Pourquoi la consolidation des marchés boursiers est-elle inéluctable ?

09/05/2006 - 19:42 - Option Finance

(AOF) - Interview Bertrand Jacquillat, président-directeur général d'Associés en Finance, et professeur des universités à Sciences Po Paris Vous faites partie des personnalités qui réfléchissent sur les enjeux d'une consolidation des places boursières en Europe. Alors que le 23 mai prochain l'assemblée des actionnaires de la société Euronext se prononcera sur un éventuel mariage avec Francfort, qu'en pensez-vous ? Selon les modalités actuellement évoquées, Euronext serait vraisemblablement perdant dans ce mariage. La Bourse allemande voudra d'abord imposer son organisation, différente de celle d'Euronext, et plus largement de celle des autres Bourses européennes, voire même nord-américaines, ce qui rendrait un rapprochement ultérieur entre les différentes Bourses encore plus compliqué. Euronext n'assure qu'une fonction de transactions, et détient par ailleurs des participations dans deux entités juridiques, chargées l'une de la compensation, l'autre du réglement-livraison, tandis que la Deutsche Börse est une Bourse organisée en silo, c'est-à-dire complètement intégrée qui regroupe au sein de la même entité, les fonctions de transaction (échanges de titres) et de back-office (compensation et réglement livraison). En outre, le rapprochement envisagé n'est pas une fusion entre égaux. En effet, du fait même de son organisation très intégrée qui permet la mutualisation des profits, la place allemande est la première au monde en termes de capitalisation boursière. Valorisée 12 milliards d'euros, elle précède le NYSE (10 milliards d'euros), Euronext (8 milliards d'euros), le LSE (4,5 milliards d'euros), et le Nasdaq (4 milliards d'euros). Pourtant, la Bourse allemande ne compte que 764 sociétés cotées, soit nettement moins que le LSE (3000), le NYSE (3400) et Euronext (1259 sociétés). Enfin, la place boursière allemande souhaiterait que la plupart des fonctions de la future bourse soient localisées à Francfort. Ce serait signer là, la mort d'une Bourse paneuropéenne alors même que Milan vient de faire part de son souhait d'intégrer directement Euronext sans passer par une cotation boursière préalable. Pour toutes ces raisons, Euronext a indiqué dans la résolution qui sera soumise à l'assemblée générale du 23 mai prochain que si elle n'était pas opposée sur le principe d'un rapprochement entre les deux Bourses, elle souhaitait garder toute latitude quant au principe et aux modalités d'un tel rapprochement, et demande plus généralement à ses actionnaires de lui laisser choisir ses alliances. La consolidation des marchés boursiers en Europe est-elle inéluctable ? Elle va dans le sens de l'histoire. Les Etats-Unis ne comptent aujourd'hui que 7 Bourses alors qu'il en existait 22 en 1935 et 122 à la fin du XIXe siècle. En France, on comptait encore 7 bourses il y a un peu plus de 20 ans (Bordeaux, Marseille, Nancy, Lyon, Nantes, Toulouse, Paris). Plus généralement, il y a quinze ans, chaque pays disposait de nombreuses places boursières selon les produits. Paris avait ainsi un marché pour les actions, les instruments financiers à terme, les produits dérivés organisés au sein de sociétés différentes. La consolidation des marchés boursiers est donc en marche depuis vingt ans en France et en Europe, mais sa poursuite est nécessaire et inéluctable, parce qu'elle facilite l'amortissement des frais de fonctionnement des Bourses et réduit les coûts de transaction pour les investisseurs et les coûts de financement pour les entreprises. Les entreprises auraient-elles à gagner réellement d'une situation de monopole ? Il est vrai que la concurrence a une incidence bénéfique sur les coûts de transactions. Mais l'important est de trouver un juste milieu car trop de concurrence entre systèmes de transaction risque de fragmenter la liquidité, ce qui augmenterait les coûts de transaction. Le risque de monopole est toutefois limité. On peut penser que bientôt des banques anglo-saxonnes mettront en place leurs propres Bourses de transactions puisque avec la dernière directive européenne, l'internalisation des ordres au sein de grandes banques devient possible. Elles pourraient le faire d'autant plus facilement que les barrières à l'entrée sont relativement faibles en matière de plate-forme boursière de transactions. Enfin, un rapprochement des Bourses en Europe permettrait d'attirer davantage de sociétés internationales qui à présent se dirigent vers le LSE face au durcissement de la réglementation américaine.