Directive européenne : l'AIFM inquiète les gérants alternatifs

20/07/2009 - 12:01 - Option Finance

(AOF / Funds) - En France, l'industrie de la gestion d'actifs se réjouit globalement de l'initiative de la Commission européenne pour réglementer les fonds non-Ucits et donc les fonds alternatifs. "Depuis de nombreuses années, nous sommes favorables au principe d'une directive encadrant de façon appropriée les fonds européens non conformes à la directive européenne Ucits, qui leur conférerait un passeport européen et donc un label de qualité similaire à celui des fonds Ucits, affirme Pierre Bollon, délégué général de l'Association française de la gestion financière (AFG). Ce serait un formidable outil pour exporter les fonds européens hors Europe." Pourtant, depuis sa publication, la proposition de directive Alternative Investment Fund Managers (AIFM) inquiète les gérants alternatifs en Europe. Son mode et sa rapidité d'adoption ont tout d'abord fortement surpris. Sous l'impulsion du G20, réuni le 2 avril dernier, la Commission européenne a publié, fin avril, une proposition de directive sans consulter les Etats ou les acteurs pourtant actifs depuis plusieurs années sur le sujet, comme l'association professionnelle internationale des gérants de hedge funds (AIMA) ou l'AFG. "Alors que la Commission européenne a mis plus de cinq ans pour adopter la directive Ucits IV, en prenant le temps de consulter divers Etats et acteurs de l'industrie de la gestion d'actifs, la proposition de directive sur les fonds alter-Ucits a été élaborée et publiée dans la précipitation en seulement cinq semaines", remarque Pierre Bollon. Cette absence de consultation conduit les experts à la juger insatisfaisante sur de nombreux points. La première critique concerne les conditions d'obtention du passeport européen. Le texte prévoit notamment que les fonds de pays tiers pourront obtenir le passeport européen au bout de trois ans à compter de la publication de la directive et donc être commercialisés en Europe. Cela reviendrait à pouvoir vendre librement des fonds off-shore en Europe, ce qui va à l'encontre de la volonté affichée, notamment par la France, de lutter contre les paradis fiscaux. Les Britanniques ne partagent toutefois pas cette approche. Ces derniers, qui commercialisent beaucoup de hedge funds off-shore, reprochent au contraire à la directive de les empêcher d'en vendre pendant trois ans en Europe, alors même que la réglementation en vigueur les y autorise auprès de professionnels avertis. De plus, l'obtention du passeport européen ne nécessite pas seulement une attente de trois années, mais aussi deux autres conditions. Ces fonds devront être domiciliés dans un pays tiers dont la réglementation est équivalente à celle de l'Europe et avoir signé une convention d'échanges d'informations fiscales avec le pays membre de l'UE où ils seront commercialisés. Cette dernière condition inquiète Londres car, dès lors qu'un état membre refuserait de signer cette convention, cela reviendrait à en interdire la vente. Mais, "contrairement à ce que redoutent actuellement les Britanniques, nous ne sommes pas contre la commercialisation de produits alternatifs de pays tiers en Europe, ce qui est déjà le cas auprès de professionnels avertis. En revanche, nous ne voulons pas que ce soit sous la forme d'un 'passeport' européen, affirme Pierre Bollon. Celui-ci, en toute logique, doit être réservé à des produits domiciliés en Europe et gérés par des sociétés de gestion européennes. Pourquoi ne pas prévoir un 'visa' autorisant l'importation de ce type de fonds ? Si l'objectif de la directive est dans la lignée de ce que souhaite le G20, c'est-à-dire éviter un risque systémique, l'Europe pourrait par exemple ne pas accorder ce visa aux fonds étrangers qui ne respecteraient pas les principes de transparence que l'IOSCO (OICV en français : Organisation internationale des commissions de valeurs) vient de publier." Une autre réserve à l'égard de la proposition concerne son caractère "globalisant". En effet, selon l'article 3 de la proposition de directive, tout fonds qui ne serait pas agréé conformément à la nouvelle directive OPCVM sera alors qualifié d'"alternatif". Les fonds immobiliers, de matières premières et de private equity seront ainsi considérés comme "alternatifs", ce qui pose des problèmes techniques. "Le principe 'One size fits all' n'est pas du tout adapté, que ce soit en termes de valorisation ou de transparence des investissements, affirme Pierre Bollon. A titre d'exemple, les règles en matière de franchissement de seuil doivent être différentes selon le type de fonds. Le propre du private equity est de prendre des participations importantes dans des sociétés, ce qui n'est pas le cas dans la gestion d'actifs." La question de l'effet de levier préoccupe également les gérants. "La directive fait référence à un levier élevé maximum, fixé arbitrairement au niveau de x2, sans faire aucune distinction entre les types de fonds et les stratégies auxquels le levier est appliqué, indique Christian Bartholin, membre du comité exécutif et secrétaire général d'HDF Finance, à l'origine du guide AIMA de bonnes pratiques pour la multigestion alternative. A titre d'exemple, pour un fonds CTA, un levier de x10 ne présente pas d'inconvénient a priori. En revanche, un levier de x2 pour un fonds 'distressed' aux actifs très peu liquides est probablement trop élevé. Le levier doit s'apprécier selon la liquidité du portefeuille d'actifs auquel il est appliqué. Une règle unique concernant tous les fonds que la directive ambitionne de couvrir n'a pas de sens." D'autres inquiétudes reposent sur le fait que "la proposition de directive comporte des incohérences avec d'autres directives existantes, telles que les directives Ucits, MIF ou Prospectus, explique Christian Bartholin. Par exemple, en ce qui concerne le dépositaire, le projet de directive prévoit un passeport européen alors que la directive Ucits n'en comporte pas". En France, on s'interroge également sur les notions de "valorisateur" et de "dépositaire". Le projet de directive propose une "évaluation fiable et objective des actifs [...] effectuée par une entité indépendante du gestionnaire", à qui le "gestionnaire doit pouvoir déléguer la responsabilité de l'exécution des fonctions qui lui incombent". "La directive fait référence à un 'valorisateur indépendant' qui n'existe pas en France, s'inquiète Pierre Bollon. En outre, contrairement à la directive Ucits, la proposition semble retirer la responsabilité de la valorisation des actifs à la société de gestion pour la transférer au 'valorisate'. Similairement, s'agissant du dépositaire, il aurait été judicieux de partir de la directive Ucits, notamment pour définir un socle réglementaire commun à l'ensemble des fonds, plutôt que de définir de nouvelles dispositions sans que la raison n'en apparaisse clairement." Le projet de directive, actuellement étudié en première lecture par le Conseil de l'Europe, sera soumis à l'automne à la consultation du Parlement européen. Les amendements de ce dernier sont donc très attendus. Mais certains redoutent déjà qu'une fois amendé, pour répondre à l'ensemble des critiques, le texte soumis à l'approbation du Conseil ne soit trop éloigné de la première mouture, ce qui pourrait encourager son abandon pur et simple. La mise en place d'un passeport européen pour les fonds alternatifs serait alors reportée à une échéance beaucoup plus lointaine. Floriane Tedoldi