compose cette variable, et proposer un package à côté, avec des stocks options, des primes, des voyages." Plutôt que des stock options, Ofivalmo a eu recours à un produit plus original, le certificat d'investissement (CI) : "Dans les sociétés non cotées, les stock options constituent une incitation au départ. Pour pouvoir en bénéficier, il faut les exercer. Le salarié risque donc de s'en aller au bout de trois à cinq ans !", souligne Gérard Bourret. Le CI, quant à lui, s'apparente à une action sans droit de vote "qui permet à un certain nombre de collaborateurs clés, notamment des gérants, de participer au développement et au résultat de l'entreprise, poursuit Gérard Bourret. Plus de la moitié du personnel y a accès. Avec les CI, on est quasi actionnaire et cela me paraît plus cohérent." En cas de départ, la société rachète les CI à un prix correspondant à la cotation interne du groupe.