Point de vue - La transparence : ses raisons, ses limites

25/02/2009 - 10:01 - Option Finance

(AOF / Funds) -

Par Jean-Paul Betbèze, chef économiste du Crédit Agricole

On l'entend partout en boucle : "Si la croissance mondiale ne repart pas, c'est que la confiance ne revient pas ; et si la confiance ne revient pas, c'est que la transparence n'est pas encore revenue." Transparence : le mot est donc lâché, et l'on connaît désormais la source de tout le mal. Pour autant, il faut bien savoir ce dont on parle, si l'on veut avancer. Si la transparence concerne le fait d'indiquer ce que l'on fait, elle est normale, pour ne pas dire obligatoire. On sait maintenant, c'est-à-dire trop tard, que les règles bancaires ont été bafouées aux Etats-Unis, avec les subprimes, et que les règles prudentielles ont été dépassées en Angleterre, avec Northern Rock. Pour les subprimes, les règles de la Fed précisaient qu'ils étaient dangereux et ne pouvaient être distribués sans expertise particulière des employés de banque, et cette même réglementation recommandait d'en limiter très strictement la titrisation(1). Avec les subprimes, la non-transparence concernait l'interdit. Dans ce cas, la transparence doit être absolument défendue ! Pour Northern Rock, on savait sa structure de financement très tendue, la plus tendue de la profession même, on savait donc que le moindre stress test l'aurait révélé, donc que l'expert de l'autorité de régulation aurait dû le voir. Avec Northern Rock, la non-transparence concerne le régulateur qui n'a pas vu ce qui était pourtant visible pour lui, compte tenu de son métier risk averse. Ici, c'est l'organisation qui est en cause : il ne suffit pas d'être transparent, si ça ne sert pas! Dans ce cas, la transparence doit être mise à profit. La situation se complique quand la transparence est techniquement difficile, puisque les valorisations des actifs sont complexes à établir dans un marché en crise, où les transactions sont rarissimes. Un processus diabolique se met alors en place : par crainte d'une tromperie venant d'entreprises qui sous-estimeraient leurs pertes, la règle bancaire demande de mettre les actifs au prix du marché, en l'espèce à celui de super-soldes, ce qui creuse les pertes bancaires, fait monter les demandes de fonds propres, et pousse à faire augmenter leur capital au pire moment. La transparence suppose que le marché fonctionne, sauf à induire une spirale de baisse des prix des actifs, spirale dans laquelle nul ne peut "dire les prix", puisque cette transparence organise elle-même leur baisse continue. Dans ce cas, la transparence tue la transparence ! Il est donc important de stabiliser le système financier, et à la base le système bancaire, en indiquant qui fait quoi et selon quelles logiques de prix. Les reclassements d'actifs dans les bilans doivent être précisés, étant entendu que c'est bien un excès de volatilité dans les comptes (le fameux mark to market) qui suscite la défiance. Plus profondément, il faut que l'Europe ait la maîtrise de ses règles de comptabilité, qu'elle cesse de les importer des Etats-Unis, alors même qu'elle est une économie moins volatile qu'eux. Le dommage importé est plus fort, alors que la source des problèmes nous est extérieure. Remonter la pente sera graduel, puisqu'il faudra expliquer les ajustements comptables et financiers, mais aussi indiquer comment le système bancaire et financier va se remettre à fonctionner. La détente des taux à court terme doit se poursuivre, mais il faut l'accompagner d'interventions plus volontaristes de la BCE. A ce stade, on peut craindre un certain attentisme. La BCE refuse encore le "non orthodoxe", le terrain inconnu dans lequel elle s'engagerait, comme la Fed, avec le risque de créer plus tard plus d'inflation qu'avant. Elle veut donc être transparente et demande aux opérateurs de l'être. L'idée d'un good bank se développe parfois, par opposition à une bad qui réunirait tous les péchés du monde de la finance, alias les produits toxiques. Mais cette transparence totale est un mythe, puisque l'on ne peut jamais tout savoir ni tout évaluer, et un risque, puisque la tentation sera forte de charger la barque, donc le déficit et la dette. Il faut donc s'y faire : il y a une transparence impossible, celle qui vient du système vicieux de comptabilité. Elle doit être réduite. Il y a une transparence inatteignable, puisque l'économie de marché est celle de l'incertitude. A vouloir les confondre, on s'enlise. A les vouloir, on s'épuise. La confiance ne vient pas de l'omniscience mais de la crédibilité, du sens de la responsabilité des acteurs, de la vigilance de tous dans la durée. 1. P. Artus, J.-P. Betbèze, Ch. de Boissieu, G. Capelle-Blancard : "La crise des subprimes", CAE n°78, La Documentation française, août 2008.