QUESTION DU JOUR/ Inflation, la part du réel ?

09/11/2006 - 12:56 - Option Finance

(AOF) - La mesure du pouvoir d'achat effectif des Français est bien partie pour alimenter la campagne présidentielle. La hausse des prix détermine d'autant plus les augmentations générales de salaires que le "grain à moudre" passe par des mesures individuelles. Les traitements de la fonction publique, hors mesures catégorielles et revalorisations liées à l'ancienneté et à la technicité, sont systématiquement confrontés à l'indice des prix à la consommation, de même que de nombreuses prestations sociales. Les pensions et retraites lui sont indexées depuis qu'elles n'évoluent plus en phase avec le salaire moyen. L'indicateur de l'Insee est donc redevenu, bien malgré lui, la référence pour une multitude de revenus. et l'objet d'une suspicion croissante. Pour l'opinion publique, la hausse des prix est sous-estimée et le pouvoir d'achat ne progresse pratiquement pas. Pour les candidats, de droite comme de gauche, sa remise en cause est donc un thème porteur : sinon casser le thermomètre, au moins le forcer à mieux refléter le vécu populaire. Mais ne vaudrait-il pas mieux admettre qu'il n'a pas été conçu pour cela, le laisser remplir son objectif d'étalon de valeur et construire en parallèle d'autres instruments ? En fait, le débat actuel sur l'indice des prix n'a rien d'original. Il réapparaît chaque fois que la croissance du pouvoir d'achat est faible et trop inégalement répartie pour être perçue par ceux dont les revenus sont dans la moitié inférieure de la distribution. Pour ceux-là, en effet, l'éventuel surcroît de pouvoir d'achat obtenu annuellement est rapidement grignoté par deux phénomènes que l'indice des prix évacue par construction : l'effet qualité et la dépense forcée. Comme tout institut national responsable du suivi des prix, l'Insee s'efforce de faire ressortir, lors de l'apparition de nouveaux produits sur le marché, ce qui relève d'un changement de qualité, pour ne retenir dans l'indice que la variation de tarif à satisfaction supposée constante. Cette mesure est difficile, en partie subjective, et peut légitimement susciter des controverses. Elle devient cruciale dans un monde où la bataille commerciale se joue sur l'innovation et la différenciation des biens et services. La notion de dépense forcée, qui résulte de l'éviction de biens anciens par des biens nouveaux affublés de fonctionnalités supplémentaires, est à l'origine de la confection d'indices du coût de la vie, censés mieux cerner ce que doivent débourser les particuliers lorsqu'ils cherchent à maintenir leur niveau de vie. A l'évidence, ces indices ont vocation à augmenter davantage que les indices de prix purs puisqu'ils incorporent une part d'effets qualité incontournables. Ils ont donc une certaine légitimité à être partie prenante à une négociation sur le maintien des revenus. La notion de dépenses contraintes, introduite, début 2004, par le groupe E. Leclerc partait d'un autre constat. L'idée était que le consommateur ne ressentait réellement les variations de son pouvoir d'achat que pour les achats où il disposait d'une réelle autonomie de décision. S'appuyant sur des travaux du BIPE, elle classait comme incompressibles les loyers et autres charges de logement, les assurances et les transports collectifs et les déduisait du revenu disponible pour faire apparaître un revenu affecté à des dépenses dites "libérées". Psychologiquement, une hausse de prix est d'autant plus fortement ressentie qu'elle concerne une fonction vitale. Celle due à une meilleure qualité du produit ne sera aussi pas perçue de la même façon selon que la fonction vitale est déjà plus ou moins satisfaite. D'où le succès des magasins discount, notamment en Allemagne où le consommateur se veut particulièrement vigilant. Des indices peuvent être conçus sur ce principe, en pondérant les variations de prix des différents postes de dépenses selon leur degré de rigidité. La fréquence des achats effectués est par ailleurs fréquemment associée à la perception des hausses de prix. Ce critère tend à renforcer l'aspect psychologique de l'approche fonctionnelle, sans toutefois le recouper totalement : le "petit noir au zinc", dépense non vitale, et l'immobilier, dépense exceptionnelle, en sont deux exceptions extrêmes hautement médiatisées. Dans la zone euro, sur une décennie, les prix ont ainsi augmenté de 1,7% l'an pour les biens non durables, de 0,8% pour les biens semi-durables et sont restés stables, à qualité constante, pour les biens durables. Aux deux extrêmes du spectre, on trouve les prix de la santé et de l'enseignement (+ 2,9%) et les tarifs de communications (- 2,9%). Cette baisse spectaculaire coexistant avec l'explosion des dépenses de mobiles suscite en retour un flot d'interrogations : s'agirait-il d'une nouvelle espèce de dépense incompressible ? réduirait-elle la taille du revenu libéré ? contribuerait-elle à renforcer la sensation d'appauvrissement ? Face à de telles difficultés conceptuelles, nos candidats feront bien d'y réfléchir à deux fois avant de vouer le thermomètre aux gémonies. Philippe Sigogne, économiste