QUESTION DU JOUR/Locomotive Europe ? Pourquoi pas, mais pas tout de suite

03/10/2006 - 18:49 - Option Finance

(AOF) - Le ralentissement de l'économie américaine fait resurgir la crainte d'une récession mondiale. Les marchés de taux considèrent que rien ne remplacera le consommateur américain pour tirer la demande mondiale. C'est vrai à court terme, car l'Europe risque aussi de ralentir, mais pas à moyen terme pour deux raisons : l'asymétrie de la répartition de l'épargne mondiale, et le dynamisme retrouvé des économies européennes. Le flux annuel d'épargne mondial est d'environ 10,5 trillions de dollars, soit 22,5% du PIB mondial, selon le FMI. Ensemble, Etats-Unis et Royaume-Uni, les deux pays où l'épargne devrait monter dans les années à venir, génèrent 21 % de l'épargne mondiale, la zone euro 20 %, l'Asie en développement 17 % et le Japon 11 %. Ces chiffres disent deux choses : tout d'abord, une forte augmentation du taux d'épargne dans les pays anglo-saxons peut être compensée par une faible diminution ailleurs. Tous calculs faits, l'effet sur la croissance d'une hausse de 3 points du taux d'épargne national US-UK serait neutralisé par une baisse de 1,5 point dans le reste du monde. Ensuite, le poids de la zone euro est tel qu'un rééquilibrage de la demande mondiale ne peut se faire sans sa participation. Les nouvelles fraîches de la "vieille" Europe sont bonnes. Non seulement la croissance a surpris par sa vigueur cette année, mais les indicateurs conjoncturels ne fléchissent pas, que ce soit la consommation en France ou les enquêtes IFO et Isae chez nos voisins. Malheureusement, les bonnes nouvelles ne vont pas durer. L'Allemagne et l'Italie sont bien décidées à faire le ménage dans leurs finances publiques, avec un resserrement budgétaire de l'ordre de 1% du PIB en 2007 dans chaque pays, soit 0,5% à l'échelle de la zone euro. La normalisation monétaire entamée par la BCE depuis 2005, et qui va se poursuivre, n'en doutons pas, ainsi que l'appréciation de l'euro au printemps auront également un effet négatif sur la demande. Au total, la croissance dans la zone euro risque de perdre un bon point l'an prochain. Faut-il en conclure que, décidément, les bonnes surprises sont l'exception et les mauvaises la règle en Europe ? Je ne crois pas. Trois facteurs structurels me semblent au contraire indiquer une accélération de la croissance potentielle.

La productivité s'accélère

Selon nos estimations, la productivité horaire s'est accélérée de 1,3% en moyenne au cours des six premières années de l'union monétaire, à 2,4% au cours des six derniers mois. Une part seulement de l'accélération est cyclique. Les efforts de compétitivité, les restructurations dans un nombre croissant de secteurs, les délocalisations en Europe centrale et l'investissement en TIC sont en réalité les facteurs fondamentaux qui tirent la productivité. L'effet de ciseau, accélération en Europe et décélération aux Etats-Unis, est d'ailleurs la principale explication de la surperformance des actions de la zone euro.

Le chômage structurel diminue

En 1998, juste avant l'union monétaire, le taux de chômage de la zone s'élevait à 10 %. La plupart des études concluaient que, en dessous de 9%, les salaires augmenteraient tant que la croissance en pâtirait, que ce soit à la suite d'une action préventive de la banque centrale ou, pis, d'une perte massive de compétitivité. Or, en juillet 2006, le taux de chômage était tombé à 7,8% sans qu'on perçoive la moindre accélération des salaires : l'inflation salariale était de 2,4% en juin, moins élevée que celle des prix.

Le réformisme marque des points

Le vent de réformes est passé de l'Allemagne à l'Italie. Le programme du nouveau gouvernement italien est clairement libéral : déréglementation des services, privatisations et baisse du coût du travail, voilà qui sonne plus thatchérien que ce que le prédécesseur de Romano Prodi a fait. En France, les candidats potentiels à la présidence, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, sont les plus réformistes qu'on ait vus de mémoire d'observateur, ce que leurs détracteurs dans leurs propres camps ne manquent pas de tenter d'exploiter. Et je prends le pari qu'une fois que l'Allemagne aura absorbé la pilule amère de la TVA, la croissance reprendra et, avec elle, l'appétit de réformer son principal point faible : son marché du travail archaïque. Avec une croissance potentielle plus forte, la zone euro prendra toute sa part dans le rééquilibrage mondial. Mais il reste une épreuve à surmonter : le ralentissement synchronisé des Etats-Unis et de l'Europe l'an prochain. La BCE devra en tenir compte. Eric Chaney, chef économiste Europe, Morgan Stanley