QUESTION DU JOUR/ L'euro haut

05/12/2006 - 19:28 - Option Finance

(AOF) - Voici quelque temps que l'euro est sorti de sa fourchette de fluctuation habituelle, autour de 1,20, pour aller franchir les 1,30. Immédiatement les interrogations fusent, du côté européen s'entend. Le côté américain a en effet annoncé, et depuis longtemps, que le dollar devait/allait baisser, sans préciser vis-à-vis de quoi. Mais les Européens ont compris le message. En fait, il faut aller au-delà d'une réaction émotionnelle. La remontée de l'euro par rapport au dollar ne concerne d'abord que les exportations que nous faisons hors Europe, c'est-à-dire une part limitée de nos échanges. Du fait de la création de l'Europe et de l'euro, mais aussi de son influence sur tout un ensemble de monnaies périphériques ou voisines (franc suisse et même livre sterling), une constellation euro s'est créée. Elle amortit de fait les chocs de notre devise. L'appréciation de l'euro est donc bien plus limitée que ne le disent les données douanières. Ensuite, elle a deux avantages. Le premier, c'est qu'elle permet de réduire la facture pétrolière et le risque d'inflation importée qui allait avec, et donc des risques de hausses de taux de la BCE. Le second, c'est qu'elle aide l'Europe à acheter des entreprises aux Etats-Unis, ou à y prendre des participations, et plus encore dans les pays à forte croissance. Tout ceci soutiendra son développement futur. De manière plus technique, on peut se demander à partir de quand on peut dire que l'euro est cher. En fait, ceci est "sociologiquement" impossible compte tenu du fait qu'une monnaie a des enjeux opposés (exporter est difficile, mais importer plus favorable). C'est aussi techniquement difficile, car il s'agit de connaître la "juste valeur" d'une monnaie, celle qui équilibre les échanges sur moyenne période. Selon les calculs les plus répandus, le taux de change d'équilibre de l'euro par rapport au dollar varie entre 1,10 et 1,15. Autrement dit l'euro dollar est actuellement surévalué de 15% par rapport à ses fondamentaux. En tenant compte de l'inflation, l'écart se réduit encore pour atteindre entre 5 et 10%. Cependant, un tel calcul mène à deux caveat. Le premier est que la précision de la mesure est limitée, le second est que les taux de change varient selon un très grand nombre d'influences. Ils ont plutôt tendance à "s'enrouler" autour d'une valeur moyenne. C'est actuellement ce qui se passe, précisément autour de cette valeur moyenne qu'on pourrait établir à 1,1-1,2. Ajoutons que personne ne se plaignait quand l'euro était très bas, autour de 0,8, en liaison avec une vraie crise européenne et que sa partie haute n'a jamais dépassé 1,50. Au total, c'est d'une monnaie plutôt stable qu'il s'agit, depuis son lancement à 1,17 avec une bande basse autour de 0,8/0,9 et une bande haute autour de 1,20/1,30. Une question se pose concernant la France et sa sensibilité particulière vis-à-vis du change. On pourra dire qu'il s'agit là d'une vieille manie, et que nous n'avons toujours pas accepté l'indépendance de la Banque centrale. et que dire de la BCE ! On pourra toujours ajouter que la France a une préférence dévaluationniste, en oubliant que ceci implique toujours des tensions d'inflation importée et de partage de la valeur ajoutée. Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus ouvert, et les changes ne font pas la différence entre pays de même niveau de développement. Ce sont bien les coûts salariaux qui jouent d'un côté, mais aussi la qualité et la disponibilité de l'autre. Il faut donc gérer au plus près les entreprises, accepter les délocalisations, hausser les qualités. Mais, en même temps, il ne faut pas passer sous silence la vraie question : le yuan. Sa sous-évaluation est avérée, dans un pays où les coûts du travail sont les plus faibles du monde. La Chine gagne du temps, en achetant des bons du Trésor américains. mais ceci ne peut durer. Et le Japon qui se trouve pris en étau n'a pas d'autre jeu que celui de la baisse du yen, qui est de nature à déclencher les hostilités. Il faudra donc que la Chine et les pays émergents d'Asie fassent monter leurs devises, à la fois par rapport au dollar et par rapport à l'euro. Il faudra que se stabilise le taux de change entre les deux protagonistes USA-Europe. Il faudra aussi que l'Europe se muscle dans son industrie et ses services, donc que la compétitivité hors-prix et hors-change prenne le dessus. Malheureusement nous n'y sommes pas. Reprenons donc ce chemin, avec plus d'Europe de recherche, et plus d'Europe élargie, à l'Est et à l'Afrique, car l'euro haut est une bonne chose s'il nous aide à monter. pas l'inverse. Jean-Paul Betbèze, responsable de la direction des études économiques et chef économiste de Crédit Agricole SA