Le risque de contrepartie, un enjeu majeur pour les sociétés de gestion

04/06/2009 - 15:05 - Option Finance

(AOF / Funds) - Face au risque présenté désormais par les contreparties, les sociétés de gestion renforcent leurs contrôles, et s'intéressent de plus en plus aux contrats de garantie sur les opérations. La débâcle de Lehman Brothers le 15 septembre dernier et les menaces de faillite pesant sur de grandes banques américaines ont mis en lumière un risque encouru par les sociétés de gestion : le risque de contrepartie, c'est-à-dire la faillite d'un intermédiaire avec lequel une société de gestion traite en permanence, comme un broker (courtier) ou tout autre intermédiaire. "Depuis 2002, les marchés financiers étaient en pleine progression, la gestion des contreparties était suivie, mais elle ne constituait pas un enjeu majeur, relate Raphaël Remond, président de State Street Banque à Paris. Depuis deux ans, on a non seulement assisté à une situation de contraction du crédit, mais l'évaluation des actifs toxiques a posé de nombreux problèmes aux banquiers et aux sociétés de gestion, mettant la gestion du risque de contrepartie au centre des préoccupations de ces entités." La crise a en effet montré qu'il pouvait y avoir à un moment donné un arrêt de la négociation en raison soit de la faillite d'une contrepartie, soit d'une défiance généralisée sur les marchés et notamment sur les marchés de gré à gré. "Les outils d'évaluation des produits OTC et des produits structurés ne permettaient pas une couverture optimale du risque de contrepartie", indique Raphaël Remond. Par conséquent, les institutions financières, y compris les sociétés de gestion, ont commencé à se préoccuper de ce risque et ont souhaité en avoir une vision complète.

Des contrôles renforcés sur les investissements financiers

Les sociétés de gestion mettent ainsi l'accent depuis la crise sur les procédures et détaillent davantage d'instruments financiers. "Tous les six mois, nous faisons le bilan de notre activité avec chaque broker et les notons, indique Sylvie Bernard, directrice des opérations, du reporting et de l'organisation chez Allianz Global Investors France. Ce process est suivi par le contrôle interne et par le risk management. Nous établissons des listes par instruments financiers. La crise nous a conduits à détailler davantage les instruments financiers et à mettre l'accent sur les dérivés OTC." Le contrôle interne et le contrôle des risques s'implique dans cette gestion. "Le risk management intervient davantage qu'auparavant, relate Sylvie Bernard, il vérifie le rating des sociétés avec lesquelles nous traitons et s'intéresse, en plus de la liquidité, à leur solvabilité." Par ailleurs, une veille systématique est mise en place. "Les différents départements ont renforcé leurs interconnexions, souligne Thomas Dureau, responsable de la table de négociation chez Allianz Global Investors France. Nous surveillons notamment les positions vis-à-vis de nos contreparties pour les produits. Une variation anormale de l'un des paramètres mis sous surveillance peut nous conduire à arrêter immédiatement les échanges avec une contrepartie." Si le suivi s'intensifie du côté des sociétés de gestion, c'est le cas également chez leurs contreparties, ce qui induit des contraintes supplémentaires pour les sociétés de gestion. "Les contreparties, par exemple sur le Forex, demandent maintenant à homologuer chaque fonds ou chaque mandat avant de traiter, constate Sylvie Bernard. Cela induit des délais supplémentaires. Par ailleurs, en ce qui concerne les CDS (certificate default swaps), les contreparties anglo-saxonnes réclament maintenant de confirmer les transactions auprès de plateformes comme DTCC (Depository Trust and Clearing Corporation) qui fonctionnent comme des chambres de compensation."

La collatéralisation, un outil pour restaurer la confiance

Les sociétés de gestion et plus généralement les banques se sont appuyées pour gérer les contreparties sur une technique appelée la "collatéralisation" ou la mise en oeuvre d'un contrat de garantie sur les opérations. A titre d'exemple, lors de la faillite de Lehman Brothers, les gestionnaires ou les banques qui n'avaient pas eu recours à une garantie ont vu la valeur de leurs positions réduite à zéro, tandis que ceux qui avaient une garantie, notamment auprès d'AIG, ont pu être dédommagés au moins en partie. "La collatéralisation est à l'origine un moyen de financement, explique Pierre Baillavoine, associé au cabinet Périclès Consulting. Cependant depuis environ 18 mois, elle est surtout utilisée afin de gérer le risque de contrepartie et ainsi de restaurer la confiance." Cette méthode peut s'appliquer sur tous les produits négociés de gré à gré, des plus simples aux plus complexes. La principale difficulté tient au fait de suivre l'évolution de la garantie en fonction de l'état du marché. Traditionnellement les sociétés de gestion avaient tendance à élaborer un suivi hebdomadaire, voire mensuel. "Les sociétés de gestion traitent des volumes peu importants comparés aux banques, un suivi hebdomadaire est justifiable, indique Sylvie Bernard. Pour certaines contreparties, nous effectuons les calculs tous les jours, mais ne déclenchons les paiements qu'une fois par semaine. Toutefois, les contreparties ont tendance de plus en plus à réclamer un suivi quotidien." En effet, la plupart des acteurs exigent dorénavant un suivi journalier à la lumière des déboires occasionnés par la faillite de Lehman Brothers. "Lors de la faillite de Lehman, beaucoup d'institutions financières réévaluaient encore les "collatéraux" de façon hebdomadaire voire mensuelle, explique Murielle Blanchard, responsable du centre d'excellence dérivés chez State Street Banque. Par conséquent, les positions d'un grand nombre de contreparties n'étaient pas correctement couvertes." En conséquence, la mise en oeuvre de la gestion des contreparties avec collatéralisation nécessite une adaptation des outils des sociétés de gestion. "Il faut mettre en oeuvre des outils transversaux afin de gérer la collatéralisation, explique Pierre Baillavoine, et décider si cette fonction doit être rattachée à la direction des risques, à la direction générale ou à d'autres directions. Il convient de définir le périmètre d'activité, notamment les actifs ou les contreparties à garantir. La mise en place de la collatéralisation implique de nombreux impacts, par exemple sur les règlements/livraisons ou sur les systèmes d'information qui doivent être parfois repensés afin de gérer les garanties qui peuvent être en cash ou en titres." Des prestataires proposent déjà cette activité aux sociétés de gestion. "Nous avons mis en place à Paris, à l'identique de ce que nous faisons aux Etats-Unis, une structure de collateral management afin d'aider nos clients à gérer le risque de contrepartie", relate Raphaël Remond. "La plupart des sociétés de gestion ne sont pas équipées pour gérer le risque de contreparties de façon industrielle et quotidienne, confirme Murielle Blanchard. Pourtant, la volatilité importante des marchés financiers de ces derniers mois nécessite ce suivi quotidien. L'externalisation de ce processus n'est pas encore courante, mais des réflexions sont en cours à ce sujet." La crise ne peut en effet que pousser les sociétés de gestion à agir vite et à adapter leur process aux nouveaux risques. Sandra Sebag