La stratégie française de sortie de crise : pas si mal, mais pas facile

06/10/2009 - 09:43 - Option Finance

(AOF / Funds) - On comprend les choix publics français : face à une crise qui débouche sur la récession et, plus encore, qui réduit la croissance potentielle, il faut absolument muscler l'appareil productif. Plus d'impôts, sur les riches, bien sûr, comme on l'entend partout, n'a pas de sens si, en même temps, on ne se donne pas les moyens d'augmenter la valeur ajoutée future. Il faut donc agir sur les anticipations et sur les projets : plus de déficit, car plus d'investissement, plus d'impôts pour plus de croissance. Les deux ensemble. Le danger est en effet la formation d'anticipations dépressives où la fiscalité irait affaiblir encore une croissance qui n'en a pas vraiment besoin. L'impôt tue l'impôt et, avec lui, la croissance et l'emploi. Mais il faut convaincre de ce choix, pousser à l'investissement productif, et faire aussi le plus possible d'économies budgétaires. Car il existe beaucoup de dépenses que l'on peut réduire, alors qu'elles pèsent sur le budget, et plus encore sur le moral des ménages et des entrepreneurs. En même temps, on découvre la véritable situation de l'appareil productif français : une rentabilité faible et qui a baissé, particulièrement dans l'industrie, particulièrement dans les PME, et plus encore dans les petites entreprises. C'est donc dans une extrême faiblesse que se trouve le tissu productif, et devant une faible croissance où il faut investir davantage. Pas facile du tout, ce qui nous éloigne des simplifications que l'on entend partout. Bien sûr, pour aider, il faut que se poursuive le travail de réduction des délais de paiement et de modernisation des relations économiques et sociales. Mais on comprend que le manque de fonds propres va être partout de plus en plus criant - et il faudra bien trouver des moyens pour le combler. Le fonds spécial prévu, en liaison avec le FSI, risque de se trouver bien faible... tandis que monte la fiscalité. Quadrature du cercle ? Pas vraiment : il n'y a pas d'autre solution que de fonctionner sur ces deux registres, fiscalité et croissance, donc d'expliquer et de gérer les anticipations. Ce choix de moyen terme français va se retrouver chez d'autres, en s'adaptant aux circonstances. Partout, il y aura plus de taxes, plus de recherche des fraudeurs et plus de réduction des paradis fiscaux. Que la sortie de crise dépende d'un peu plus de moralisation n'est pas un mal. Mais il faut surtout que l'effort soit conjoint et que certains n'aillent pas, ici ou là, soutenir leurs firmes, leurs paradis ou, pire, attirer des investisseurs en leur promettant - dans quelque temps bien sûr - un peu plus de bienveillance. C'est tout l'enjeu du G20 que de trouver des règles qui se mettraient partout en place de la même manière, et dans la durée. Le diable sera alors dans les détails, tant les Etats-Unis nous ont habitués à des règles comptables qu'ils exportaient, mais qui correspondaient mieux à leur économie qu'à la nôtre, une économie chez eux plus liée à la Bourse et moins au crédit bancaire. Tant les Etats-Unis nous ont habitués, aussi, à nous laisser expérimenter les règles de Bâle 2 et leur interdépendance avec celles de la comptabilité en mark to market. On a vu le résultat : rien moins que la fameuse procyclicité. Si l'on veut repartir, ce ne n'est pas sur une reprise technique qu'il faut compter. Il ne s'agit pas d'attendre que les stocks reviennent ou que l'Allemagne exportant plus nous demande plus de pièces pour ses autos ou ses équipements : il nous faut une vraie stratégie de renforcement organisationnel et technologique, une meilleure industrie, des services plus efficaces, un secteur public moins cher. On comprend que le chemin ne sera pas aisé, et qu'il faudra aussi convaincre les Européens de cet axe, non pas tant de dépenser plus aujourd'hui pour croître plus demain, mais de notre capacité effective à investir plus dans le privé et à économiser plus dans le public. Le G20 a envoyé le message : face à la crise, il ne s'agit pas de pousser les feux du "retour à la normale" par les taux et par l'assainissement budgétaire. Mais ce temps qui est ainsi donné pour sortir de cette crise doit être bien utilisé : c'est la logique, assez pédagogique, du grand emprunt. On comprend donc notre stratégie, elle est plus claire que celle d'autres pays. Cela nous oblige à réussir. Nous en aurons double avantage : croissance et crédibilité. Mais, pour croître, il faut d'abord croire ici à nos propres choix, ce qui n'est pas le plus facile. Jean-Paul Betbèze, Chef économiste, Crédit Agricole