"La baisse des levées de fonds est préoccupante", J-L de Bernardy, AFIC

06/10/2009 - 09:22 - Option Finance

(AOF / Funds) - Jean-Louis de Bernardy, président de l'Association Française des Investisseurs en Capital (AFIC), répond à nos questions sur les difficultés que rencontre actuellement l'activité de capital investissement.

L'Afic a publié la semaine dernière des chiffres négatifs sur l'activité du capital-investissement au premier semestre 2009. Quels enseignements en tirez-vous ?

Nous attendions ces chiffres avec impatience, car ils nous fournissent deux informations importantes : l'impact de la crise sur notre profession et une indication sur le rôle contracyclique que nous jouons auprès des entreprises. Les chiffres marquent un fort recul mais, sur les deux plans, il y a des éléments qui restent positifs. L'activité de LBO s'est effondrée en volume (- 83 % avec 636 millions d'euros investis), c'était attendu. Mais si aucun LBO de grande taille n'a été réalisé sur cette période, 133 opérations inférieures à 100 millions d'euros ont été dénombrées, un niveau d'activité qui est loin d'être négligeable. D'autre part, le montant investi en capital-risque est en progression de 27 %. Si on ajoute le capital-développement (en baisse de 28 %), on atteint 664 opérations, un nombre resté stable par rapport au premier semestre 2008. Nous maintenons donc une activité importante pour le soutien des jeunes entreprises et des PME en croissance.

Etes-vous inquiet de la baisse des levées de fonds, dont le montant a chuté de 88 %, à 1,04 milliard d'euros ?

Sur ce plan, en revanche, la situation devient préoccupante : les levées de fonds n'assurent plus en effet le renouvellement du stock car, pour le capital-risque et le capital-développement, elles ne couvrent pas le montant de nos investissements au premier semestre. Si cette baisse ne présente pas de réel inconvénient en ce qui concerne les LBO, qui sont encore en surcapacité, il faut absolument que le capital-risque et le capital-développement puissent lever les fonds nécessaires à la couverture des besoins des entreprises. Or, les perspectives ne sont pas bonnes.

Comment analysez-vous le retrait des investisseurs institutionnels ?

On observe une disparition quasi totale des grands institutionnels français et étrangers, conséquence de la crise financière. Mais, à terme, les nouvelles normes prudentielles Solvency 2 vont décourager les assureurs d'investir dans les actions en général, et dans les actions non cotées en particulier. Au premier semestre, la collecte ne repose pratiquement plus que sur les investisseurs privés, qui ont assuré 60 % des montants levés, dont plus des deux tiers via les FCPI et FIP ISF-PME. Mais le dynamisme de la collecte et l'intérêt des épargnants sont gravement menacés par la proposition de loi votée par le Sénat, qui impose un délai d'investissement d'un an, au lieu de deux actuellement, pour les "quotas éligibles" dans les FCPI et FIP. Ce texte va freiner les levées de fonds du second semestre, car rien n'est pire en matière fiscale que l'incertitude. Il pourrait asphyxier le capital-risque et les fonds de proximité. Nous continuerons donc de militer ardemment contre.

On s'attend à une augmentation du nombre de LBO en difficulté d'ici à la fin de l'année...

Nous allons recevoir les chiffres du sondage effectué par l'Afic sur la situation des LBO au 30 juin, mais il est vraisemblable qu'au moins 25 à 30 % des LBO en cours ont aujourd'hui un problème de covenant ou, plus grave, ne peuvent respecter leurs échéances bancaires. Ces problèmes sont malheureusement cumulatifs, la situation ne pouvant réellement s'améliorer que par la sortie de la crise. Mais le sujet a sans doute été inutilement dramatisé au début de l'année : on constate en effet que les banques et les fonds parviennent à circonscrire les difficultés au niveau de la société holding support du LBO, et à définir un nouvel équilibre entre actionnaires et banques sans que la société opérationnelle ne soit impactée, ni sa pérennité mise en péril. L'Afic va d'ailleurs publier des règles de bonne pratique qui donnent une priorité absolue à cet objectif.

Les leçons de la crise ont-elles été tirées dans le secteur des LBO ?

Les banques avaient consenti des niveaux de crédit tout à fait déraisonnables, et les fonds avaient emprunté de manière tout aussi déraisonnable. Désormais, les fonds vont se recentrer sur la création de valeur par la croissance, avec des opérations moins leveragées. Pour le moment, les banques sont sorties du marché, sauf pour les plus petites opérations, mais elles vont y revenir progressivement. Il faut leur laisser le temps de reconstituer leurs fonds propres et il est sûr qu'allouer des financements aux LBO est moins nécessaire aujourd'hui que de maintenir le crédit pour les PME. La situation se normalisera lorsque la crise sera passée. Il y a des cycles dans le LBO. Historiquement, ils ont toujours été portés par un excès d'endettement : il faudra donc être vigilant dans l'avenir. Propos recueillis par Gaëlle Fleitour

AOF - EN SAVOIR PLUS

LEXIQUE

Covenants de dette : Terme anglais désignant des clauses restrictives attachées à un contrat de prêt et destinées à protéger le créancier. Ces clauses peuvent notamment contraindre l'emprunteur à limiter son endettement total à un certain seuil, à respecter des ratios financiers définis, à communiquer régulièrement sur l'état de son patrimoine ou encore à restreindre les versements de dividendes. Si le débiteur ne respecte pas ses engagements, le créancier peut alors revoir à la hausse le taux d'intérêt du prêt. LBO (Leveraged Buy-Out) : Le Leveraged Buy-Out est une technique à effet de levier permettant la prise de contrôle d'une entreprise par endettement. En l'absence de capitaux suffisants pour procéder à l'acquisition, l'acheteur se sert de la capacité d'emprunt de l'entreprise qu'il acquiert : le plus souvent, les actifs de l'entreprise sont utilisés comme garantie sur les emprunts contractés. Ces emprunts sont ensuite remboursés sur les liquidités générées par l'entreprise acquise.