Analyse / La sortie, déjà ?

07/07/2009 - 12:19 - Option Finance

(AOF / Funds) - Depuis l'explosion de Lehman Brothers - et celle d'AIG et "tutti gli altri" -, la politique macroéconomique a réagi massivement. Les banques centrales, à l'instar de la Fed, ont alimenté le système financier avec des montants énormes de liquidités. Parallèlement, face à une économie réelle en chute libre, les budgets publics ont été utilisés eux aussi massivement pour contrecarrer le choc. Des voix s'élèvent toutefois pour que la politique monétaire - en vertu de la théorie selon laquelle "l'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire" - ne dérive pas. Dans la même optique, la politique budgétaire est accusée par certains d'être trop laxiste et de ne pas respecter les contraintes de solvabilité. Ces deux critiques sont correctes - dans une certaine limite. Et cette limite fait toute la différence. Si la politique budgétaire essayait d'enrayer les déficits face à une récession, elle commencerait par les aggraver. L'output gap, qui est déjà énorme - il devrait atteindre, selon le FMI, 4 % du PIB aux Etats-Unis cette année et 5,5 % en 2010 ; 6 et 7 % en Allemagne -, croîtrait encore plus. En conséquence, les dépenses - surtout pour les chômeurs - augmenteraient et les recettes, en revanche, chuteraient. Au vu de l'expérience des années 1930, il y a donc consensus sur la nécessité de laisser faire les stabilisateurs automatiques. Cependant, compte tenu des conditions exceptionnelles actuelles, la majorité des gouvernements vont beaucoup plus loin, en lançant des programmes contracycliques. La conséquence de toutes ces dépenses supplémentaires (et des réductions d'impôts), c'est que les déficits publics montent, énormément. Les Etats-Unis affichent, en pourcentage du PIB, un solde négatif de 14 % en 2009. L'année prochaine, sur les 27 pays de l'Union européenne, aucun ne respectera la barre du pacte de stabilité - et de croissance. Il en résulte une augmentation extraordinaire des dettes. Dans le cas de l'Allemagne, le fardeau issu de la crise financière n'a comme équivalent que les déboires de l'unification allemande, que l'on rembourse encore. Et, aux Etats-Unis, il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale. Selon les pronostics du FMI, la dette relative au PIB grimpera de 63 % en 2007 à 105 % en 2014. Mais, à moyen terme, les lois de la physique économique vont forcer les Américains à modifier leur comportement. Et, malheureusement, respecter les contraintes de solvabilité impliquera des économies significatives dans les budgets publics primaires - c'est-à-dire hors intérêts de la dette. De même, pour éviter les simplifications d'un monétarisme un peu réducteur, les banques centrales seront obligées de réabsorber les énormes liquidités avec lesquelles elles ont approvisionné le système financier. Ces injections faramineuses - la Fed a plus que doublé son bilan en l'espace d' une petite demi-année et la BCE a injecté 442 milliards d'euros la semaine dernière - étaient indispensables. D'autant que le système bancaire, qui est en train de faire du deleveraging - c'est-à-dire de réduire son ratio dettes sur fonds propres - ne fonctionne toujours pas normalement, car les liquidités injectées par les banques centrales ne se transforment pas immédiatement en masse monétaire. Néanmoins, ce contexte n'est absolument pas normal et, à moyen terme, le risque d'une reprise de l'inflation existe. Les deux contradictions esquissées entre les exigences de court terme impérieuses et les contraintes incontournables de moyen-long terme mènent directement au débat sur les modalités de sortie de crise (l'exit). Implicitement, elles posent aussi la question de ce que seront nos économies après la crise. Ce débat est incontournable et ne peut pas être supprimé. En fait, l'augmentation des taux longs, par rapport aux taux courts, reflète en partie les inquiétudes des marchés sur la santé des finances publiques - et, peut-être aussi, sur l'inflation future. Mais comme le dit la célèbre chanson du film "Casablanca", "fundamental things apply as time goes by". En d'autres termes, des ajustements sont indispensables à moyen terme. Ce qui importe, c'est de trouver le bon moment. Une réorientation des politiques qui interviendrait trop tôt risquerait d'aggraver la crise, comme l'a montré l'exemple du Japon. Cela a aussi été le cas des Etats-Unis dans les années 1930, comme l'a expliqué récemment Christina Romer, la directrice du conseil d'analyse du président Obama. Ce choix du moment est extrêmement important. L'importance des problèmes rend l'impatience compréhensible. Mais, pour parvenir à un meilleur équilibre de moyen terme, l'exit doit être recherchée en fonction des circonstances, et pas d'une date précise. Trop d'impatience ainsi que trop d'indifférence entraîneraient trop de coûts sociaux. Actuellement, les perspectives économiques pour les prochains trimestres montrent que nous sommes encore trop loin de la sortie pour changer de direction. Mais - "as time goes by" - il faudra bien le faire un jour. Par Hans Helmut Kotz, Université de Fribourg