Banque mondiale et Fonds monétaire international, quels rôles ?

04/05/2006 - 13:00 - Option Finance

(AOF) - Au siège de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, à Washington D.C. où viennent de se tenir les réunions de printemps des deux institutions multilatérales créées lors de la conférence de Bretton Woods en 1944, l'ambiance est plutôt morose. Mais les caractéristiques de la crise institutionnelle diffèrent de part et d'autre de H Street. A la Banque mondiale, les certitudes du Président contrastent avec l'impression d'un atermoiement stratégique et managérial. Dix mois après son arrivée, le nouveau patron n'a pas encore arrêté une stratégie opérationnelle facilement compréhensible. Son combat contre la corruption en fournit un exemple : comment décliner de façon concrète et opérationnelle l'exigence morale de la lutte contre la corruption tout en menant à bien une mission d'aide au développement qui, compte tenu de la prévalence des problèmes de gouvernance, apparaît précisément incompatible avec le rigorisme moral ? La traduction opérationnelle requiert de préciser plus finement l'objectif poursuivi et d'affiner la compréhension de l'impact économique de la corruption. Le dynamisme économique de l'Asie montre la difficulté d'établir un lien causal stable et universel entre corruption et sous-développement. De même, les travaux récents du département Afrique de la Banque mondiale ne montrent pas de corrélation entre les différences de performances économiques des pays d'Afrique et les indicateurs "CPIA" de la Banque censés mesurer la qualité de leur gouvernance. Le combat moral est noble. Sa mise en pratique n'apparaît pas encore clairement. Ce flottement interne se double d'un questionnement sur les stratégies passées. La Banque est en quelque sorte confrontée à la "fin des certitudes". Ainsi, un rapport récent de son bureau des évaluations fait état des succès obtenus dans la mise en œuvre de réformes importantes en matière de politiques commerciales ; mais il note aussi que les réponses attendues en matière de dynamisme de l'offre ne se sont pas matérialisées et que la Banque n'a accordé assez d'attention ni à l'accompagnement des réformes (par une action suffisante de renforcement des capacités commerciales), ni aux coûts, notamment sociaux, de l'ajustement qu'elles impliquent. Plus généralement, la "mode" intellectuelle a basculé. Le " consensus de Washington" se nourrissait d'analyses globalisantes à partir de travaux économétriques menés sur de nombreux pays et sur plusieurs années de façon à dégager des vérités empiriques universelles. En ont résulté toute une série de prescriptions considérées comme nécessaires au démarrage d'un processus de développement quel que soit le contexte local. Plutôt qu'arriver avec une longue liste de critères que tout pays doit respecter, les travaux les plus récents semblent dorénavant privilégier les études visant à comprendre les caractéristiques et contraintes spécifiques qui pénalisent la croissance à court et long terme des différents pays, de façon à pouvoir cibler l'action pour lever ces contraintes. Au Fonds monétaire international, la situation est différente. Le FMI est très critiqué pour sa gestion des crises passées, mais il vit de ces crises. L'absence de crises rejaillit sur le moral interne et s'accompagne d'états d'âme sur le rôle de l'institution. En outre, le FMI est financé par son rôle d'intermédiaire financier. Or, la période récente, caractérisée par l'abondante liquidité dans les pays émergents, remet en question, au moins temporairement, ce rôle du Fonds qui découvre donc à son tour les contraintes budgétaires. D'après l'hebdomadaire The Economist, son revenu pourrait baisser de 30 % dans les deux prochaines années. En outre, les pays émergents sont devenus très méfiants et réticents à l'idée de dépendre du Fonds. C'est aussi l'une des raisons du gonflement de leurs réserves, qui peut s'interpréter comme un mécanisme d'auto-assurance contre le risque de liquidité. Certains pays ont remboursé par anticipation, privant le FMI d'une partie de ses revenus. En outre, les pays émergents font volontiers observer que la répartition actuelle des quotas et droits de vote n'est pas légitime au regard des évolutions économiques récentes, car elle ne leur donne pas la place qu'ils méritent alors que d'autres, notamment les pays européens, sont surreprésentés. Ces développements conduisent le Fonds à repenser son rôle, son financement et sa gouvernance. Ces difficultés sont symptomatiques de la problématique de la gestion de la mondialisation, qui cherche de nouveaux repères avec l'intensification de l'interdépendance économique, la montée des pays émergents et la fin de la guerre froide. Les institutions multilatérales restent les instruments privilégiés d'une action collective internationale essentielle pour la paix, la prospérité et pour la prise en compte d'un double impératif d'efficacité et d'équité. Les difficultés du Fonds et de la Banque doivent conduire à approfondir la compréhension de la mondialisation et à renforcer ces institutions, ce qui suppose de mieux préciser leurs rôles respectifs, et non, comme certains sont tentés de le faire, à remettre leur utilité en question. Pierre Jacquet, chef économiste de l'agence française de développement