Chronique / Euro fort : à quel moment M. Trichet interviendra-t-il ?

26/10/2009 - 17:11 - Option Finance

(AOF / Funds) - L'EUR/USD s'approche du seuil des 1,50. En termes de taux de change effectif, l'euro se situe environ 14 % au-dessus de sa moyenne des quinze dernières années. Pour la zone euro, les conséquences de la persistance d'un euro fort seraient lourdes en termes de croissance. Toutefois, des interventions conjointes des banques centrales semblent peu probables, à moins d'une nouvelle appréciation de l'EUR/USD vers 1,60. L'euro et le dollar devraient se réajuster d'eux-mêmes, par le jeu naturel des forces de rappel (croissance, politique monétaire...). Mais l'incertitude reste forte et rien ne dit que celles-ci se révéleront suffisantes.

La faiblesse du dollar

La force de l'euro s'explique naturellement par la faiblesse du dollar. Depuis mars dernier, les devises des pays développés ont souffert de la faiblesse du dollar. Il y a plusieurs raisons à cela, dont certaines semblent temporaires : 1) La fin de son statut de valeur refuge, à mesure que la récession s'est estompée et que l'appétit pour le risque est revenu ; 2) Les taux interbancaires aux Etats-Unis incitent les investisseurs à utiliser le billet vert comme monnaie de financement de leur "carry trade". A 0,28 %, le Libor US à 3 mois est pratiquement le plus faible des taux interbancaires de la planète. Au point que même le yen fait les frais du "carry trade". De façon plus structurelle, les investisseurs privés et les banques centrales de pays émergents cherchent à diversifier leurs avoirs au détriment du dollar. A titre indicatif, selon les données COFER du FMI, le dollar n'a représenté que 20 % de l'accroissement des réserves de change des banques centrales au deuxième trimestre 2009, contre une moyenne de 59 % depuis la naissance de l'euro.

Les conséquences d'un euro fort

La montée en puissance de l'euro alors que le redémarrage de l'activité est déjà chaotique, complique et retarde le rebond de l'économie de la zone. Les activités industrielles, aéronautique notamment, sont fortement pénalisées. Toutes choses égales par ailleurs, on estime qu'une hausse de 10 % du taux de change correspond à une hausse de 100 pb des taux directeurs et entraîne une baisse du PIB de l'ordre de 0,9 % sur 24 mois. Autrement dit, l'euro fort annule largement les efforts de la BCE pour relancer la croissance. A moyen terme, la persistance d'un euro fort et d'un dollar faible devraient mener à un différentiel marqué de croissance de part et d'autre de l'Atlantique qui servira de force de rappel aux deux devises. Mais c'est une situation que préféreraient éviter les autorités européennes.

Que peut faire M. Trichet ?

Au cours des trois dernières semaines, M. Trichet est intervenu oralement à plusieurs reprises sur le front du change. Cela est suffisamment rare pour être noté et souligne s'il en était besoin que la BCE considère qu'un EUR/USD proche ou supérieur à 1,50 devient très pénalisant. M. Trichet a ainsi appelé les autorités américaines à "poursuivre des politiques qui prennent en compte le fait qu'un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis". Fait rare, il a ajouté que l'euro n'avait "pas été créé pour être la principale monnaie de réserve mondiale". On pourrait donc croire la BCE prête à intervenir. Toutefois, la chose est rendue difficile pour deux raisons. En premier lieu, il est difficile de s'opposer seule à la tendance globale de réallocation des devises au détriment du dollar. En second lieu, toute intervention sur l'EUR/USD suppose une coordination avec la Fed. Or, il est vraisemblable que la Fed ne juge pas pénalisant le niveau actuel du dollar, qui est tout simplement revenu au niveau de l'été 2008, avant la faillite de Lehman. Pour que ce soit le cas, il faudrait probablement que le prix du baril de pétrole approche ou dépasse les 90$/b, ce qui pourrait être le cas si l'EUR/USD revenait à 1,60. C'est probablement ce que veut dire M. Trichet quand il affirme qu'il existe une pleine coordination de part et d'autre de l'Atlantique. Sauf à envisager un tel scénario, on ne devrait pas voir d'intervention jointe des banques centrales sur les marchés des changes. Dans le contexte actuel, nous considérons que le billet vert pourrait se maintenir à un faible niveau jusqu'au printemps prochain. Nous tablons ensuite sur une réappréciation du dollar en vertu des forces de rappel habituelles : le rebond économique devrait être plus rapide aux Etats-Unis qu'en Europe, la Fed devrait commencer à remonter ses taux à compter du second semestre 2009, et les investisseurs devraient reprendre confiance dans l'économie et les actifs américains. L'incertitude concerne clairement le comportement des banques centrales des pays émergents : en principe, sous peine de voir la valeur de leurs actifs libellés en dollars chuter, elles devraient ralentir leur processus de diversification. Michel Martinez Directeur adjoint de la stratégie et de la recherche économique, Société Générale Asset Management