QUESTION DU JOUR/Les trackers ont-ils un impact sur les actions ?

29/11/2006 - 20:31 - Option Finance

(AOF) - Plus de cinq ans après le lancement des premiers trackers - ETF - en Europe, le marché de ces fonds indiciels négociables continue de se développer sur fond de concurrence entre places boursières, Euronext et la Deutsche Börse bien sûr, mais aussi le London Stock Exchange et la Borsa Italiana. De nouveaux titres sont régulièrement cotés et la gamme des indices supports s'est progressivement élargie. Pour les produits actions, on est passé des indices locaux de grosses capitalisations ou sectoriels aux indices de diverses zones géographiques et pays émergents. Par ailleurs, l'offre s'est étendue aux indices immobiliers, aux indices obligataires et plus récemment aux indices de matières premières. Parallèlement, les montants gérés et les volumes d'échanges n'ont cessé d'augmenter. L'année 2006 est en ce sens exemplaire. A ce jour, on a pu voir la cotation respective de 61 et 74 nouveaux trackers sur Euronext et la Deutsche Börse, l'offre atteignant maintenant plus de 150 titres sur chacun de ces marchés. Les trackers les plus importants dépassent les 4 milliards d'euros de fonds gérés et les montants échangés mensuellement ont plus que doublé depuis janvier. Malgré cette profonde évolution des marchés, les échanges portent toujours en priorité, comme sur les marchés américains, sur les trackers actions de grosses capitalisations nationales et européennes. A mesure que ces produits prennent une importance toujours croissante, les questions liées à l'impact éventuel du développement de ces produits sur les titres individuels composant les indices répliqués se posent avec plus d'insistance. En particulier, si les investisseurs qui échangent aujourd'hui des trackers ne sont pas des nouveaux arrivants, de quels produits leur flux d'ordres a-t-il été détourné ? Une première hypothèse est que ces nouveaux produits attirent de nouveaux investisseurs. Alternativement, il est probable qu'une partie, si ce n'est la majorité, de ces investisseurs échangeaient auparavant les titres individuels. Leur migration vers le marché des trackers est dans ce cas susceptible d'avoir altéré les équilibres établis et, de là, la qualité des marchés de ces titres. Les trackers ne sont pas les premiers instruments à offrir aux investisseurs la possibilité de négocier des paniers de titres en un seul ordre. Au courant des années 1980, le développement spectaculaire des marchés de futures sur indices boursiers avait déjà conduit la recherche académique à étudier les effets de l'introduction de ces paniers négociables sur les titres les constituant. Plusieurs modèles ont été proposés sans qu'un consensus puisse être atteint. Les prédictions de ces études théoriques s'opposent tout particulièrement quant à l'évolution de la qualité du marché des titres individuels. Un premier courant prévoit une migration des investisseurs possédant le moins d'informations vers le marché du panier, ce qui doit se traduire par une dégradation de la liquidité des titres individuels. Au contraire, d'autres études considèrent que ces paniers de titres vont faciliter les opérations d'arbitrage, ce qui va conduire à une augmentation de cette activité et à une amélioration de la liquidité des titres individuels. Bien que les études empiriques menées sur les marchés américains n'arrivent pas toutes à la même conclusion, elles vont principalement dans le sens d'un impact positif de la négociation de trackers sur la qualité du marché des actions individuelles. Ainsi, dans les deux mois qui ont suivi l'introduction des Diamonds et des Cubes, les trackers répliquant les indices DJIA (Dow Jones Industrial Average) et Nasdaq 100, les titres constituant ces indices ont vu leur liquidité progresser significativement, en particulier du fait d'une diminution de la fourchette de prix. Cette amélioration apparaît en outre plus significative pour les titres les plus faiblement pondérés dans les indices, ce qui tend à supporter le rôle des trackers dans ce processus : au contraire des gérants de fonds indiciels non cotés qui ont tendance à limiter leurs détentions aux capitalisations les plus importantes, les gérants de trackers investissent généralement dans la totalité des titres constituant les indices. Enfin, les trackers apparaissent beaucoup plus liquides, et donc moins chers, que le portefeuille de titres individuels correspondant. Concernant les marchés européens, des recherches portant sur ces sujets sont en cours. Certes, les volumes de négociations observés sur les différentes places boursières ne sont pas du même niveau que ceux observés aux Etats-Unis. Mais si l'on considère que les mêmes trackers sont négociés simultanément sur les différentes places, que les principaux indices boursiers tels que l'Eurostoxx 50 font généralement l'objet d'offres de sociétés de gestion concurrentes et que les principaux indices boursiers européens regroupent tous les mêmes titres, il est probable que le développement des marchés de trackers a un impact sur la qualité du marché de ces titres. Laurent Deville, chercheur CNRS, Centre de recherche sur la gestion (Cereg), université Paris Dauphine