Le nouveau conundrum des taux longs

17/04/2009 - 10:47 - Option Finance

(AOF / Funds) - C'est la deuxième fois que ceci se produit. Souvenez-vous : il y a quelques années, tous les experts vantaient l'efficacité des marchés et l'"ample liquidity" qui - partout - régnaient. Alan Greenspan parlait même du conundrum des taux longs, de cette anomalie de taux longs qui s'inscrivaient beaucoup trop bas par rapport aux risques. Le prix du risque est anormal disait-on alors, ou encore "l'aversion au risque est trop faible". Et il en donnait une bonne (pour lui) raison : la crédibilité des banques centrales, dont la première bien sûr, tandis que d'autres voix mettaient en avant le refinancement obstiné des Chinois face à une Amérique constamment dépensière. Quoi qu'il en soit une conséquence en résultait : des risques étaient pris, mais où donc, sans qu'on en mesure les effets - mais jusqu'à quand ? Tout ceci a effectivement duré jusqu'au mois d'août 2007, où tout s'est mis à changer du tout au tout. Soudain, en effet, la liquidité a disparu. Soudain plus personne ne veut prêter à personne et les taux montent au ciel. Soudain, pour éviter la panne du système de financement, les banques centrales déversent des mètres cubes de liquidité en baissant les taux et en prenant des papiers commerciaux de plus en plus risqués, sur des périodes de plus en plus longues, et sans limites. En deux ans, les taux longs sont partout revenus au plus bas pour les Etats-Unis et l'Allemagne, tandis que la liquidité sous sa forme M1 ou M2 est au plus haut. La trappe à liquidité est désormais grande ouverte, recevant tout ce qui cherche à se placer par crainte de la grande crise, alimentant ainsi le risque déflationniste. Mais, en même temps, deux autres craintes gagnent : la première est celle de la poursuite de la crise qui affecterait désormais certains pays souverains, en liaison avec la crise de leur système bancaire et financier, la seconde du retour de l'inflation, devant cette pile de monnaie. Que faire donc en attendant ? Continuer à éteindre l'incendie de la crise avec toujours plus de... liquidité, ou bien se mettre à se préparer un éventuel regain de l'inflation ? Le choix, en réalité, est limité. Car il semble impossible de prendre le risque de défaut d'un Etat important, et il faudra bien aider la Grèce ou l'Irlande si nécessaire. Pourquoi pas la BCE, sous une forme indirecte, alors que la Banque d'Angleterre s'est déjà largement lancée dans l'opération et que la Fed vient de s'y mettre ? Veut-on un risque grave au sein d'Euroland ? C'est cette situation intermédiaire qui explique l'évolution actuelle des taux longs qui sont certes bas, mais moins que nous le donnerait la situation économique ou encore l'évolution des prix. Un peu comme s'ils pensaient à autre chose, à des inquiétudes sur le quantitative easing, au retour de l'inflation, ou à des crises publiques, alors que les mauvaises nouvelles continuent. Le premier conundrum d'Alan Greenspan était : pourquoi donc les taux longs sont si bas ? Sa version actuelle est : pourquoi donc ne sont-ils pas plus bas ? Toujours une anomalie, mais de sens opposé. Elle nous dit donc qu'il faut profiter de cette situation de taux bas, en toute hypothèse jusqu'aux dix ans, mais qu'il serait faux de penser que ceci va au-delà des dix ans et aussi que ceci va durer tout court. Des questions vont donc bientôt se chevaucher, à la fois sur les modalités du quantitative easing et sur les conditions d'exit : évolution du corridor des taux et évolution des taux courts, le tout pour éviter un contre-choc très dommageable. On comprend que la BCE soit peu diserte, alors qu'elle peine à avancer dans les mesures non standard pour indiquer comment elle va en sortir. On peut penser qu'elle doit vaincre des inquiétudes et des réticences. Mais on pourrait tenir le discours inverse et noter que préciser davantage les conditions de sortie est la meilleure façon d'en réduire les effets pervers, et donc d'organiser la transition. Tel n'est pourtant pas le cas : les faucons veillent et les colombes sont trop inquiètes. En même temps, et ceci explique en partie cela, personne ne mesure les conditions économiques et financières qui sont les nôtres, avec une montée rare des déficits publics sans que la croissance n'en soit évidemment soutenue, ni même dopée. Cet argent serait-il dépensé en vain ? Un entre-deux en quelque sorte, tandis que nous passons d'un conundrum à l'autre. On n'arrête pas le progrès de l'incertitude ! Par Jean-Paul Betbèze, chef économiste du Crédit Agricole